Rien n’est sur quant à la suite…
https://www.lemonde.fr/societe/article/ … _3224.htmlL’avenir de l’expérimentation du
cannabis thérapeutique en question : « On nous donne un semestre de plus »
Plus de trois ans après le lancement de ce dispositif expérimental, qui concerne aujourd’hui 1 200 patients atteints de pathologies graves, l’autorisation de prescrire du
cannabis dans un cadre médical pourrait s’arrêter au 31 décembre. Une période transitoire de six mois est évoquée par les autorités de santé.
Par Mattea Battaglia et Camille Stromboni
Publié aujourd’hui à 06h00
L’heure tourne pour le millier de patients atteints de pathologies graves impliqués dans l’expérimentation du
cannabis thérapeutique et pour les médecins qui les accompagnent. Vont-ils se retrouver dans l’impasse ? Les alertes se sont faites de plus en plus fortes chez les défenseurs de ce dispositif médical lancé en mars 2021, sous la supervision de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), à mesure que l’échéance approche : au 31 décembre 2024, l’expérimentation est censée prendre fin.
En octobre 2023, Aurélien Rousseau, alors ministre de la santé, avait pris l’engagement d’octroyer un « statut
ad hoc » au
cannabis médical, utilisé pour ses propriétés antidouleurs auprès de patients en « impasse thérapeutique », comme disent les médecins. Ce statut, qui permettrait aux patients concernés de continuer à se voir prescrire la substance, avait été inscrit dans la loi de financement de la Sécurité sociale, en décembre 2023.
Mais un an plus tard, le flou domine de nouveau sur la suite, alors que l’exécutif porte la « guerre contre la drogue » en étendard. « Il manque les textes réglementaires pour pouvoir passer à ce statut
ad hoc, après une phase transitoire ces derniers mois où, politiquement, il ne s’est rien passé », rapporte le psychiatre et pharmacologue Nicolas Authier, président du comité scientifique de l’ANSM sur le
cannabis thérapeutique. Résultat : « Soit l’expérimentation s’arrête net et nos patients n’auront plus accès à ces produits, puisque les pharmaciens ne pourront plus les délivrer à compter du 1er janvier. Soit on prolonge encore le statut expérimental, mais cela nécessite d’urgence une décision du ministère de la santé. »
Nicolas Authier a défendu cette dernière option dans un courrier adressé au nouveau chef du gouvernement, François Bayrou, le 17 décembre, en plaidant, à terme, pour l’entrée effective du
cannabis médical dans le droit commun.
« Plus un sursis qu’une prolongation »
L’expérimentation, qui a impliqué au total, en trois ans, environ 3 200 patients, n’en concerne plus, aujourd’hui, que 1 200, rappelle-t-il. Depuis mars, aucun nouveau patient n’y a été inclus. « Ces médicaments à
base d’extraits de
cannabis [substance classée comme stupéfiante et donc illégale] sont autorisés dans ce cadre, sous forme d’huile à prendre par voie orale, avec cinq motifs médicaux », précise le médecin : les douleurs neuropathiques, les épilepsies sévères, les complications liées au cancer ou à ses traitements, les situations palliatives, et la spasticité douloureuse (raideurs musculaires anormales) de la sclérose en plaques ou après un accident vasculaire cérébral (AVC).
Ce qui est ressorti d’une réunion organisée, le 19 décembre, entre des représentants du ministère de la santé, de l’ANSM et de médecins et patients impliqués, n’a pas dissipé ses craintes. Y a été évoqué, à huis clos, l’envoi imminent d’un texte devant autoriser la poursuite des prescriptions de
cannabis thérapeutique pour six mois, rapportent plusieurs participants. « On nous donne un semestre de plus, mais cela nous a été présenté dans l’optique d’arrêter ces traitements, reprend le docteur Authier. Or, il n’existe pour eux aucun traitement alternatif efficace… Cela s’apparente plus à un sursis qu’à une prolongation. »
L’expérimentation a déjà connu trois prolongations en trois ans, sans que le politique tranche sur son devenir, « malgré, insiste le médecin, un rapport favorable publié par la direction générale de la santé en novembre 2023 ».
L’ANSM confirme le changement de pied, évoquant bien, dans un courriel adressé au Monde le 26 décembre, une « période de transition » de six mois décidée par le ministère de la santé, dans l’optique d’un « arrêt de la prise en charge par le
cannabis médical » de ces personnes. Elle y indique travailler sur des recommandations sur le
sevrage, qui seront diffusées courant janvier, avec des « schémas de désescalade de dose des traitements », ou encore de l’« adaptation des prises en charge thérapeutiques » des patients sous traitement.
Sollicitée, la direction générale de la santé du ministère communique dans les mêmes termes, en rappelant que « les travaux parlementaires dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 n’ont pu permettre d’aboutir à une prolongation de cette expérimentation, entraînant l’arrêt du dispositif ». En se disant « pleinement mobilisée » pour « suivre les avancées scientifiques et cliniques liées à l’usage médical du
cannabis », la direction ministérielle laisse néanmoins entendre que le débat reste entier sur l’avenir de ce type de traitement.
« Choix politique »
« On reste dans l’expectative, dans l’attente de décisions pérennes, dénonce Mado Gilanton, de l’association de patients Apaiser, dont des membres sont inclus dans l’expérimentation. Dans tous les cas, on est très loin de faire entrer ce médicament dans le droit commun et de légaliser sa prescription, comme l’ont déjà fait une vingtaine de pays voisins. Notre crainte, c’est que le gouvernement temporise… pour finalement reculer. » Elle dit redouter le « peu d’alternatives » laissées à des patients dont les souffrances ne trouveront plus de réponse thérapeutique : « Quel message on leur fait passer, sinon qu’ils peuvent aller en bas des tours, se fournir sur le marché illégal, planter trois plants chez eux, retomber dans les
opiacés ? Certains nous parlent de l’“enfer de la douleur” et même de suicide. »
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Contacté, le nouveau ministre de la santé et de l’accès aux soins, Yannick Neuder, qui a pris ses fonctions le 24 décembre, n’a pas répondu à notre sollicitation. Dans une tribune au Journal du dimanche, en septembre 2023, celui qui était alors député (Les Républicains) de l’Isère, cardiologue de profession, dénonçait la « dédiabolisation du
cannabis », ainsi que ses conséquences « désastreuses » pour la santé et la société, mais il relevait aussi que, « bien employé, le
cannabis thérapeutique se révèle utile », citant le soin palliatif, les scléroses, les maladies neuropathiques…
A la veille de l’échéance du 31 décembre, le sujet pourrait s’imposer au nouveau locataire de l’Avenue de Ségur plus vite que prévu. « La solution juridique envisagée, même pour six mois seulement, paraît extrêmement fragile, estime Yann Bisiou, maître de conférences en droit, spécialiste des drogues, à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Des rapports d’évaluation, on n’en manque pas. Il s’agit maintenant d’un choix politique à faire sur l’avenir de ce traitement. Et cela ne peut intervenir qu’au niveau législatif, que ce soit pour quelques mois, ou pour une entrée dans le droit commun. » Avec une fenêtre de tir : les débats budgétaires doivent reprendre au début de l’année 2025.
Mattea Battaglia et Camille Stromboni
Dernière modification par pierre (31 décembre 2024 à 15:28)