OK je porte mes jambes alors qu'elles devraient me porter. OK je ne sais pas si je vais dormir cette nuit. OK je picole et mes mains tremblent . C'est la loi du manque mais je suis au chaud devant un clavier.Les souvenirs me remontent comme des retours d'acide.
TÉHÉRAN Février 1977.
6 mois que je coince dans cette ville de dingues. Le soleil se couche et des milliers de minarets balancent sur des radio-cassette pourris l'appel à la prière. Mon corps, lui, me pris de bouger mon cul de cette chambre minable et d'aller trouver de quoi nourrir le singe sur mon dos. Le manque. Je descend l'escalier après avoir gobé un MandraX pour me donner du courage ; je n'aime pas faire la manche mais ce soir il le faut. Calé dans son fauteuil, le manager me le rappelle avec son sourire de squale.
-Tonight you give some money...
Je lui dois trois nuits et je sais que ce soir si je ne ramène pas un billet il est capable de me laisser dehors. Il faut que je fasse minimum 500 Rials. De quoi me payer un un quart de gramme et apaiser le requin de l’hôtel.J'attaque l'Avenue Palhavi et branche un jeune en jean et veste années 60. Je lui débite en anglais mon discours habituel.
On m'a tout volé et j'attends de l'argent à l’Ambassade, si vous pouvez m'aider pour manger et payer mon hôtel etc...J'ai aussi la version en parsi mais lui est plutôt content de me savoir français et me balance les quelques mots qu'il connait...en même temps qu'un billet de deux cents et quelques pièces. Il me murmure tout le mal qu'il pense du Shah, de la dictature, et se barre alors que je le remercie. Ca commence plutôt bien et le MandraX monte, lente euphorie cotonneuse. J'ignore le militaire qui m'interpelle "Mister, come here" et son collègue me chope le bras et m'assène le mot fatal.
- Passeport,please.
En dégainant mon vieux passeport dégueulasse je sais que je suis mort. Je n'ai plus de visa depuis 2 mois.
Les deux flicards m'emmène en garde à vue. Une grande pièce nue aux murs ravagés par l'humidité avec un trou servant de chiotte. Une dizaine d'Iraniens m'accueille sans un mot, le regard morne. Je m'accroupis dans un coin. La taule ou expulsé ? Je m'interroge un moment avant que le singe ne commence délicatement à me grignoter la cervelle. Je cogne à la porte, hurle, "Bimaristan, Hospital" jusqu'à ce qu'un des gardiens s’amène et m'ouvre."Hospital ? come with me". Il me conduit derrière l'un des bâtiments du commissariat, me menotte à un poteau et se marre "This is Bimaristan".
Il neige sur Téhéran. Une neige grise qui fond sur le sol et sur ma tronche. Le manque, lui, ne fond pas; il se contente de faire sa route dans mon organisme dévasté.Téhéran , Février, 1500 mètres d'altitude je me gèle les couilles mais en passant les flics, toujours compatissants, viennent me les réchauffer, me les tâtent en échangeant des vannes qu'ils croient que je ne comprends pas . Je suis enchainé en dessous de leur vestiaire. Histoire de rire l'un d'eux me pisse dessus du haut du balcon. Quand celui qui m'avait amené revient,en civil avant de quitter son service et me dit"Hospital???" je ferme ma gueule de petit connard humaniste et je l'embrasserais presque quand il m'ouvre la cellule ou je vais passer la pire nuit de ma vie.
Pour l'instant...
Le lendemain on me traîne devant ce qui semble être un juge qui ne me laisse même pas entrer dans son bureau, me jette un regard de dégout et tamponne mon passeport comme on tranche le coup d'un poulet.
Expulsé et interdit de séjour en Iran pour 10 ans. Putain, comme si j'avais l'intention de revenir dans ce pays de merde! Je suis en vrac et c'est un tas d'os et de chair puant le manque que l'on transfère à une autre administration. Services de l'Immigration.
RETOUR AU RÉEL
Je suis tombé ce matin à 2h et j'ai dormi 4H avec 10 mg de
Valium. En me réveillant j'avais dans la gueule le
gout métallique des cachetons. Après quelques spasmes je suis allé gerbé de la bile. Je n'avais pas le courage de me remettre devant le clavier, j'ai gobé un Céresta 50 mg et je suis reparti me coucher. Réveil à 12H ma copine est en train de manger et m'a préparé le café. 10H de sommeil en deux épisodes mais dans ma tête je n'ai pas quitté Téhéran. Il faut que j'arrive au bout de cette histoire, que je vous emmène à la frontière turque! Suivez le guide de déglingue !
Nouvelle cellule donc. 15m2 fermés par une grille et un semblant de chiotte dans un coin.L'immigration m' a alloué une petite somme pour bouffer et les clopes : je suis Français quand même! La femme afghane qui, dans la cage mitoyenne, prie et pleure non-stop en invoquant Allah n'y a certainement pas eu droit.Je ne l'ai q' entraperçue. Une boule de chair informe sous son tchador bleu dont seule la voix laissait passer un souffle de vie à travers son grillage de tissu. Les Afghans ce sont un peu leurs immigrés, leurs Arabes.L'Iran c'est un pays riche, la Shah roi du pétrole ! J'avais demandé à bouffer, du thé et deux paquets de Winston, quand sont arrivés les œufs au plat baignant dans une mare d'huile et trois chapatis, je trempe un bout de pain dans le plat , tente l'ingurgiter mais mon estomac effectue un triple salto et j'ai juste le temps d' aller au chiottes. Ce n'est pas de cela que mon corps a faim. C'est d'un quart de gramme de
brown sugar dissous dans une cuillère à soupe. Il faut y ajouter un zeste de citron,un peu d'acide citrique pour que la poudre se dissolve;ça dégage une odeur qui me remonte aux narines, me fait frissonner des veines.
La nuit s'annonce. J'ai fait passer les galettes de pain à l’Afghane. Ça a interrompu sa mélopée, je l'entendais juste mâchonner en chialant. Recroquevillé dans une couvrante douteuse je pleurais deux ans de défonce intensive:1an et demi au Pakistan à la
morphine et à l’opium, 6 mois à Téhéran parfumés au
brown sugar. Dans ma tronche c'était la farandole des dealers de Téhéran, ils étaient tous là à danser en agitant des paquets comme pour me dire au revoir et à bientôt. Il y avait Hakim, le régulier, un ténébreux a casquette qui planquait les paquets dans sa bouche, passait dans la ruelle et lançait un signe de tête. Nous étions une dizaine à le suivre . Il dispatchait la
came et nous nous cassions comme une nuée de moineaux chacun vers nos piaule pour vite se l'envoyer dans les veines. Kassem, avec ses vestes à carreaux et ses chemises fluos col pelle à tartes ridicules.Avec lui pas de crédit. Une calculette à moustache, Kassem, mais presque toujours approvisionné. Ahmed, un petit trapu au fin collier de barbe, vouté dans son éternel anorak beige, une solution de dépannage; sa poudre était bien servie mais quelquefois trop blanche pour être honnête...Et tous ceux dont je ne connaissais pas le nom. Chauffeurs de taxi qui quand je disais Chouch ou Darwarzagar savaient très bien ce que j'allais chercher dans les quartiers les plus déshérités de la ville. Il me surtaxait la course, me laissait à un mec qui m'entrainait dans des ruelles puantes ou très peu d' occidentaux pouvaient s'aventurer. Je passais bien avec ma gueule de métèque mais un blondinet risquait de se faire dépouiller autant par les mecs que par les flics. Il fallait bien repérer le chemin dans ce dédale pour pouvoir rejoindre l'avenue et reprendre un taxi car je savais qu'une fois le deal accompli mon guide allait disparaitre comme un fantôme. Il frappait un code à une porte, disait un chiffre et un le guichet grillagé dans la porte s'ouvrait. Seul deux yeux hyper maquillés apparaissaient sous le voile et une main fine aux ongles peint tendait les paquets. Le temps que je me retourne mon guide s'était évaporé.
Toute la nuit les dealers ont dansés, sarabande infernale,ils ont invité des confrères de tous les pays accompagnés par les lamentations de la femme Afghane. On l'avait séparée de son mari et de ses enfants, elle ne savait pas ce qu'ils allaient faire d'elle. Peut-être que tout les flics de la ville lui était passé dessus. Elle, priait, chantait, pleurait tout à la fois. C' était un blues afghan, un chant de douleur lancinant venu du plus profond de l'âme, du temps. Sa mélopée déchirait le cœur et m'arrachait à ma propre douleur. Ma souffrance n'était rien comparée à la sienne et je grillais des clopes laissant les larmes couler de mes yeux fiévreux. Quand les flics en avaient marre de l'entendre l'un d'eux venait, frappait sa matraque sur les barreaux en l'insultant. Quelque minutes plus tard elle reprenait de plus belle.
Le lendemain, on m'emmena à la gare direction Tabriz et la frontière turque. Deux flics m'accompagnait. Un gros rondouillard, presque chauve ,court sur patte et un grand échalas à l'air totalement abruti. Nous avions un compartiment réservé qu'ils fermèrent avec des menottes. Je m'absorbais dans la contemplation du paysage en pensant à ce qui m'attendait, au destin. Le roulis du train me berçait au point que j'arrivai à m'assoupir, presque à dormir. Les deux sbires étaient du genre muslims-express, fast-prière! Ils expédiaient ça vite fait bien fait à tour de tour de rôle sur les quais de gare.
La nuit , la troisième...
Les banquettes ouvertes formaient un plumard ; j'étais au milieu, pris en sandwich et ce qui devait arriver arriva. Franchement, il fallait avoir faim vu mon état!!! Le gros salopard commença à essayer de me tripoter en me murmurant à l'oreille des promesses d’héroïne. J'éloignais ses sales pattes de mon cul et de ma braguette mais il se frottait contre moi. Puis il s'est calmé. Il venait sans doute de jouir dans son froc.
Son compère dormait du sommeil du juste. Sans doute la nuit la plus longue de ma vie.
Le lendemain on me livra dans un autre immeuble de l'Immigration. Derrière un bureau trônait un mec gominé en costard avec une moustache taillée à la Clark Gable. Dès qu'il a vu mon passeport il a sourit "Ah, vous êtes français. Asseyez vous,j'ai fait mes études en France". il parlait un français châtié, presque sans accent. Il a congédié mes gentils enculés d'accompagnateurs, commandé du thé et des biscuits et a commencé à me parler de Paris, des femmes, de littérature. Balzac, Flaubert, Zola...Ah, La Comédie Humaine ! Putain, on était là tout les deux à en jouer un drôle d'acte, lui dans son costard, impeccable et moi dans mes fringues puantes à discuter des classiques français en grignotant des pâtisseries en buvant du thé. Quand il a feuilleté mon passeport constellé de visas il a sourit"Vous êtes sur la route, on the road comme Jack Kerouac!" J' ai acquiescé en me marrant intérieurement.
De Tabriz à la frontière il y avait quelques dizaines de bornes que nous avons parcouru en continuant de papoter dans une voiture avec chauffeur aux banquettes moelleuses. Je n'avais plus de menottes, je voyais le bout du tunnel. Le play-boy francophone m'a rendu mon passeport après un ultime coup de tampons des autorités iraniennes. Un billet de banque dépassait tel un marque-page. Il m'a souhaité bonne chance je lui est dit "Merci" en songeant avec ironie que "Merci" était un mot qui existait en français et en parsi. Trois pas et j'étais en Turquie. Un douanier que j'avais l'air de réveiller m'a mis un coup de tampon au hasard des pages et je me suis retrouvé sur le bord de la route, clochard qui n'avait rien de céleste, avec face à moi le Mont Ararat. Je me sentais con tendant le pouce face à cette immensité.
Des tarés mystiques s'y aventuraient parfois à la recherche de restes de l'Arche de Noé et si un minibus s'arrêtait et voulait bien me prendre je connaissais à Istanbul une pharmacie dans les faubourgs ou l'on vendait la teinture d'
opium par quart de litre et pas cher.
Mon plus proche dealer était à 3000 bornes et alors ? Je n'avais pas l'intention de décrocher!
RETOUR AU RÉEL
Voilà c'est fini...ou presque. Sans le vouloir j'ai été un peu long. En fait, j'ai revécu toute cette histoire et ça m'a pris la tronche pendant deux jours.Je remercie ce site d'exister comme j'aurais aimé remercier cette Afghane anonyme qui a bercé ma nuit. Je remercie aussi Rico et DC pour leur conseils techniques.
J'en suis au 14éme jour sans
méthadone de 30mg à 0 et je suis un peu fébrile. Nous parlions dans une autre discussion de l'
alcool et la métha. J'expérimente le
Baclofène (3 fois 20 mg par jour) qui a bien calmé mes maux de jambes mais ne m'empêche pas pour l'instant de picoler un peu...trop! Je vous dirais sur la longueur et si quelqu'un a déjà tenté l'expérience merci de me dire.
Il est 23H30 et je vais chercher le sommeil dans le
Valium (10mg)
A bientôt et merci -en persan et en français- d'exister.
J'espère n'avoir pas été trop long et attend vos réactions:salut: