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Dédoublement & visions d'enfance
- Se regarder de loin pour y voir plus clair -
Lieu : Chambre.
Date : 02/03/2014
Poids : 71 kg / 1m90
Substance : Psilocybe Cubensis B+ (Secs)
Dose : 4 Grammes.
ETAT DES LIEUX
Bien le bonsoir,
Après une longue absence, c'est avec énormément de plaisir que je suis revenu vous lire il y a un peu plus d'une semaine. Je me rends compte en parcourant le forum qu'en quatre ans, énormément de choses ont changées dans ma perception des psychotropes. Certaines en bien. D'autres changements sont plus regrettables, mais soit. C'est bon d'être confronté à sa propre évolution de temps en temps, quelle qu'elle puisse être.
Me voilà donc parti pour partager un premier TR avec vous. En l'occurrence, il s'agit d'une expérience qui, même si très récente, m'apparaît comme particulièrement vivace et profonde. Je laisse au temps le soin de me dire si elle était positive. Cette expérience viens en tout cas confirmer qu'après six mois passés loin de tout psychédélique, je me sens effectivement plus apte à tirer quelque enseignement de mon voyage avec une préparation préalable et une conscience relative de ce que j'y vais chercher qu'à l'époque ou j'enchaînais dans une absolue confusion, en boucles répétitives, des kilomètres de buvards jusqu'à plus soif sans n'en rien tirer au final d'autre que... plus de confusion, et un plaisir bien vite gâché par une multiplication des expériences irrespectueuse non seulement de mon corps mais également des substances que je lui administrais.
J'ai abordé ce voyage, cet abandon à la psilocybine, dans un état d'esprit plus introspectif que de coutume avec les psychédéliques, en sachant qu'en l'occurrence j'allais y chercher quelque chose, sans garantie d'y trouver quoi que ce soit certes, mais que si quelque chose il y avait, cela ne pourrait surgir que d'un effort de ma part, et non de la substance en elle même, qui n'est finalement qu'un réceptacle codifié de ce que l'on accepte d'y mettre, et, si cela doit être, de ce que l'on accepte d'y trouver.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à préciser que je déconseille à quiconque n'a pas au préalable une expérience relativement fournie des psychédéliques de dépasser deux grammes de psilocybes secs en une prise, surtout pour une première. Les champignons sont plus puissants que certains le laissent croire, et il serait dommage de se gâcher de future expériences agréables à cause d'une tentative trop dosée, qui peut, ce n'est pas un mythe, se révéler particulièrement effrayante. Redoubler d'attention si il y a un citron dans l'histoire, etc.
Cela étant dit, excusez moi de cette longue introduction, et entrons dans la danse.
SET & SETTING
Aux alentours de 22 heures, je définis mon environnement de recherche. Ce soir, pour favoriser l'introspection, un espace réduit, une chambre suffira. Je range au maximum, ordonne mon environnement, allume une tige d'encens, dispose des bougies dans les zones sans lampes pour créer dans la pièce une lumière diffuse, homogène. Je dirige les lampes vers les murs blancs pour les utiliser comme réflecteurs et adoucir la colorimétrie ambiante, supprimant toute lumière directe sur la pièce. Une fois ces réglages terminés, je dépose les champignons dans un vieux bol en bois, souvenir d'enfance, élément qui prendra un sens particulier par la suite. Je roule à l'avance un joint, au cas ou le coeur m'en dise pendant le voyage. Connaissant ma difficulté a rouler une fois parti, cela est préférable. Je m'installe sur une chaise, et entame mon rituel habituel : 15 minutes d'exercices de respiration, 15 de méditation approximative mais toujours utile, et quelques étirements.
Fin prêt, je mange les champignons en me forçant à mâcher longuement ce goût qui me sera décidément toujours détestable (j'aime les psilocybes pour ce dont ils sont capables, mais jamais tu me feras manger un cèpe ou une girolle, jamais) et m'installe sur mon lit. Appréciant toujours d'accompagner la montée en musique, je décide que cette fois ci, je ne déciderais pas de ce que j'écouterais, m'assurant un certain effet de surprise, et décide de me fier à la radio. Je lance FIP. Une vingtaine de minutes après, la montée est fulgurante.
TRIP REPORT
Au dessus de ma tête, quelque part vers la gauche, une lumière s'allume, sorte de lampadaire incandescent. Des ombres de forme vaguement humaine mais sans jambes se penchent vers moi des deux côtés du lit. Leur ressemblance avec les représentations traditionnelles de la faucheuse est flagrante, mais leur présence est paradoxalement particulièrement réconfortante. Une main sous mon menton me redresse la tête et je lève les yeux vers la chambre. Ma vue se trouble intégralement de visions. D'abord, le fourmillement, puis le fourmillement coloré, et ensuite, l'ensemble de la pulsation, recouvrant toute la pièce en vagues successives, aux couleurs changeantes. Mon regard deviens sphérique. Si je ne connaissais pas si bien cette chambre, il me serait impossible de la reconnaître tant il y a comme un filtre devant mes yeux, un filtre qui tiendrait presque de la cécité, et pendant un instant qui me semble interminable, je suis persuadé de percevoir le monde comme un individu aveugle de naissance : ce que je vois ne tiens pas tant de couleurs réelles que de l'idée même de la couleur, et la musique crée en grande partie ces couleurs, qui alternativement, pulsent aussi bien en rythme qu'a contre temps. Les objets que je distingue vaguement, le son de la musique, tout se mélange allègrement en un magma de matière, ou d'idée seule de la matière qui crée la matière et donc valide l'idée, et je me rends compte que, moi qui cherchait de l'introspection, je n'ai pas eu ne serait ce jusque là que l'embryon d'une quelconque conscience de moi même, de ma présence ici, que j'observe tout cela comme un observateur extérieur et inhumain, et percevant ma pensée comme atrophiée, je suis pris brièvement d'un spasme et de frissons.
Quasiment immédiatement, ce sentiment intolérable implose. Je me redresse dans le lit. Tout ce qui n'est pas dans l'axe direct de ma vision deviens incroyablement flou, et mon lit démarre comme un véhicule infernal vers le mur d'en face. L'accélération ne semble jamais pouvoir cesser. Tandis que le lit n'en finit pas d'aller plus vite, la musique, elle, ralentit, s'assourdit, j'éclate de rire et accroche ma ceinture de sécurité (probablement apparue pour l'occasion, les lits ikéas sont décidément plein de ressources, inquiétant de voir que même là dedans l'esprit arrive à se rappeler de trucs aussi anodins) et ca accélère encore, longtemps, longtemps, et puis COLLISION. Noir total. La musique cesse l'espace d'une seconde et reprends. Je me rends compte que mes yeux sont fermés. Je les ouvre. Ma vision reste exactement identique à celle que j'avais les yeux fermés. L'idée me prends que j'ai peut être fait fort. Que quatre grammes, c'était trop. Mais le simple fait d'avoir ce genre de pensée me rassure : j'existe, je suis là , mon nom me reviens, c'est agréable tout ça. Je me rends compte que depuis le moment ou je me suis installé sur le lit je n'ai pas bougé d'un centimètre. Tout mes membres sont incroyablement lourds. Une terrible envie de pisser me pousse à briser cette torpeur. J'éclate de rire sans trop savoir pourquoi, et me lève.
Le trajet dans le couloir est à la fois délicieux et terrifiant. Les ombres qui me rassuraient tant tout à l'heure me suivent et me disent de ne surtout pas y aller, me retiennent par l'épaule. Je me dépêche de leur échapper, en me cognant contre la plupart des meubles que je rencontre. Je me souviens d'avoir écouté le bruit de la chasse d'eau avec délectation comme si c'était du Chopin.
Si a l'aller, les ombres me terrifient, au retour, elles ne m'escortent plus mais m'attendent sur le pas de la porte. En bon assisté, j'attends qu'elles m'ouvrent la porte, j'attends longtemps, mais elles ne bougent pas et disparaissent progressivement. Je comprends que si je dois entrer, la décision m'appartient, que leur insistante incitation à le faire ne se traduira pas en actes, que je suis le seul dépositaire de l'acte. La porte ne cesse de passer du rouge au violet, bleu, mauve, et se fait de plus en plus lumineuse, une sensation d'éblouissement, et je tourne la poignée.
Je pénètre dans la pièce, et les choses se compliquent. Je fais un pas vers le lit, et mon corps se décompose en trois. Ou plutôt, j'ai l'impression d'être trois, trois fois moi. Un premier moi atteint le lit. Il est bleuté et hilare. Tandis qu'il entre dedans, un second moi est au milieu de la pièce. Il est translucide, titube et n'a pas de cheveux. Moi, je viens de passer la porte, et suis devenu identique aux ombres qui me suivaient dans le couloir, incomplet, amputé, incapable de trop savoir ce que je ressens puisqu'il faut pour cela que je récupère les autres. Immédiatement, je me retrouve comme téléporté dans le lit. T'en voulais, de l'introspection ? Je me vois comme divisé en trois. Bleu à gauche, translucide au centre, noir à droite. Les trois éléments de ma personne prennent sens à mesure que je m'éloigne d'eux dans un long tunnel. Le coté bleu deviens particulièrement éclatant. Désormais, je suis un autre, un juge objectif, un individu étranger à moi et qui ne me connaît pas, qui n'a jamais été moi : je me contemple en étranger. Le coté bleu n'en finit plus de gagner en intensité. Une image de moi enfant apparaît à ce juge objectif. Une photo en noir et blanc. Je souris. A partir de là , tout commence à tenir de l'ordre de l'indicible ou du moins, du difficilement traduisible.
Des miliers de souvenirs d'enfance m'assaillent. Des images d'une précision incroyable me reviennent. Je redécouvre des lieux oubliés, des plages lors de vacances à la mer à l'âge de quatre ou cinq ans, le sentiment d'être prêt du sol et de contempler mes parents de cette basse position, je ressens tout l'amour et la dépendance absolue à laquelle oblige le statut d'enfant, je vois cet enfant grandir, cinq puis six puis sept puis huit ans, puis dans le sens inverse, puis encore croissant, sans jamais dépasser le stade de la dizaine d'années. Je sors de cette vision d'enfance. Retour à l'observatoire lointain, au tunnel, au juge objectif. Le centre de mon corps, translucide, commence à scintiller. J'entre dans une profonde phase d'analyse des derniers évenements de ma vie, toujours comme si il s'agissait de la vie de quelqu'un d'autre. J'entends des phrases que j'ai prononcées, des mots que je valide, des mots que je regrette. J'ai le sentiment irrépressible de vouloir m'excuser auprès de chaque personne qui m'a blessé, et de vouloir excuser chacune de celles qui m'ont blessé. Je ne sais plus si mes yeux sont ouverts ou fermés, et à vrai dire, peu m'importe. La phase qui suit, lorsque le coté noir s'est mis à scintiller, est à mon grand regret inracontable, comme une suite d'images que je ne serais à l'heure actuelle pas en mesure d'interpréter, des paysages, un temple, une photo de classes de l'ancien temps, des maisons labyrinthiques "ou les ancêtres sont morts", entrecoupés de moment de pure contemplation de la magnificence des couleurs qui m'entourent, et qui ne cesse de s'accroître.
S'ensuit une phase totalement nouvelle pour moi de réflexion sur la notion même d'hallucination : toute mes visions se regroupent en un point névralgique central qui palpite, se réduisent, se rejoignent, et en même temps que je distingue les couleurs, je perçois aussi leur absence, leur totale inexistence. Dans mon cerveau se sépare la conscience d'être sous l'effet d'un produit extérieur et les effets du produit en eux mêmes. Soit ma vision se divise en deux avec une précision parfaite, avec un coté gauche immaculé, et un coté droit empli de visions, soit il m'est impossible de dire que je ne perçois rien autant qu'il m'est impossible de dire que je perçois quelque chose. A ce moment là , il me semble contempler l'essence même du vide. Au début, cela me fascine. Ensuite, cela m'agace. Impossible de m'extraire de cette conscience du vide ambiant. J'éteins la musique et saisit le joint avec difficulté. Je l'allume. L'herbe fait ralentir les pulsations de mon coeur. Peu à peu, les couleurs reviennent et recommencent à danser, concrètes, présentes dans leur inexistence ou leur trop plein d'existence, et la frontière ne me semble plus si ténue mais au contraire complémentaire, logique, inévitable : Sans la couleur, la forme, le mouvement, l'agitation, l'impossibilité du concept de vide est incontestable. Sans vide, l'impossibilité du concept de forme, de mouvement, et d'agitation est incontestable. Et donc le concept d'existence tout aussi impossible sans cela.
Je m'apaise peu à peu, et commence à reprendre mes esprits. Je ris, beaucoup, et observe les formes se faire et se défaire, les tableaux se peindre sur le mur blanc. Je me dis que demain, je m'excuserais auprès de ceux que j'ai offensé, payerais mes dettes, retrouverait un semblant d'action. Il me semble que tout ce que j'ai vu ce soir à un sens, un sens concret et utilisable, mais que le pourcentage de ce que je peux saisir est minime. Je comprends que j'ai été confronté à ma propre inaction, celle qui me pèse tant à l'heure ou j'écris ces lignes, cette idée de passer à coté des choses et des gens, de moi, de l'existence, de la vérité, de l'amour, etc ; et qu'enfin, j'ai contemplé cela avec un peu moins de condescendance, un peu moins de mépris pour moi même, et en laissant se fissurer le très solide bouclier de l'égo qui ne laisse s'exprimer que les extrêmes. Oui, il y a dans la vie une alternative entre le mépris de soi, la mort clinique de la confiance, et l'adoration paradoxale de sa personne, qui n'est jamais que fumisterie. Puisque lorsque "ma personne" est un concept aussi flou chez la plupart des humains, qu'y a t'il de juste à aimer, à part quelque chose dont on ne sait foutrement rien ?
A six heures, je me suis endormi, exténué. A 11 heures, je me lève, vaseux les dix premières minutes.
Petit à petit, j'ai repris mes esprits.
J'ai fait ce que j'avais à faire. C'était une bonne journée.
Merci à vous d'avoir lu.
:)
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NotToTouchTheEarth a écrit
Je m'apaise peu à peu, et commence à reprendre mes esprits. Je ris, beaucoup, et observe les formes se faire et se défaire, les tableaux se peindre sur le mur blanc. Je me dis que demain, je m'excuserais auprès de ceux que j'ai offensé, payerais mes dettes, retrouverait un semblant d'action. Il me semble que tout ce que j'ai vu ce soir à un sens, un sens concret et utilisable, mais que le pourcentage de ce que je peux saisir est minime. Je comprends que j'ai été confronté à ma propre inaction, celle qui me pèse tant à l'heure ou j'écris ces lignes, cette idée de passer à coté des choses et des gens, de moi, de l'existence, de la vérité, de l'amour, etc ; et qu'enfin, j'ai contemplé cela avec un peu moins de condescendance, un peu moins de mépris pour moi même, et en laissant se fissurer le très solide bouclier de l'égo qui ne laisse s'exprimer que les extrêmes. Oui, il y a dans la vie une alternative entre le mépris de soi, la mort clinique de la confiance, et l'adoration paradoxale de sa personne, qui n'est jamais que fumisterie. Puisque lorsque "ma personne" est un concept aussi flou chez la plupart des humains, qu'y a t'il de juste à aimer, à part quelque chose dont on ne sait foutrement rien ?
Bonsoir NotToTouchTheEarth
J'ai bien aimé lire ton trip que je trouve mature... Tu as des questionnements et une objectivité sur toi qui me touchent. Ce passage en particulier qui relate très bien comment l'ego, séparé de tout agit en nous. Revenir à l'essence, l'amour, la vérité, le présent... mais que feras tu de cette expérience ?
Pour l'inaction ça me parle, j'ai les mêmes ressentis en permanence, de ne jamais agir sur le bon levier...
Sinon j'aurais bien lu d'avantage tellement c'est agréable à lire
INB
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