Drogues : l’ONU défend la fin du tout répressifLE MONDE | 01.03.2016 à 11h10 • Mis à jour le 01.03.2016 à 17h41
Par Paul Benkimoun
Adieu au tout répressif. A sept semaines de la tenue de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies sur le problème mondial de la drogue, le rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) – une structure chargée au sein de l’ONU de l’application des conventions sur la drogue –, publié mardi 1er mars, invite les Etats à « réexaminer les politiques et pratiques ».
Pour le président de l’OICS, Werner Sipp, « il s’agit non pas d’obliger le monde à choisir entre une action antidrogue “militarisée” et la
légalisation de l’usage de drogues à des fins non thérapeutiques, mais plutôt de mettre la santé physique et morale au cœur d’une politique équilibrée en matière de drogues ».
Le rapport va moins loin que celui de la Commission globale sur la politique des drogues, rassemblant d’anciens chefs d’Etat, remis le 9 septembre 2014 au secrétaire général des Nations unies et qui concluait à l’échec de quarante ans de répression. Il procède plus subtilement en prônant un rééquilibrage, avec des sanctions proportionnées, afin d’aller vers des politiques accordant plus de place au sanitaire. Dès le premier chapitre du rapport, l’OICS rappelle que « la santé physique et morale de l’humanité [est l’] objectif essentiel des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues ».
Les trois conventions de 1961, 1971 et 1988 prévoient de conférer le caractère d’infraction pénale au trafic de drogue et aux infractions connexes (blanchiment d’argent, trafic de produits précurseurs des drogues…). Mais des dispositions permettent d’appliquer des mesures de traitement ou de réadaptation, en remplacement ou en complément de sanctions pénales, dans les cas de possession, d’achat et de culture de drogues pour une consommation personnelle.
PRÉVENTION
« Au total, 189 Etats ont ratifié la convention de 1988, et 170 ont adopté une approche répressive, mais il existe une distinction entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font en pratique. Les sanctions pénales tombent en désuétude pour les simples usagers, souligne Bernard Leroy, ancien magistrat et rapporteur de l’OICS. En France, par exemple, il y a 150 000 interpellations de simples usagers par an, mais parmi ces derniers, seulement 1 500 vont en prison. »
Plusieurs pays, comme la Chine, le Vietnam ou l’Iran, qui pratiquaient des politiques essentiellement répressives à l’égard des usagers de drogues, ont développé la prévention et mis en place des programmes de
réduction des risques, notamment d’infection par le VIH ou les virus des hépatites. En Iran, le nombre de détenus usagers de drogue injectable ayant accès à un programme de
méthadone est passé d’une centaine en 2002-2003, à 25 000 en 2009. A l’inverse, des pays comme la Russie, qui s’y refusent, continuent d’alimenter ces épidémies.
Le rapport de l’OICS rejette la
légalisation de l’utilisation des stupéfiants à des fins non médicales, qui « n’est pas une solution adéquate pour régler les problèmes existants ». Il préconise de proposer aux agriculteurs cultivateurs de drogue d’autres moyens de subsistance. De même, l’OICS rappelle aux Etats leur « obligation d’appliquer des programmes efficaces de prévention de l’abus de drogues ainsi que de traitement et de réadaptation des toxicomanes » et leur enjoint de respecter les droits de l’homme.
Dans ce domaine, il les invite à veiller à ce que « les traitements soient fondés sur des preuves scientifiques. Fournir des services appropriés de traitement de la toxicomanie constitue pour eux une obligation au même titre que la lutte contre le trafic de drogues. Le fait de ne pas offrir de tels services peut aggraver les conséquences sanitaires et sociales de l’abus de drogues tout en contribuant à la demande illicite de substances faisant l’objet d’abus ».
« Ce rapport présente un changement de tonalité, commente le professeur Didier Jayle, titulaire de la chaire d’addictologie au Conservatoire national des arts et métiers. Pour la première fois, il insiste sur les droits de l’homme, l’inutilité d’incarcérer les toxicomanes et le devoir de les traiter dans les meilleures conditions. C’est très important. De même que la reconnaissance de l’utilité de la réduction des effets néfastes de l’usage de drogue – ce que nous appelons la
réduction des risques – et de la preuve de son efficacité. La limite est que l’OICS, qui est le gardien des conventions sur les drogues, reste dans le même modèle de contrôle sur le
cannabis, qui est devenu d’usage courant. »
Le rapport met l’accent sur des phénomènes inquiétants : les grandes inégalités d’accès aux antalgiques majeurs (morphine et autres
opiacés) et l’explosion du nombre de nouvelles substances, facilitées par le développement de la vente sur Internet.
NOUVELLES SUBSTANCES PSYCHOACTIVES
Près des trois quarts de la population mondiale n’ont pas accès à des traitements antidouleur appropriés et environ 90 % de la
morphine utilisée dans le monde est consommée dans les pays représentant moins de 20 % de la population mondiale. En cause, le manque de formation et l’extrême complexité administrative pour la prescription d’antalgiques majeurs, et les freins mis à leur importation.
Quant aux nouvelles substances psychoactives, elles connaissent une très forte croissance : en 2015, leur nombre s’est accru de 55 % par rapport à l’année précédente. L’OICS estime possible « qu’un nombre potentiellement illimité de produits chimiques viennent s’ajouter à
ceux qui sont déjà sous surveillance parce que liés à la fabrication illicite de drogues soumises au contrôle international ». Il est en effet facile, en laboratoire, de modifier des molécules psychoactives. L’organisme onusien précise même que « l’un des problèmes les plus importants parmi ceux qui se posent depuis peu est l’arrivée de produits chimiques de remplacement non soumis à contrôle, dont les “précurseurs sur mesure”, qui permettent de contourner les contrôles », car leur « fabrication est légale au regard du cadre juridique international existant ».
La session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies sur les drogues, qui se tiendra du 19 au 21 avril, se prononcera sur le rééquilibrage défendu dans ce rapport. Le consensus gagne du terrain, mais n’est pas encore acquis.