Pierre Chappard : "Une réduction de la distribution de seringues ne stopperait en aucun cas la consommation"LE MONDE | 27.04.2013 à 11h34 • Mis à jour le 27.04.2013 à 11h42
Propos recueillis par Laetitia Clavreul
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http://www.lemonde.fr/societe/article/2 … _3224.htmlStéphane Gatignon, le maire (EELV) de Sevran (Seine-Saint-Denis), a créé la polémique en demandant à la ministre de la santé, Marisol Touraine, "une suspension provisoire de la distribution des seringues" à proximité de sa ville. En quelques jours, les incidents s'y étaient multipliés : des enfants se sont piqués avec une seringue dans une école, un toxicomane a été vu en train de s'injecter devant une autre, et des seringues neuves ont été trouvées dans deux centres de loisirs. Sont en cause, selon lui, deux distributeurs qui ont fourni 26 000 seringues en 2012. Ils sont situés à l'entrée de l'hôpital Robert-Ballanger d'Aulnay-sous-Bois, ville limitrophe. L'agence régionale de santé a cependant fait valoir qu'il n'y avait pas là de "distribution spécifique et massive" de seringues.
Pierre Chappard, coordinateur du Réseau français de réduction des risques et auteur de Salles de shoot, les salles d'injection supervisée à l'heure du débat français (avec Jean-Pierre Couteron, La Découverte, 12,50 euros), estime qu'avec la crise et sans moyens supplémentaires pour les équipes, le phénomène pourrait s'aggraver.Que pensez-vous des déclarations de M. Gatignon ?Je trouve cela extrêmement malheureux. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'une réduction de la distribution de seringues ne permettrait en aucun cas de stopper la consommation sur place. Les toxicomanes se droguent là parce qu'il y a un lieu de deal tout proche, qu'aucun car de CRS envoyé par les ministres de l'intérieur successifs n'a pu éradiquer. A chaque fois l'effet est nul, car la vente se déplace à 100 mètres.
Arrêter la distribution de seringues ne servirait donc à rien, et ferait de surcroît courir le risque aux toxicomanes de se transmettre le VIH ou l'hépatite C en se prêtant leurs seringues.
Un essor du phénomène d'injection y est constaté. Comment cela s'explique-t-il ?A chaque fois qu'il y a une crise, on l'a vu avec la Grèce, il y a une augmentation de la consommation de drogue par une population de plus en plus précaire. A cela s'ajoute le fait que la droite a limité pendant dix ans la politique de
réduction des risques, qui consiste à mettre en place des programmes d'échange de seringues, mais aussi à veiller à leur ramassage et à la médiation entre habitants et toxicomanes. Les équipes sont trop réduites pour se charger convenablement de ces deux derniers points. Il y a donc fort à parier qu'on n'a pas fini de voir des seringues traîner.
J'estime qu'il y a un abandon des toxicomanes par la société. Des seringues sont distribuées pour éviter les contaminations, mais le geste de consommation lui-même, elle l'ignore. Or les risques sont élevés (overdose, abcès, septicémie, etc.), d'autant plus si l'injecteur se presse pour ne pas être surpris par un regard.
M. Gatignon estime que distribuer des seringues ne suffit pas, et qu'il faut un lieu d'accueil avec des médecins et des éducateurs pour réintégrer les toxicomanes. Une salle de consommation serait-elle la solution ?Cela ne peut être qu'une partie de la réponse, et en plus une réponse non immédiate, puisque de telles salles n'existent pas en France, où seule une autorisation d'expérimentation à Paris a été accordée.
Ce qu'il faut en priorité, c'est dresser des diagnostics locaux pour trouver des solutions adaptées à chaque cas, ce que l'hypercentralisation à la française ne permet pas. Les salles de consommation peuvent être nécessaires dans certaines grandes villes comme Paris, Bordeaux, Marseille ou Strasbourg, mais pour les autres, comme Sevran, en créer ex nihilo n'a aucun sens. Cela coûterait bien trop cher et les besoins ne sont pas forcément suffisants. Il faut en revanche réfléchir à la mise en place d'espaces de consommation dans des structures existantes.
Sevran est-elle un cas à part ?Il y a toujours eu dans cette ville du trafic et de la consommation, mais on a surtout parlé du premier. Or la politique de la "tolérance zéro" a eu pour conséquence une professionnalisation des dealers pour résister, et un manque d'attention aux toxicomanes.
Mais Sevran n'est pas une exception. Dans la banlieue de Lille, par exemple, les mêmes problèmes sont relevés. Quand une commune est devenue la plaque tournante du trafic, il y a des seringues qui traînent. Il est grand temps que le gouvernement relance la politique de
réduction des risques.p
Laetitia Clavreul