Pourquoi les francais n'ont jamais autant consommé d'
ecstasy ?
Plus gros, plus beau, et surtout plus dosé. Délaissé pendant quelques temps, l’ecstasy fait un carton dans le milieu festif. Peu d’effets secondaires et une faible addiction, retour sur cette fausse nouvelle drogue.
Rouge, rose, vert, en forme de pieuvres ou de têtes de mort… mais surtout plus dosés. Mis de côté pendant quelques années par le milieu festif, les cachets d’ecstasy reviennent en force chez les teuffeurs. Depuis trois ou quatre ans, la poudre ou les cristaux de
MDMA, le principe actif de l’ecstasy sont de nouveau en vogue. “C’est le produit star de la musique techno”, selon Vincent Benso, membre de l’association Techno+ qui vise à la
réduction des risques en espace festif et mène des actions de santé.
Entre 2010 et 2014, la proportion de consommateurs d’ecstasy et de
MDMA est passée de 0,3% à 0,9% de la population des 18-64 ans. Un “niveau maximal depuis une décennie”, comme l’a relevé en mars le Baromètre Santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) et de l’Observatoire français des drogues et toxicomanie (OFDT).
L’année dernière, 3,8% des jeunes de 17 ans disaient avoir déjà expérimenté la
MDMA ou l’ecstasy, selon l’enquête Escapad de l’OFDT publiée en mai dernier. C’est deux fois plus qu’en 2011. En réalité, ce chiffre “est équivalent à celui de 2002 quand les comprimés d’ecstasy étaient très recherchés, en particulier dans les espaces festifs” révèle François Beck, directeur de l’OFDT. Mais à la fin des années 2000, le
MDMA disparaît du marché.
2009 : l’année de la pénurie
En 2009, la commercialisation de l’huile de sassafras, produite au Cambodge, est interdite. Seulement voilà , le safrole, extrait de cette huile est un des précurseurs de la
MDMA. A cette époque, “on ne trouve plus du tout de “MD” en Europe. Il y a toujours des produits qui sont vendus comme étant de la
MDMA mais qui en fait n’en contiennent même pas” explique Vincent Benso de l’association Techno+.
“Cette pénurie a entraîné une augmentation des arnaques et par conséquent une méfiance et un désintérêt de la part des usagers”, analyse François Beck.
Du coup, en 2010, les fabricants trouvent un autre composant de synthèse remplaçant le safrole. La
MDMA revient sur le marché en forme de cristaux et de poudre. “Déjà avant 2009, les gens préféraient prendre de la
MDMA, car les cachets d’ecstasy étaient trop coupés” raconte Vincent Benso. Ce retour se fait avec deux nouveautés. “Les usagers en consomment de plus en plus. Et les comprimés en circulation sont aujourd’hui plus gros et par conséquent plus dosés car le pourcentage de pureté varie peu”, remarque François Beck de l’OFDT. Depuis trois ans, le taux moyen de
MDMA dans les comprimés est relativement stable (entre 35 et 40%).
Stratégie marketing
Leur design est aussi beaucoup plus travaillé. Les comprimés d’ecstasy ne se contentent plus de simples logos tamponnés, mais ont des formes 3D. Les trafiquants veulent attirer les consommateurs en les rendant plus attractifs. Pour Thomas Néfau, docteur en pharmacie et responsable de la coordination SINTES (Système d’Identification Nationale des Toxiques et des Substances) à l’OFDT, “Il s’agit de relancer une forme, un temps délaissée par les usagers et jugée passée de mode, mais aussi de concurrencer les nouveaux produits de synthèse vendus sur Internet et qui présentent eux aussi parfois des visuels attractifs.”
ADVERTISEMENT
A cette stratégie marketing s’ajoute la facilité d’usage et le faible prix.
“Compte tenu des fortes teneurs, les effets d’une dose de
MDMA à 10 euros peuvent durer plusieurs heures. Ainsi, sous cette forme ou sous la forme
ecstasy, la
MDMA devient également attractive financièrement. Il faut considérer ce montant en regard des prix d’entrée en soirée (en moyenne 15 euros) ou d’autres consommations, y compris les verres d’alcool qui coûtent entre 8 et 15 euros”, explique Thomas Néfau.
En sentiment de bien-être
Ces produits sont alors très recherchés par le milieu de la fête. “Cette facilité d’accès permet de regrouper des catégories de personnes, d’âges et de styles de vie différentes”, remarque Jean-Pierre Couteron, directeur de Fédération Addiction.
“Un quart d’heure à 1h30 après avoir gobé s’installe un sentiment d’euphorie, de bien-être, d’amour universel, une profonde envie de partager. Communiquer te semble plus facile”, peut-on lire dans une brochure d’information diffusée par Techno+. Au total, les effets durent entre six et huit heures. Et “La part des usagers pris en charge principalement pour une addiction à la
MDMA (…) est extrêmement faible”, selon l’OFDT.
Une méconnaissance des risques
Parmi les risques : la déshydratation liée à l’augmentation de la température du corps ou les troubles du rythme cardiaque. Le manque d’informations quant aux précautions à prendre peut s’avérer dangereux, principalement pour les usagers novices. C’est ce que remarque Thomas Néfau de l’OFDT :
“Il ne connaissent pas bien les produits et leurs limites, ni les messages de réductions des risques liés à ces produits – diffusés depuis longtemps dans les espaces festifs alternatifs – comme, par exemple, le fractionnement des doses, espacer les prises ou encore s’hydrater et proscrire la consommation d’alcool concomitante qui augmente les risques d’hyperthermie. Certains ne savent même pas que la
MDMA et l’ecstasy sont le même produit.”
Des différences de composition dangereuses
La variabilité de composition est le principal danger. Certains comprimés peuvent être plus forts que d’autres. “Et du coup c’est perturbant. Parfois vous pouvez avoir besoin d’en prendre trois pour sentir quelque chose. Vous prenez l’habitude d’en prendre plusieurs d’un coup, jusqu’au jour où vous tombez sur un
ecstasy sur-dosé, et que vous terminez aux urgences”, avertit Vincent Benso de Techno+.
Le 31 janvier 2015, l’Institut Scientifique de la Santé publique belge publiait un communiqué de presse portant sur les effets mortels de l’ecstasy “Superman”. Un petit caché rose qui a tué quatre personnes en Angleterre et qui avait déjà été mis en cause lors d’un décès suspect au
festival de Dour en 2014.
La toxicité de ce comprimé était en réalité due à la forte présence de PMMA (para-méthoxymétamphétamine), une molécule dix fois plus forte que la
MDMA. Comme l’explique le psychiatre et neuro-pharmacologue David Nutt dans un article du Guardian, la PMA ou PMMA est interdite à cause de son action inhibitrice au niveau de l’activité cérébrale qui peut entrainer la mort. Cette molécule met aussi beaucoup de temps à agir. Le risque que les consommateurs prennent plusieurs comprimés jusqu’à la surdose est alors accru.
Le “testing”
La solution ? Le “testing” autrement dit, l’analyse de drogues. Interdit en France depuis 2004, il consiste à effectuer un test rapide sur un prélèvement infime pour confirmer ou non la présence de principe actif de certaines familles de drogues. “Les associations sont dépourvues face aux risques de variabilité de composition des produits déplore Vincent Benso, La France est très en retard sur cette question là ”.
Face à ce retour en force de l’ecstasy, François Beck rappelle toutefois qu’il “est exagéré de parler démocratisation” :
“N’oublions pas qu’il s’agit de substances dont la consommation dans l’année ne dépasse pas 4 %. On reste très loin des proportions observées pour l’alcool, le
tabac ou le
cannabis. Ce qui est clair est que la
MDMA a une place importante dans l’espace festif.”
Source : Les Inrocks