De la guerre à  la drogue à  la prévention des addictions

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psychodi homme
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Bonjour à  toutes et tous

voici un texte (un peu long) que j'ai trouvé intéressant à  faire partager (trouvé dans la revue Psychotropes). Bonne lecture !!

De la guerre à  la drogue à  la prévention des addictions : à  quand l’ouverture de l’impossible débat ?
Auteur : Jean-Michel Costes
Directeur de l’OFDT de 1995 à  2011
International expert on drug issues


Les controverses récentes autour des « salles de shoot », ou des questions liées au statut légal du cannabis nous démontrent une nouvelle fois que, sur la question des drogues, un débat public serein est impossible tellement y dominent l’idéologie, la morale et leur corollaire : la caricature.


Il y a peu de domaines de notre vie privée et en société où existe un tel écart entre ce que savent et pensent les spécialistes et l’opinion publique et – encore plus – les responsables politiques, un monde, de l’autre côté du miroir, où règnent les dogmes et fausses évidences : drogues « douces/dures », théorie de l’escalade, le « fléau des drogues »…
Or la science a beaucoup progressé ces vingt dernières années. Ces avancées nous permettent de mieux comprendre la complexité du sujet. Aujourd’hui, nous savons que :


•les drogues (modificateurs de notre état de conscience) sont des « objets » ambivalents pouvant générer plaisir et souffrance ;

•il y a des bases ou mécanismes communs à  toutes les addictions (avec ou sans substances psychoactives) et aux facteurs individuels ou sociaux qui leur sont liés ;

•c’est le comportement vis-à -vis des substances (usage nocif, abus, dépendance) et non les substances en elles-mêmes qui sont le véritable enjeu de la prévention des addictions (Parquet, 1998) ;

•les drogues « illicites » ne devraient pas être qualifiées de « fléau », comme trop souvent elles le sont ; sinon comment nommer les causes principales de la surmortalité des jeunes : le suicide, les accidents de la route, l’abus d’alcool ?

•des solutions efficaces existent, pour prévenir ou aider à  une sortie de l’addiction, mais aussi pour réduire les dommages liés aux consommations de drogues (c’est sans doute en ce domaine que les preuves sur l’efficacité de certaines stratégies sont les plus probantes) (Strang et al., 2012)

De mes vingt ans d’expérience au cœur des évolutions des connaissances et à  proximité de la mise en œuvre des politiques publiques sur le sujet des drogues, je retire une conviction : s’il s’avère que les politiques publiques n’ont que très peu d’influence sur le niveau du phénomène de consommation des drogues, elles peuvent en avoir beaucoup sur les conséquences sanitaires et sociales de ces consommations.


Dans un premier temps, nous examinerons en quoi la politique menée en France ces dernières années est un échec et vers où il serait possible d’aller pour retrouver le chemin de la réussite. Deux des sujets les plus débattus mais aussi largement confondus seront approfondis : la pénalisation de l’usage de drogues et leur légalisation.

Ce constat d’échec et cette conviction qu’une autre politique est possible sont très largement partagés par une très large majorité des acteurs professionnels du secteur qui ont adopté une charte en ce sens. Ayant été le co-coordinateur de cette charte, rédigée à  l’initiative de la sénatrice Laurence Cohen à  la sortie de son rapport d’information sur les crédits de la mission MILDT (Cohen, 2012), je vais en reprendre l’argumentation.

Les enjeux auxquels la société française doit faire face :
Les consommations de produits psychoactifs se sont diversifiées et entraînent pour un large public des dommages importants (OFDT, 2013)

Ces dernières années, la consommation de tabac qui était sur une tendance à  la baisse semble reprendre pour une partie de la population et les indicateurs de consommation problématique d’alcool sont orientés à  la hausse ; la consommation de cannabis est restée stable à  un des plus hauts niveaux européens et celle de la cocaïne a progressé à  un rythme très élevé, les écarts entre la France et les pays les plus consommateurs se réduisant (Beck et al., 2011 ; OFDT, 2012 ; Pousset et al., 2012; Spilka et al., 2012). Les frontières entre le licite et le non-licite sont de plus en plus floues, comme l’illustrent la diversité des substances utilisées par les consommateurs de produits psychoactifs et l’importance émergente des « nouveaux produits de synthèse » (que souligne l’Observatoire européen des drogues dans son dernier rapport (OEDT, 2012)).


Le tabac et l’alcool, deux substances licites largement consommées, causent le plus de dommages à  la société, et les problèmes liés à  leur usage augmentent. Ils sont responsables chaque année de plus de 100 000 décès (Guérin, Laplanche, Dunant et Hill, 2013 ; Hill, 2012).


En ce qui concerne les drogues illicites, si l’épidémie de sida semble contenue, grâce aux mesures de réduction des risques, les taux de contamination des hépatites et particulièrement l’hépatite C des usagers de drogue restent d’autant plus inquiétants que l’injection se poursuit et que l’accès aux outils de réduction des risques est inégal, notamment pour les plus jeunes et les plus marginalisés. En milieu carcéral, la situation est particulièrement préoccupante, d’autant que le nombre d’usagers incarcérés n’a cessé d’augmenter (INSERM, 2010).


La mortalité liée aux usages de drogues illicites, de moindre ampleur mais touchant une population plus jeune, dont la croissance avait été cassée dans les années 1990 avec la mise en place des dispositifs de réduction des risques, a repris sa tendance à  la hausse, en même temps que la politique française abandonnait cette orientation (Janssen et Palle, 2010).


Focalisée sur ces aspects les plus préoccupants, notre représentation du phénomène des drogues est très largement influencée par les seules perspectives médicales et psychologiques. Or la consommation de drogues est un fait social établi (Bergeron, 2009). Analyser les liens entre « drogues » et « cultures » permet de mieux appréhender et comprendre certaines évolutions et la grande diversité des usages de drogues dans différents groupes sociaux (Hunt, 2010).


Notre société est addictogène : « Les modes de vie qu’elle détermine, les objets qu’elle produit, les comportements qu’elle promeut, les relations qu’elle instaure entre ses membres, toute la culture moderne semble y contribuer » (Morel et Couteron, 2011). Au regard de cette évolution sociétale, se renforce une prise de conscience de la diversité des comportements pouvant conduire à  une addiction et la recherche de solutions visant à  prévenir ces derniers. Ainsi, l’ouverture du marché des jeux de hasard et d’argent sur Internet, nous oblige à  une vigilance accrue vis-à -vis du possible développement des problèmes liés à  cette pratique ludique. Ce domaine est aussi exemplaire d’un choix stratégique mettant en avant une logique de régulation et non de prohibition.


L’échec global d’une loi inadaptée et plus particulièrement d’une politique actuelle régressive :
La politique publique sur les drogues s’inscrit dans un cadre légal inadapté à  ces enjeux. La loi (de 1970) qui fonde l’intervention publique dans le domaine des drogues en France a plus de 40 ans. La politique menée sur cette base dans la seconde moitié du XXe siècle est devenue totalement obsolète au regard de l’évolution de la situation actuelle. Dans le monde, en Europe, en France, de plus en plus d’experts, comme l’illustrent les nombreux rapports publiés ces dernières années[2][2] Global commission on drug policies, Commission des droits...


Certes, en raison de l’urgence provoquée par l’épidémie de SIDA dans les années 1980, la politique française a connu une phase « pragmatique », mettant à  distance les seuls objectifs d’abstinence et d’éradication pour mettre en œuvre dans les faits une stratégie de « réduction des risques et des dommages dans les années 1990 », politiquement assumée à  la fin de cette période dans les principes soutenant le plan du gouvernement 1999-2002 et actée dans la loi de santé publique de 2004, qui retient le concept et en définit le référentiel dans un décret.


Mais depuis, nous assistons à  une évolution inquiétante :


•Une dérive sécuritaire fondée sur l’interdit de certaines drogues et le libéralisme vis-à -vis d’autres (alcool, tabac) qui, malgré quelques dispositions récentes, notamment les interdits de vente aux mineurs dont il reste à  évaluer l’effectivité, laisse se développer une offre massive.

•Une focalisation obsessionnelle sur le cannabis, laissant de côté les enjeux principaux de santé publique que représentent le tabagisme, la croissance des consommations d’alcool à  risque et la forte croissance d’utilisation des stimulants dans tous les milieux sociaux.

•Un « arrêt sur image » de la réduction des risques : pas d’évolution et d’ouverture vers de nouveaux dispositifs, aucune réponse aux recommandations de l’expertise collective de l’INSERM sur ce sujet (INSERM, 2010).

•Un retour à  la pénalisation effective de l’usage de drogues, fondé sur une loi de 1970 obsolète, qui fragilise le dispositif de réduction des risques en rendant son accès plus difficile.

Cette dérive répressive est illustrée par l’analyse de l’évolution des budgets alloués à  la « lutte contre les drogues et les toxicomanies » (les termes administratifs sont très démonstratifs : si ce n’est pas une guerre, il s’agit bien d’un combat). Ainsi, les documents budgétaires des crédits consommés par les différentes administrations sur ce domaine font état des évolutions suivantes entre 2008 et 2010 : une augmentation de + 74 % pour les crédits de « sécurité, ordre public », de + 13 % pour ceux de « prise en charge sanitaire et sociale » et une diminution de – 25 % pour les crédits de prévention. (Diaz-Gomez, 2012 ; Document de politique transversale, 2012).


De plus, la prévention est en ce domaine plus incantatoire qu’effective. Sur le terrain, au regard des standards internationaux et des bonnes pratiques (EMCDDA, 2013), la prévention sur les drogues et les addictions en France est globalement lacunaire et inefficace. Elle se caractérise par une multitude de micro-actions, focalisées sur l’information et sur les produits, fragmentées, avec la plupart du temps une absence de continuité. Il n’y a ni coordination ni évaluation de ses actions et une absence de stratégie construite et suivie en la matière.


Les stratégies ou dispositifs d’action sur les drogues en France se caractérisent aussi par une trop grande centralisation bridant toute initiative locale. À ce sujet, le contexte et les modalités de « l’expérimentation d’une salle de consommation supervisée pour usagers de drogues » en sont une illustration marquante.


Enfin, il faut constater qu’à  de rares exceptions près, le « sujet des drogues » est rarement investi et traité avec la priorité qu’il mériterait par les différents gouvernements, quelle que soit leur couleur politique. C’est un sujet à  éviter tant que l’on peut, sur lequel on voit se développer des stratégies d’évitement. Ainsi, un an après son accession aux responsabilités, le nouveau gouvernement n’a pris qu’une timide mesure (bien que hautement symbolique) avec l’annonce de l’ouverture d’une seule salle de consommation dans la seule ville de Paris. Aucun bilan et analyse critique n’ont été faits sur les cinq ans passés et l’échec des objectifs annoncés par le précédent plan du gouvernement.


Une autre politique est possible, qui passe par l’adoption de nouveaux principes…Principes directeurs d’une nouvelle politique sur les drogues et les addictions
L’objectif d’une nouvelle politique devrait être de réguler les usages de toutes les drogues (et des comportements comportant un risque potentiel d’addiction) afin d’en réduire les dommages sur le bien-être de chacun et de tous.


Cette approche doit être basée d’abord sur les principes fondamentaux du droit et des valeurs de l’UE : le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, la solidarité, la primauté du droit et des droits de l’homme.


Elle doit viser à  protéger et à  améliorer le bien-être de la société et de l’individu, afin de protéger la santé publique et d’offrir un niveau élevé de sécurité pour le grand public.


Axes stratégiques d’action
Une nouvelle stratégie sur les addictions devrait s’articuler autour des quatre axes suivants : réduire l’offre, prévenir les usages nocifs, réduire les dommages liés aux usages de drogues et améliorer l’accès et la qualité des soins :


•La « prévention » vise à  la réduction globale de la consommation de drogues en évitant que les gens ne se mettent à  en consommer et/ou qu’ils ne passent du simple usage à  l’usage nocif ou à  l’addiction. Elle doit devenir l’axe premier d’une autre politique des drogues. Savoir vivre et se protéger dans un monde où drogues et comportements addictifs s’inscrivent dans l’environnement de tous, dès l’enfance, est un enjeu d’abord éducatif. Informer sur les dangers des drogues et fixer des interdits est nécessaire mais totalement insuffisant. L’éducation préventive passe par des programmes structurés mais aussi par des stratégies d’intervention précoce et des soutiens aux familles et communautés qui sont toutes confrontées à  ces questions.

•La « réduction des risques et des dommages » vise à  minimiser les effets négatifs de la consommation de drogues sur les usagers et sur la société en rendant possible une consommation entraînant moins de problèmes individuels et sociaux et prendre en charge les dommages liés à  ces consommations. Elle s’appuie sur des dispositifs ou actions qui cherchent à  atteindre des populations éloignées du dispositif de soins, souvent précarisées, partent de leur demande (matériel rendant la consommation moins dangereuse, conseils, soins somatiques, accès aux droits, survie), s’y adaptent avec un seuil d’exigence adapté et facilitent l’accès aux soins.

•Le « soin » vise à  sortir d’un usage nocif ou d’une addiction et à  améliorer l’intégration sociale et la santé des personnes traitées. Il se décline en réponses ambulatoires ou résidentielles, associant substitution, abstinence ou consommation contrôlée, faisant appel aux acteurs de la ville, aux professionnels des Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) ou des Centres d’Accueil et d’Accompagnement pour la Réduction des Risques des Usagers de Drogue (CAARUD) et aux personnels des Équipes de Liaison et de Soins en Addictologie (ELSA) et des services de sevrage.

•La réduction de l’offre de drogue et la réduction des dommages dus au trafic de drogues : ces deux objectifs, retenus par le dernier plan drogue de l’Union européenne (2009-2012), doivent être mis en cohérence avec l’objectif plus global de protection de la santé de la nouvelle stratégie souhaitée. Les usagers de drogues doivent relever de la santé publique, tandis que les services de police doivent se consacrer à  leur mission : la lutte contre les grandes organisations criminelles d’une part, la sécurité de tous les citoyens d’autre part.


…et par une nécessaire révision de la loi comprenant une dépénalisation de l’usage
Une loi contestable effectivement appliquée
« L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende » (Article L3421-1 du code de la santé publique). De plus, « la provocation… ou le fait de présenter ces infractions sous un jour favorable est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende » (Article L3421-4). Ce délit est établi au titre de la santé publique, car ce texte est inscrit dans le code de santé publique. Or ce niveau de sanction pour un dommage fait à  soi-même est une exception dans le code de la santé publique.


En France, la pénalisation des usages de drogues illicites, contrairement aux idées reçues, est effective. Elle atteint aujourd’hui des niveaux jamais égalés comme le montrent ces dernières années : la forte augmentation des interpellations pour usage de stupéfiant, la systématisation de la réponse pénale apportée à  ces interpellations.


Tout d’abord, la palette des réponses pénales à  ce contentieux s’est élargie. Elle comprend actuellement une large part de sanctions prononcées par les parquets, en amont des tribunaux : injonctions thérapeutiques, orientations sociosanitaires, stages de sensibilisation obligatoires et payants. D’autre part, on constate une augmentation du taux de poursuite et celle du nombre (et du taux) de condamnations pour usage comme infraction principale. Actuellement un usager interpellé sur sept fait l’objet d’une condamnation pénale. Les condamnations pour usage et détention ou acquisition représentent 73 % des condamnations pour infraction à  la législation sur les stupéfiants ; celles relatives aux trafics 27 %. L’introduction des peines planchers en cas de récidive laisse présager une forte progression du nombre d’individus incarcérés pour un usage de stupéfiants, au titre du seul délit de se faire du mal à  soi-même (Jean, 2010 ; Obradovic, 2010).


Les dommages induits par la pénalisation des usagers
La criminalisation ou pénalisation des usagers de drogues fait obstacle à  la protection de la santé en rendant plus difficile leur accès aux services de prévention et de soins, et accroît leurs prises de risque par la clandestinité. Ainsi, loin de protéger la santé, la répression de l’usage contribue à  son aggravation comme le documente la « Global Commission on Drug Policy » dans ses travaux qui rassemblent des études scientifiques de haut niveau (www.globalcommissionondrugs.org) :


•la criminalisation des personnes qui consomment des drogues illicites et les oppositions à  l’offre de seringues stériles et de traitements de substitution à  base d’opioïdes favorisent l’extension de l’épidémie de VIH (Global commission on drug policy, 2012 ; Rhodes et al., 2002) ;

•la répression des usagers de drogues les éloigne des services de prévention et de soins et les poussent à  se tourner plutôt vers des milieux où le risque de transmission de maladies infectieuses et d’autres dommages est plus élevé (Bluthenthal, Kral, Lorvick et Watters, 1997 ; Davis, Burris, Kraut-Becher, Lynch et Metzger, 2005).

En France, de nombreuses observations d’acteurs de terrain du dispositif de réduction des risques font état de difficultés accrues pour approcher ou faire venir les usagers de drogues dans ce dispositif. D’autre part, malgré ses limites et la difficulté d’en analyser les tendances d’évolution, force est de constater que les décès liés aux drogues (cf. définition de l’indicateur clef européen) sont de nouveau en forte progression ces dernières années, concomitamment avec le changement d’orientation de la politique s’orientant vers une approche plus répressive vis-à -vis des usagers de drogues.


Quelques indicateurs clefs présentés dans le dernier rapport de l’OEDT sont dans ce domaine assez éloquents. Ils traduisent une politique française à  contretemps de la majorité des États de l’UE. Ces cinq dernières années :


•les interpellations pour usage de stupéfiants ont progressé de 35 % en France vs 19 % en Europe ;

•elles représentent 86 % de toutes les ILS en France vs 70 % en Europe ;

•la mortalité liée aux usages de drogues illicites a progressé de 37 % en France vs 14 % en Europe ;

•cette progression a perduré sur les années les plus récentes alors que la tendance d’évolution se modifiait sensiblement puisqu’elle s’inversait, amorçant une décroissance (OEDT, 2012).


Les faux arguments du statu quo
Le principal argument opposé à  son changement est la mise en avant de son rôle de prévention d’une croissance des consommations. Avec 40 ans de recul, on peut maintenant affirmer que la pénalisation de l’usage de stupéfiants n’a pas réussi à  enrayer ni leur disponibilité ni leur consommation.

Preuve est faite, au plan européen, que la plus ou moins grande sévérité des sanctions prévues pour un usage/détention de drogue n’a pas d’influence sur le niveau des consommations. En effet, au cours de la décennie écoulée, plusieurs pays européens ont modifié leur législation sur le cannabis. La comparaison des niveaux de prévalence de la consommation de ce produit avant et après le changement de la loi, pour ces pays permet de déterminer si un changement notable de la consommation peut être observé dans les années qui ont suivi la réforme. Or, au cours de cette période de dix ans, dans les pays concernés, aucune corrélation n’est établie (OEDT, 2011).

Le second argument est celui de la valeur éducative de l’interdit. Argument assez habile, car il classe automatiquement les partisans d’une dépénalisation dans le camp du laxisme. Argument non fondé pour au moins deux raisons :


•une interdiction ne se traduit pas forcément par une sanction d’emprisonnement, notamment dans le registre de la santé publique et d’un seul dommage fait à  soi-même ;

•dépénaliser « les usages » ne veut pas dire supprimer l’interdit sur les « drogues ».


Il est donc urgent de réviser la loi de 1970
En effet, la pénalisation des usages de drogues n’est pas compatible avec une nouvelle politique qui vise à  protéger et à  améliorer le bien-être de l’individu et de la société, à  protéger la santé publique et à  offrir un niveau élevé de sécurité pour l’ensemble de la population.


Tout d’abord, il faut s’entendre sur les mots. La « dépénalisation » de l’usage des drogues (supprimer la sanction pénale attachée à  un comportement individuel, l’usage, la possession ou la détention pour usage personnel, d’un produit classé comme stupéfiant) n’est pas à  confondre avec la « légalisation » (donner un statut légal, plus ou moins encadré, à  un produit, le rendre légalement accessible).

Sur cette question, on constate des signes de convergence au niveau européen. Une majorité de pays s’orientent vers l’application de peines inférieures pour la détention de drogue à  des fins de consommation personnelle (OEDT, 2012).

Dépénaliser « les usages » ne veut pas dire supprimer l’interdit sur les « drogues » : cet interdit, comme le niveau requis de régulation, devrait être réexaminé, produit par produit, objet d’addiction par objet d’addiction.

La dépénalisation est compatible avec une volonté de contrôle sur l’offre de drogues, pragmatique, qui prenne en compte le fait que l’interdit ne règle pas tout. Une démonstration magistrale en est faite par la dynamique de diffusion des nouvelles drogues de synthèse jouant sur la difficulté d’établir la frontière entre le licite et l’illicite (OEDT, 2012).


Ce changement de la loi permettra :


•de redonner sens à  la loi et de lui donner l’opportunité d’être pleinement applicable et appliquée ;

•de mettre en place un vrai programme national de prévention en redonnant un rôle central à  la question éducative pour prévenir le passage aux usages problématiques de drogues ;

•de réorienter l’action des services de police vers l’application des mesures de régulation/prohibition de l’offre de drogues ou objets potentiels d’addiction.


De la prohibition à  la régulation de l’offre : ouvrir le débat
La question de la légalisation, ou du niveau de contrôle sur l’offre des drogues, est un autre débat qui, bien que moins évident, doit également être mené, mais à  un autre niveau (international) car la marge de décision de la France en ce domaine est restreinte.
Si la question reste ouverte, complexe et sensible, nous devons tout de même l’affronter.

Quels sont les termes du débat ?

Trois axes de réflexion me semblent pouvoir bien structurer cette réflexion


L’analyse comparative des coûts/bénéfices des différents objets d’addiction
C’est une question à  traiter produit par produit, car les enjeux ne sont pas les mêmes selon leur degré de diffusion (tel que le cannabis, consommé par une large fraction de la population, ou la cocaïne ou l’héroïne, dont l’usage est plus confidentiel) ou leur dangerosité relative.

Les deux principaux travaux scientifiques menés par Bernard Roques et David Nutt sur ce sujet sont convergents. Ils visent à  classer les drogues selon leur dangerosité. Il serait par ailleurs intéressant de les compléter en prenant comme objet d’étude l’ensemble des addictions (incluant les addictions sans substances).


À l’issue de sa revue de littérature, B. Roques établit un classement de tous les produits psychoactifs en fonction de leurs propriétés pharmacologiques, des risques de dépendance physique et psychique, de leur neurotoxicité et de leur dangerosité sociale ; en les regroupant selon les trois groupes suivants, en ordre décroissant de dangerosité :

•héroïne, cocaïne, alcool ;

•hallucinogènes, ecstasy, tabac, benzodiazépines ;

•cannabis (Roques, 1999).

L’analyse des dommages induits par les drogues au Royaume-Uni, menée par David Nutt et publiée dans le Lancet en 2010, couvre vingt substances dont la dangerosité est appréhendée à  partir de seize critères (dommages individuels, collectifs, sanitaires, sociaux). Les résultats, validés par un comité scientifique indépendant, classent les principaux produits dans l’ordre suivant : alcool (1), héroïne (2), crack (3), cocaïne (5), tabac (6), cannabis (8) (Nutt, King et Phillips, 2010).

Malgré quelques différences mineures, inhérentes à  tout exercice de classement, la conclusion de ces deux travaux de référence est identique : il n’y a pas de lien entre dangerosité des drogues et le classement légal des substances.


L’histoire des politiques publiques sur les drogues et de leurs évolutions
La perspective historique dans l’analyse des évolutions des politiques publiques de régulation/prohibition des drogues (légales ou non en fonction d’un contexte culturel et historique mouvant) est riche d’enseignement. Ceci a été particulièrement bien documenté dans le cas de l’alcool et des opiacés.
Ainsi, dans le cas de l’opium et de ses dérivés, un observateur averti pourrait croire que le régime actuel prévalant au plan international, la prohibition, a toujours existé. Or il n’est pas immuable. Il date des années 1960 et a fortement évolué au cours des deux siècles précédents. Au XIXe siècle, l’opium faisait l’objet d’un commerce organisé. Il représentait 15 à  20 % des revenus des colonies d’Asie de la France et de l’Angleterre. Deux « guerres de l’opium » ont été entreprises au milieu de ce siècle pour ouvrir le marché chinois à  l’opium indien. Les opiacés de synthèse sont des inventions européennes : la morphine en 1803 et l’héroïne en 1874. Ils se sont progressivement imposés sur le marché américain et européen. Globalement, à  la fin du XIXe siècle, la consommation mondiale d’opiacés était au moins aussi importante que celle qui prévaut actuellement, l’opium y tenant une place prépondérante ; il s’agissait principalement d’une consommation à  dimension récréative ou médicale. Il semble que cette consommation amorçait un certain déclin, avant l’évolution d’une réglementation internationale qui va s’orienter au cours du XXe siècle vers la prohibition, mouvement amorcé en 1909, à  la conférence de Shanghai, porté par les États-Unis et qui aboutira dans les années 1960-1970 à  la signature des principales conventions internationales prohibitionnistes lorsque les anciennes nations coloniales, ayant perdu leurs colonies, rejoindront la perspective américaine. Le régime de prohibition a eu des effets pervers : l’héroïne (dont le trafic est plus aisé que celui de l’opium) se substitue à  l’opium, le marché des opiacés principalement illicite est moins contrôlé, le mode d’administration par la voie veineuse se développe, l’accès aux soins d’usagers de drogues « criminalisés » est rendu difficile, leur état de santé se dégrade (Paoli, Greenfield et Reuter, 2012).


L’analyse des impacts de la lutte contre l’offre
La question de la lutte contre les trafics et des dommages induits (criminalité, corruption, développement des mafias) est très peu documentée. Elle est pourtant cruciale si l’on veut pouvoir dresser le bilan de l’impact d’une stratégie basée sur la prohibition (Coppel et Doubre, 2012).


On peut toutefois constater que :


•la lutte contre le trafic n’est pas menée en fonction de ses résultats ; on ne sait pas lorsqu’on interpelle un trafiquant quelles en sont les conséquences sur l’organisation du trafic ;

•ces dernières années, la violence s’est exacerbée ; il y aurait plus de cent morts violentes associées au trafic de drogue depuis le début de l’année ;

•ces questions se posent déjà  en Amérique du Nord comme en Amérique du Sud amenant certains de ces États à  remettre en cause le modèle de la prohibition comme seule solution.

Ces pistes de réflexion sont bien loin de couvrir toute la complexité de ce débat et d’avancer une position définitive sur ce sujet. Elles mettent l’accent sur l’absence de données vraiment probantes sur ces questions. De plus, si la critique de la prohibition commence à  être solidement étayée, elle bute encore sur l’absence de perspectives opérationnelles : quelle politique pourrait-on lui substituer ?


En conclusion
Aujourd’hui, le débat sur les drogues est soigneusement évité, enfermé dans des questions de principe alors qu’il faudrait commencer par tirer les enseignements de l’échec des politiques menées ces dernières années. Avec le renforcement de la répression des usagers, leur état de santé s’est aggravé, sans pour autant limiter les consommations de drogues puisque globalement, les consommations ont même augmenté entre 2007 et 2011, tandis que la violence liée au trafic s’est exacerbée sur le terrain. Il n’y a pas de solution simpliste en matière de drogues, mais il faut commencer par mettre en œuvre les politiques de santé qui ont fait leurs preuves pour prévenir les usages nocifs et réduire les risques et dommages liés aux consommations de toutes les drogues, licites ou illicites. Fermer le débat public, c’est s’interdire toute évolution. La question éducative étant au cœur du sujet « des drogues », il est bien dans le rôle du ministre de l’Éducation d’ouvrir un débat sur l’approche éducative des usages de drogues comme de l’ensemble des comportements addictifs.


Cette réflexion et cette aspiration ne peuvent pas être si simplement rejetées par les opposants à  toute évolution au titre de son « laxisme ». Elles ne sont pas nouvelles. Il convient ainsi de rappeler la position de l’Église de France, que l’on ne peut accuser de « tendance libertaire », exprimée par la commission sociale de l’épiscopat en 1997. Dans sa réflexion, elle fait preuve d’une compréhension de la complexité du phénomène de la « toxicomanie » qui « interroge nos fonctionnements sociaux, car elle intervient là  où un corps social, atteint de diverses blessures, peine à  les prendre en considération et à  les traiter ». Elle énonce une exigence de placer en premier le traitement de la (re)socialisation des toxicomanes qui doit permettre au « toxicomane de retrouver sa fécondité sociale » (Commission sociale de l’épiscopat, 1998).

Ces principes humanistes devraient pouvoir faire consensus, débloquer et remettre en mouvement, dans le sens du progrès, une politique publique qui, depuis l’élargissement à  l’alcool et au tabac de 1999 et l’inscription de la « réduction des risques » dans la loi en 2004 fait du sur place, quand elle ne régresse pas.

Exprimons un souhait, celui que notre politique publique sur les drogues passe à  l’âge adulte, abandonne l’approche idéologique et morale en s’inspirant des principes énoncés dans la « déclaration de Vienne », déclaration officielle de la XVIIIe Conférence internationale sur le Sida (SIDA 2010), principes que l’on retrouve dans la stratégie de l’UE :



« Une réorientation des politiques liées aux drogues vers des approches fondées sur des preuves qui respectent, protègent et renforcent les droits humains pourrait réduire les préjudices causés par les politiques actuelles et permettrait de rediriger les considérables ressources financières là  où on en a le plus besoin, c’est-à -dire dans l’adoption et l’évaluation d’interventions scientifiques de prévention, de réglementation, de traitement et de réduction des préjudices. »

Bibliographie Références bibliographiques
Beck, F., Guignard, R., Richard, J. B., Tovar, M. L., Spilka, S. (2011). « Les niveaux d’usage des drogues en France en 2010 », Tendances, n° 76, OFDT, juin. Retrieved from http://www.ofdt.fr /ofdtdev /live /publi /tend /tend76.html.

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