Quel est le cadre juridique des premières salles d’injection supervisée au Canada ?Par France Lert, Inserm UMRS 1018 < 08/04/13
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http://vih.org/20130408/quel-est-cadre- … nada-34840Au moment où s’ébauche, en France, l’installation de premières salles d’injection supervisée (SIS), l’article de Hyshka et al. sur la situation juridique et institutionnelle de telles structures au Canada vient poser la question du régime juridique sous lequel elles peuvent être implantées mais aussi pérennisées et du rôle ambigu donné à l’évaluation pour perpétuer une situation d’expérimentation sans fin, et donc pour les SIS éminemment fragile. Hyshka et al. discutent le cadre juridique dans lequel les SIS peuvent fonctionner au Canada. En effet, si le plaidoyer de santé publique, appuyé par des données scientifiques sur les risques et l’efficacité des méthodes de prévention et de
réduction des risques, a joué un rôle important pour emporter la décision, il s’appuie aussi sur un cadre juridique.
Cet article a été publié dans Swaps n°68.
Au moment où s’ébauche, en France, l’installation de premières salles d’injection supervisée (SIS), l’article de Hyshka et al. sur la situation juridique et institutionnelle de telles structures au Canada vient poser la question du régime juridique sous lequel elles peuvent être implantées mais aussi pérennisées et du rôle ambigu donné à l’évaluation pour perpétuer une situation d’expérimentation sans fin, et donc pour les SIS éminemment fragile. Hyshka et al. discutent le cadre juridique dans lequel les SIS peuvent fonctionner au Canada. En effet, si le plaidoyer de santé publique, appuyé par des données scientifiques sur les risques et l’efficacité des méthodes de prévention et de
réduction des risques, a joué un rôle important pour emporter la décision, il s’appuie aussi sur un cadre juridique.
Insite, le programme de
Vancouver a ouvert en 2003 dans le cadre d’une exemption accordée par le ministère de la Santé protégeant le personnel et les usagers de la structure des poursuites pénales. Cette exemption était conditionnée à une évaluation rigoureuse, largement satisfaite par les multiples publications de l’équipe tout au long de la période. Ces résultats ont cependant été contestés par le gouvernement nouvellement élu en Colombie-Britannique en 2006, qui a remis en question l’exemption dont bénéficiait le programme. Celui-ci aurait augmenté des dommages liés à l’usage de drogue et détourné les toxicomanes des traitements conduisant à l’abstinence. L’affaire est montée en appel à la Cour suprême du Canada, qui a finalement étendu l’exemption accordée à
Insite.
Cette victoire juridique a été saluée par certains comme une jurisprudence fondant la possibilité d’étendre et de pérenniser les SIS alors que d’autres, au contraire, arguaient que l’exemption accordée à
Insite lui était spécifique et ne garantissait en rien la possibilité d’obtenir une telle exemption dans d’autres contextes et avec d’autres équipes.
Insite a ouvert trois salles d’injection non autorisées au sein d’un programme beaucoup plus large comportant les différentes composantes d’un programme de
réduction des risques (traitement de
substitution, distribution de seringues, dépistage) dans le contexte d’un accroissement brutal de la disponibilité de la
cocaïne, d’une épidémie d’overdoses mortelles, d’une incidence d’infection par le VIH de 18% par an dans le centre-ville. Le caractère dramatique de la situation, complètement documenté par les chercheurs et les acteurs de terrain, a suscité l’adhésion de larges secteurs de la population sans faire disparaître tous les détracteurs.
La
base juridique de la protection contre les poursuites des professionnels et des usagers est la section 56 de la loi sur les drogues (CDSA [Controlled Drugs and Substances Act]) qui autorise le ministère à exempter de poursuites pénales pour des raisons médicales ou scientifiques ou "otherwise in the public interest". Cette formulation générale donne une large marge de manoeuvre au ministère de la Santé qui a assorti l’autorisation donnée à
Insite d’une évaluation rigoureuse.
Une autre voie juridique a été utilisée en 2001 par le Dr Peter (centre de
Vancouver). Confronté à des pratiques à risque –l’injection de drogues dans des lieux extérieurs–, l’équivalent de l’ordre professionnel des infirmiers(ères) a revendiqué la fourniture de matériel stérile aux usagers injecteurs et la supervision de l’injection comme un acte professionnel et donc autorisé. Là encore, cette définition est fragile, et ce service s’est engagé dans la demande d’une exemption d’application de ce fameux article 56.
Cependant, ce cadre juridique fragile laisse une large place, en particulier dans un contexte administratif et politique décentralisé comme c’est le cas au Canada, au poids des autorités locales. C’est le cas dans d’autres grandes villes du Canada comme Toronto, Ottawa ou Montréal et plus encore dans les villes moyennes. En effet, la situation d’épidémie majeure du centre-ville de
Vancouver, qui a légitimé les décisions de santé publique, n’est pas générale, fort heureusement ! Les usagers de drogue ne vivent pas forcément dans des conditions sociales aussi dégradées, les usagers sont plus dispersés, les scènes ouvertes n’existent pas ou sont plus diffuses. Ils ont encore moins les instruments scientifiques que représente l’équipe de renommée mondiale du British Columbia Centre for Excellence to HIV/AIDS pour apporter ces preuves. D’ailleurs, les données scientifiques fournies par les chercheurs de l’équipe Wood, Kerr et Montaner ont bien documenté toutes les dimensions individuelles, épidémiologiques et d’ordre public de l’impact du programme de
Vancouver. Pour autant, les preuves du bénéfice du programme
Insite reposent sur l’observation, beaucoup sur des données déclarées, sans données de comparaison avec des programmes alternatifs. C’est souvent le cas dans l’expérimentation de nouvelles stratégies de prévention.
L’intérêt de cet article est de discuter l’articulation entre un cadre juridique (l’application du droit) et institutionnel (le pouvoir des institutions locales) et le rôle dévolu à la recherche. Celle-ci ne doit pas servir d’alibi à une demande sans fin de preuves qui, finalement, sous couvert de science, entretient une discrimination collective des usagers de drogue en refusant la
méthadone pendant plus de 30 ans, les programmes d’échange de seringues (aux Etats-Unis) ou la
substitution par l’héroïne démontrée utile depuis maintenant plus de 10 ans. En ce sens, cet article donne à réfléchir à l’étape qui commence enfin en France.
Notes :
Prospects for scaling-up supervised injection facilities in Canada : the role of evidence in legal and political decision-making.
Hyshka E, Bubela T, Wild TC.
Addiction. 2013 Jan 3. doi: 10.1111/add.12064. [Epub ahead of print]