Dans environ 15 mois, le
cannabis récréatif devrait être légalisé au Canada. Il y a actuellement une trentaine de producteurs autorisés qui fournissent du
cannabis thérapeutique à plus de 50 000 clients. Métro est allé visiter, à Smiths Falls, en Ontario, l’une des deux unités de production de Tweed, l’un des plus gros producteurs canadiens de
cannabis médical. Visite d’une entreprise (presque) comme les autres.
1. ProductionLes deux usines de production de l’ontarienne Tweed ont une superficie équivalant à celle de neuf terrains de football. Elles sont supervisées par Kevin Furet. C’est le master grower, l’équivalent du sommelier sur un vignoble.
Fort de ses nombreux prix en
Cannabis Cup, ce dernier conçoit de nouveaux hybrides de
marijuana. Cela permet à Tweed d’offrir une douzaine de variétés de plantes aux teneurs variées en
THC (source de l’effet de buzz) ou de
CBD (pour les douleurs ou l’humeur).
L’entreprise, située à 40 minutes d’Ottawa, peut ainsi aussi bien vendre du
cannabis à 28% de
THC à 6$ le gramme que de la
marijuana sans aucun effet de buzz, mais avec 13% de
CBD, qui marcherait bien avec les enfants épileptiques.
Au rez-de-chaussée de l’ancienne usine de chocolat Hershey, 120 employés du coin s’attachent à tailler des plantes, faire des boutures, simuler le printemps, simuler l’été pour la floraison, sécher les cocottes, faire les analyses pharmaceutiques exigées par Santé Canada, fabriquer différentes huiles de
cannabis, peser, emballer.
Le Montréalais Adam Greenblatt, qui a longtemps eu un dispensaire dans Saint-Henri et dirigé la Clinique Santé
cannabis avant de faire le saut en août chez Tweed, est impressionné par la chaine de production. «Comme j’ai déjà fait pousser du
cannabis thérapeutique pour des patients, je sais le défi que c’est. Alors, voir tout ça réglé au quart de tour, ça m’impressionne», dit-il.
Pas étonnant: le système de production a été conçu par un Français sorti de Harvard qui a fait ses preuves en dirigeant une équipe du fabricant de pneus Michelin… en Chine!
2. MarketingLe service est en effervescence. La gamme de produits Tweed à l’effigie du rappeur Snoop Dogg doit être lancée à la fin du mois à Toronto. «On veut positionner Tweed comme une marque conviviale», explique Adam Greenblatt.
Il convient que le personnage a un côté sulfureux, «mais c’est une icône de la culture du
cannabis et il a su traverser les épreuves», ajoute-t-il. La marque offre aussi des rabais compassion à ses clients qui gagnent moins de 29000$ par an.
L’équipe se charge en outre de promouvoir les différents produits Tweed sur son site web et a récemment eu l’autorisation d’offrir des huiles (extraits de
cannabis ajoutés à de l’huile de tournesol). Ces dernières peuvent aussi bien traiter les problèmes peau ou des inflammations sous-cutanées qu’agrémenter des recettes pour les patients qui n’aiment pas fumer.
3. Service à la clientèleUne cinquantaine de personnes travaillent à prendre les commandes de 20000 clients (800 courriels et 600 coups de téléphone par jour), mais aussi à répondre aux questions des médecins.
Les interrogations les plus fréquentes de ces derniers: Quelles sont les raisons de prescrire du
cannabis? Combien de grammes prescrire pour telle pathologie? Quelles sont les implications légales? «Selon nos estimations, environ 6000 médecins ont déjà prescrit du
cannabis (surtout au Canada anglais), soit 10 % de la profession», lance Marie-Josée Pinel, coordonnatrice des projets médicaux.
4. DirectionParmi les 35 fabricants autorisés de pot médical au Canada, Tweed est la première à avoir tenté sa chance en Bourse. Elle vaut aujourd’hui 640M$. Cela lui permet d’envisager sereinement les travaux d’expansion à Smith Falls, juste avant la
légalisation complète, attendue en janvier 2018.
«Les grandes banques canadiennes nous snobent encore, mais la valeur de l’action a presque doublé en deux ans. On a aussi triplé notre nombre d’employés dans la dernière année», plaisante Phil Shaer, avocat général et VP des ressources humaines.
De son côté, le président Mark Zekulin attend de voir les orientations gouvernementales. Il a néanmoins déjà sa vision sur ce marché, qu’il estime à 7G$ par an si le gouvernement est plutôt large pour les produits autorisés (vaporisateurs? boissons? barres de chocolat?).
En attendant, il a em bauché un lobbyiste pour s’assurer que son opinion soit entendue. M. Zekulin espère que le gouvernement autorisera les marques de commerce et leur «permetta de communiquer directement avec les Canadiens (par la pub notamment) pour leur ex pliquer toutes les avenues possibles avec le
cannabis et ainsi vaincre les peurs et les préjugés».
5. Big Cannabis?Hugô St-Onge, chef du parti politique Bloc Pot depuis 13 ans, craint entre autres que la
légalisation fédérale de la
marijuana ne mène à la création d’un Big
Cannabis, comme il y a un Big Pharma: un marché mené par quelques entreprises préoccupées par la recherche du gain.
Cela nuirait, selon lui, à l’éradication du marché noir, car des règles fédérales de production trop strictes maintiendraient des prix élevés et laisseraient une grande marge de profit pour le commerce illicite. «De l’herbe séchée, c’est presque gratuit!» claironne M. St-Onge.
Il souhaite donc «que le gouvernement provincial agisse selon ses compétences constitutionnelles et mette en place un marché plus libre où la production artisanale serait préservée afin de damer le pion au premier ministre canadien Justin Trudeau».
Du côté de Tweed, on se veut rassurant. «Le marché se libéralise lentement depuis plus de 10 ans. On espère établir un marché inclusif qui encourage les amateurs de
cannabis à se tourner vers des sources légales», répond Adam Greenblatt.
Source :
Journal Metro