A Maastricht, l'herbe est plus verte
M le magazine du Monde | 23.05.2013 à 19h59 * Mis à jour le 23.05.2013 à 20h09
Jean-Pierre Stroobants
Les "touristes de la drogue", français et belges notamment, ont fait leur retour à Maastricht lors du pont de l'Ascension. Bravant délibérément l'interdiction, depuis le 1er mai 2012, de vendre du
cannabis aux étrangers, et s'appuyant sur le récent arrêt du tribunal local qui la jugeait trop stricte, les coffee-shops avaient profité de ce week-end prolongé pour organiser une opération "portes ouvertes". Devant l'ampleur de la fréquentation, les exploitants de l'Easy Going, établissement blotti à l'ombre de l'hôtel de ville, ont décidé de ne vendre qu'un seul gramme d'herbe par consommateur.
Cet épisode marque un rebondissement supplémentaire du feuilleton, déjà passablement embrouillé, de l'autorisation de vente de
cannabis aux Pays-Bas. Au point qu'aujourd'hui, les Néerlandais n'y comprennent goutte.
Avant l'interdiction, intervenue en 2012, les touristes étaient, selon les estimations, quelque 3 millions à venir régulièrement s'approvisionner à Maastricht, Breda, Eindhoven ou Tilburg, formant les deux tiers de la clientèle. Une situation qui a entraîné des nuisances, dénoncées par la population : embouteillages, tapage, bagarres entre gangs, "drug runners" (rabatteurs) qui harcelaient les clients. En 2012, le gouvernement de droite au pouvoir a imaginé le wietpas, ou "passeport
cannabis". Réservé aux Néerlandais, celui-ci s'obtenait sur autorisation de la mairie et exigeait un enregistrement dans l'un des coffee-shops de la ville.
D'abord limité aux provinces du sud, le dispositif était ensuite, en théorie, élargi au reste du pays, mais Amsterdam l'a condamné et Maastricht, favorable au départ, y est devenue hostile. En 2008, un tribunal n'avait-il pas déjà estimé que l'on ne pouvait introduire un critère de nationalité sans enfreindre l'article 1er de la Constitution ? Celle-ci bannit toute discrimination, sauf motifs "raisonnables et objectifs".
SALE TEMPS POUR LES COFFEE-SHOPS
L'année dernière, le nouveau gouvernement a donc cherché à tirer les leçons des erreurs commises. Il a aboli, en novembre, le passeport tout en maintenant le principe selon lequel les coffee-shops devaient rester interdits aux étrangers. "Un raisonnement juridique bâti sur du sable", ont estimé plusieurs juristes. Ce flottement législatif n'a pas favorisé la fréquentation touristique de Maastricht. En un an, l'activité des coffee-shops - dont certains réalisaient jusqu'à 400 000 euros de chiffre d'affaires par mois - aurait baissé de 30 % et des licenciements ont eu lieu. Les autres commerçants grincent eux aussi des dents en constatant la chute de leur clientèle. Quant aux objectifs de sécurité publique, ils n'auraient pas davantage été atteints.
Au contraire. Le nombre de délits liés à la drogue aurait doublé en un an à Maastricht, triplé à Roermond, car le "deal" est redescendu dans la rue. Enfin, la qualité du
cannabis vendu à la sauvette serait en chute libre. A Maastricht, l'opération "portes ouvertes" de l'Ascension a été abrégée par la police, qui a fermé le Mississipi et le Smokey, deux coffee-shops installés dans des péniches amarrées sur la Meuse. L'Easy Going est, en revanche, resté ouvert... En quelques années, la ville aura connu bien des vicissitudes. Il n'y a pas si longtemps, elle voulait ériger un gigantesque "coffee-corner". Un supermarché de 2 000 m? où aurait été concentrée la vente d'herbe, pour les Néerlandais et les autres. Un projet auquel une plainte des villes flamandes et wallonnes voisines avait mis fin prématurément.
Source : (c)
http://www.lemonde.fr/style/article/201 … 75563.htmlJean-Pierre Stroobants
journaliste au Monde.fr