Une foire au cannabis au Pays basque espagnolInstallé à deux pas de la frontière franco-espagnole, à Iràºn, le salon Expogrow attire ce week-end des milliers de Français. Reportage
Le moral sapé par l’anathème, des milliers de fumeurs de
cannabis français migrent ce week-end là où l’herbe est plus verte. En l’occurrence, juste de l’autre côté de la Bidassoa. Frontière naturelle entre deux États. Fossé entre deux législations.
Expogrow, autoproclamée « plus grande foire du
cannabis d’Europe », a pris ses quartiers à Iràºn, sur la rive basque espagnole du fleuve limitrophe. Si le pays reste ancré dans une profonde tradition conservatrice, en termes de consommation de
marijuana, c’est la tolérance qui prévaut.
Mais dans l’austère Palais des congrès, transformé en hypermarché pour jardiniers en herbe situé à deux pas de la frontière, « il est interdit de fumer », rabâche la voix enregistrée d’un speaker polyglotte. L’annonce est diffusée en boucle dans l’enceinte de 12 000 mètres carrés que se partagent près de 200 professionnels du secteur.
Les dernières nouveautésDe toute façon, Tony et Mathilde n’étaient pas descendus du bassin d’Arcachon pour consommer. « On préfère fumer tranquillement chez nous. » Ni même pour acheter : « C’est plus sûr via Internet. » Alors à quoi bon avaler plus de 400 kilomètres en moins de qurante-huit heures ? D’autant que d’ordinaire, la cité frontalière n’attire guère les tourtereaux. Sauf si ces derniers sont en quête d’alcool et de
cigarettes bon marché.
« Cest la sortie du week-end », renseigne la jeune préparatrice en pharmacie. « Nous sommes tous les deux des consommateurs quotidiens de
cannabis et nous possédons quelques pieds à la maison. C’est l’occasion pour nous de venir découvrir les dernières nouveautés en termes d’engrais, de lampes… Nous nous renseignons aussi sur les différentes variétés de graines commercialisées, mais ça ne vaut pas la peine de prendre des risques en passant la frontière. »
Après une nuit dans leur fourgon, le couple de Girondins repartira donc le coffre vide et la conscience tranquille. « Les exposants ne viennent pas ici pour faire du chiffre. La plupart des visiteurs sont des Français qui craignent les contrôles de police, alors ils préfèrent ne rien rapporter », explique l’un de ces marchands d’interdit, le sourire sobre et pourtant radieux.
Car Daniel Kresse est l’heureux patron d’une des rares banques d’Espagne solvables. Celle-ci vend des semences. 1,5 million de petites graines par an qui assurent à ce petit entrepreneur d’origine allemande un business florissant. Du coup, le « banquier » de Valence, dans le sud du pays, se contente volontiers de faire acte de présence à Iràºn, trois jours durant.
« L’industrie cannabique est un petit milieu. Alors il faut venir pour se montrer. Mais si on ne vend pas sur place, on se rattrapera par Internet. » Ici, une carte de visite échangée représente un client potentiel. Des carnets de commande qui se noircissent, quand l’économie ibérique sombre dans la déprime.
Un business juteuxL’an dernier, pour sa première édition, Expogrow a accueilli près de 16 000 visiteurs. Dont 40 % de Français. Un public de cultivateurs de
cannabis rarement (voire jamais) approchés par des professionnels du secteur. « C’est tout un marché à conquérir », gage Thomas Duchene, l’organisateur de l’événement, un Français exilé en Espagne depuis douze ans.
« En tant que simple distributeur, je participais aux foires dédiées au
cannabis qui avaient lieu en Espagne (NDLR : il existe une poignée d’événements similaires à travers le pays), en Europe ou au Canada. Mais j’avais plus d’ambition. Je voulais apporter une valeur ajoutée. Alors nous avons organisé des animations diverses, fait venir des groupes de musique, mais surtout, nous sommes installés à 200 mètres de la frontière. »
Sur ce coup de poker, le Français a eu du flair. À 12 euros le pass journée (entrée interdite aux mineurs), la seconde édition d’Expogrow devrait s’avérer plus que lucrative pour Planta sur distribuciones, la société de Thomas Duchene.
Les associations écœuréesCôté basque français, la stratégie commerciale parfaitement assumée écœure les associations de lutte contre les toxicomanies. « Après cela, on a l’air de cons à passer de lycée en lycée pour faire la morale aux jeunes ! » : le Luzien Christian Vignaud, président de l’association Zubia, voit rouge. « C’est clairement de l’incitation. Avec une foire comme celle-là de l’autre côté de la frontière, qui vante la simplicité de la culture à domicile, comment voulez-vous que notre message de prévention soit audible ? »
Mais pas de quoi donner le moindre remord à Thomas Duchene. « Je n’ai pas l’impression d’être le diable incarné. Je ne deale pas de l’héroïne, tout de même. Nous parlons là d’une plante. » Un produit naturel certes, mais défendu au nord des Pyrénées. Là où l’homme à la main verte semble condamné à faire pousser son herbe étouffée au fond d’un placard ou dissimulée entre deux plants de tomates.
Source :
http://www.sudouest.fr/2013/09/15/a-iru … 2-1147.php