Manuel Valls: un premier pas vers la dépénalisation de l'usage de cannabis ?Interrogé jeudi matin sur RMC à propos des zones de sécurité prioritaire (ZSP), le ministre de l'intérieur Manuel Valls a déclaré vouloir dissuader les consommateurs de
cannabis en les punissant par des contraventions immédiatement payables. « Aujourd'hui, c'est un délit, on verra, a d'abord prudemment répondu Manuel Valls. En tout cas, c'est payable tout de suite quand on est pris sur le fait. C'est ce que j'ai vu à Aubervilliers. » « Nous mettons ça en place, nous allons le généraliser », a-t-il finalement confirmé, face à Jean-Jacques Bourdin.
Depuis la loi du 31 décembre 1970, l'usage de stupéfiants, dont le
cannabis, est considéré en France comme un délit, passible devant le tribunal correctionnel d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Et pour les conducteurs, de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. C'est l'une des lois les plus dures en Europe, mais son application est à géométrie variable sur le territoire français et ses résultats plus que contestables. « Si vous vous faites arrêter avec l'équivalent de votre consommation personnelle en herbe ou résine de
cannabis, disons 3 à 5 grammes, vous n'encourez pas du tout la même sanction si vous êtes dans une petite ville bretonne ou en région parisienne », explique Olivier Poulain, membre de l'Observatoire géopolitique des criminalités.
En cinq ans, les interpellations pour usage de stupéfiants par la police ont fortement augmenté, passant de 95 000 en 2007 à près de 120 000 en 2012. Un volume impossible à traiter pour les tribunaux. Aussi selon un rapport sénatorial de 2011, les parquets préfèrent, dans la majorité des cas, prononcer des rappels à la loi, avertissements, stages de sensibilisation, injonctions thérapeutiques. En région parisienne, « 14 % seulement des usagers interpellés font l'objet d'une condamnation pénale ». Et parmi ces derniers, 16 % ont fait l'objet d'une peine d'emprisonnement ferme. Mais les condamnations pour usage illicite de stupéfiants ont tout de même bondi, passant de 5 000 à 28 000 entre 1995 et 2010. L'efficacité de cette politique très répressive est contestée. Les adolescents français sont en effet aujourd'hui les premiers consommateurs de
cannabis en Europe, selon une étude de l'Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie menée en 2011 dans 36 pays en Europe.
À Saint-Ouen, une des ZSP de Seine-Saint-Denis, les policiers appliquent depuis quelques mois une autre politique pénale, en patrouillant avec leurs collègues douaniers. « Si les douaniers interpellent quelqu’un qui est porteur même d’une toute petite quantité de stupéfiants, ils ont la possibilité, avec l’accord du parquet, de faire payer immédiatement cette personne, cela s’appelle une transaction douanière, expliquait récemment Sylvie Moisson, la procureure de la République de Bobigny à Libération. Sur Saint-Ouen, entre le 1er septembre 2012 et le 1er janvier 2013, 100 transactions douanières ont été réalisées pour un montant total de 17 640 euros. Voilà des acheteurs qui sont repartis sans leur dose et sans l’argent qu’ils avaient sur eux ou en retirant de l’argent au distributeur d’à côté pour payer la transaction. »
Cette approche a été expérimentée dès 2008, en toute discrétion, dans les Hauts-de-Seine. « Cela donne une centaine de transactions chaque année, pour une centaine de milliers d'euros payés au fisc – le record national, explique Le Monde. Mais le fait de taper au portefeuille un gros consommateur ou un petit trafiquant permet de déstabiliser les réseaux. » À Marseille, le préfet de police Jean-Paul Bonnetain y serait également favorable. « On y réfléchit, précise-t-on à la préfecture de police. Mais ça dépend également des douanes, qui ont leurs propres contraintes et du parquet, qui devra renoncer aux poursuites pénales. »
C'est manifestement cette politique que le ministre de l'intérieur aimerait « généraliser ». Une façon de contraventionnaliser la consommation de
cannabis sans avoir à modifier le Code pénal. Manuel Valls a toujours été un farouche opposant à la
dépénalisation, prônée par plusieurs politiques, de droite comme de gauche. Certains sont favorables à ce que la consommation de
cannabis sorte du champ des délits et soit sanctionnée d'une simple contravention, d'autres à ce qu'elle soit carrément autorisée (sans rentrer dans le débat sur la
légalisation, qui concerne, elle, la production et la vente de stupéfiants).
En avril 2012, la proposition de contraventionnalisation du sénateur PS François Rebsamen, chargé des questions de sécurité de la campagne de François Hollande, avait aussitôt été écartée par le candidat socialiste. « Je ne la reprendrai pas pour des raisons qui tiennent à la nécessité de l'interdit, qui ne doit pas être affaibli, avait déclaré François Hollande sur Europe 1. Je ne veux pas donner le moindre signal de renoncement à une dissuasion par rapport à cette consommation de
cannabis. » Le dernier en date à avoir osé parler de
dépénalisation, le ministre de l'éducation Vincent Peillon, s'était lui aussi fait sévèrement taper sur les doigts en octobre 2012.
Le 7 décembre 2011, le Sénat avait, de son côté, adopté une proposition de loi visant à sanctionner d'une amende le « premier usage illicite » de stupéfiants. Celle-ci est désormais sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Louise Fessard / Mediapart
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