Des HLM murées pour lutter contre le trafic de drogueL’office de l’Oise a annoncé vouloir évacuer 30 logements dans le quartier du Clos-des-Roses, à Compiègne.
LE MONDE | 09.01.2017 à 14h17 • Mis à jour le 09.01.2017 à 16h12 | Par Isabelle Rey-Lefebvre
Un trafic de stupéfiants –
héroïne,
cocaïne,
ecstasy et
crack, en plus du
cannabis – sévit, depuis près de quinze ans, dans le quartier d’habitat social du Clos-des-Roses, à Compiègne (Oise) un trafic de stupéfiants qui s’est intensifié depuis avril 2016. L’office public HLM de l’Oise a annoncé, jeudi 5 janvier, qu’il allait y murer trois cages d’escalier, soit trente logements. La décision et, surtout, sa médiatisation résonnent comme un appel au secours en direction des pouvoirs publics.
« Les trafiquants ont pris possession de ces halls et escaliers, entravant la circulation des locataires, arrachant les circuits électriques, manipulant même les arrivées de gaz, explique Vincent Peronnaud, directeur de cet Office public d’aménagement et de construction (OPAC). Je ne peux pas mettre en danger la vie des occupants de la vingtaine d’appartements encore utilisés et je vais les reloger ailleurs. Leurs demandes de congé et de mutation ont d’ailleurs triplé, en deux ans. »
Stéphane Denis, chargé de sécurité à l’OPAC avance prudemment, lampe de poche en main pour aller inspecter les parties communes, non sans vérifier, d’un coup d’œil, qu’aucun projectile ne lui tombera dessus depuis les étages supérieurs au moment d’entrer : « On ne peut venir que tôt le matin, quand les trafiquants dorment, ou accompagné des forces de l’ordre. Les prestataires pour la maintenance, eux, ne viennent qu’en présence de policiers », raconte-t-il.
Dès la grille d’accès, l’interphone est fracassé, les caméras de surveillance cassées ou bombées de peinture noire ; dans le hall, où trône la chaise d’un « dealer », les fils électriques et les boîtiers lumineux de sécurité pendent aux murs, des pavés de verre dans la cage d’escalier sont descellés pour que les guetteurs puissent surveiller les alentours. Au sous-sol, dans les caves dont les portes de sécurité, fraîchement installées, sont déjà toutes tordues au pied de biche, on trouve des matelas, des canapés et des branchements sauvages pour l’atelier de préparation des doses. L’activité des dealers ne commence, au vu et au su de tous, qu’en début d’après-midi.
« Je ne reconnais plus mon quartier. Ils ont pris le pouvoir, se désole une habitante qui, par peur de représailles, souhaite rester anonyme. Je ne comprends pas que la France, qui fait la guerre dans plusieurs pays, n’arrive pas à venir à bout d’une bande de trafiquants. Ils ne s’attaquent certes pas aux habitants, mais il est impossible d’élever des enfants dans cette ambiance ». Les 454 appartements du Clos-des-Roses, dans 38 cages d’escaliers de 20 bâtiments appartenant à l’OPAC, ont pourtant fait l’objet d’une grande opération de rénovation de 57 millions d’euros, entre 2010 et 2015.
Isoler la cour de l’école
A la sortie de l’école primaire Philéas Lebesgue, deux mères de famille disent y trouver la vie agréable « à condition de ne pas gêner ce “commerce”», précise l’une d’elle, qui va jusqu’à trouver les dealers « polis, aimables ». « Certains portent nos courses, surveillent nos enfants », explique-t-elle. Les enseignants trouvent la menace pourtant prégnante, entendent de plus en plus de parents émettre le vœu de partir et ont demandé que la cour de récréation soit visuellement isolée, par une bâche, du trafic qui se déroule derrière ses grilles, à moins de cinquante mètres.
La décision prise par l’OPAC de l’Oise intervient après une série d’événements survenus en 2016 : autant d’échecs qui ont marqué le quartier. Ce furent les fermetures successives, jusqu’en mai, des quatre résidences pour étudiants, soit 226 studios récemment réhabilités et dont nombre des locataires étaient consommateurs de drogue. Mi-janvier 2016, la Caisse d’allocations familiales de Compiègne, après des agressions et des coups de feu, a cessé son activité, « un coup dur car ils s’étaient engagés, en achetant leurs locaux, à être là pour longtemps », déplore Sylvie Pottier, directrice de l’antenne locale de l’OPAC de l’Oise.
L’opération ratée de reconquête des parties communes, en avril 2016, fut aussi vécue comme une défaite : « Nous avions décidé, en accord avec la municipalité, la préfecture et la police, d’embaucher quinze agents de sécurité aidés de chiens pour, vingt heures sur vingt-quatre, empêcher tout trafic, raconte Stéphane Denis. Il raconte que ça a marché le premier jour. Le deuxième, les vigiles ont été menacés ou se sont vu proposer de l’argent pour déguerpir. Le troisième, ce fut « l’attaque en règle, par une soixantaine d’individus, avec tir de mortier, caillassage et armes de poing, sans que les forces de l’ordre ni les pompiers ne puissent intervenir puisqu’elles étaient mobilisées à l’autre bout de la ville par une opération de diversion, l’incendie de 34 véhicules municipaux ».
Ultime humiliation, le 3 juin 2016, avec l’accueil par des jets de pierre du jeune président de l’OPAC de l’Oise, Arnaud Dumontier, également maire (LR) et conseiller départemental de Pont-Sainte-Maxence, ville voisine de Compiègne, venu visiter les lieux.
« L’OPAC est allé au bout de ce qu’il pouvait faire, soutient Stéphane Denis. Dix personnes s’occupent de sécurité, des caméras de surveillance quadrillent le terrain… La police et la justice agissent, mais cela n’assure pas la sécurité au quotidien ». Murer des logements fait néanmoins débat : « Nous avons pourtant beaucoup investi dans ce quartier mais la situation y reste préoccupante, admet Philippe Marini, maire (LR) de Compiègne. La décision de l’OPAC d’abandonner des immeubles aux trafiquants n’est pas la bonne méthode. »
Le préfet de l’Oise, Didier Martin, arrivé en janvier 2016, ne cache pas non plus son agacement : « Je comprends l’exaspération des habitants mais il ne faut pas oublier l’action sous-marine, discrète mais importante de la police et de la justice dont l’objectif est de traquer les têtes de réseaux, pas les petits guetteurs ». Des condamnations sont tombées et l’Etat n’est en effet pas resté inerte. Sous l’impulsion du procureur de la République Stéphane Hardouin, un groupe local de traitement de la délinquance s’est réuni régulièrement, depuis 2015, jusqu’à son départ, en juin 2016. Hélas, la nouvelle procureure ne prendra ses fonctions que mi-janvier, après une carence du poste de six mois…
« Sécurisation impossible »
« Dix-sept opérations de police ont eu lieu, en 2014, vingt en 2015, vingt-six en 2016, avec des trafics démantelés, en visant les acheteurs pour remonter jusqu’aux vendeurs », selon Jean-Luc Taltavull, secrétaire général adjoint du Syndicat des cadres de la police nationale et ancien directeur départemental adjoint de la sécurité publique de l’Oise. A plusieurs reprises, la police a démonté des cabanes qui faisaient office de « drive » pour vendre la drogue aux consommateurs sans qu’ils descendent de voiture… « Mais, avec un seul véhicule police secours et deux ou trois agents, la sécurisation au quotidien du Clos des Roses est impossible. Les policiers ne se déplacent que pour une urgence, sinon ils sont systématiquement pris à parti. Il aurait fallu des renforts de CRS, mais ils étaient souvent mobilisés ailleurs ».
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Compiègne n’est pas la seule ville à appeler au secours face à la progression du trafic de drogues. Stéphane Peu, président (Front de gauche) de l’office public Plaine commune habitat (18 000 logements sur sept communes de Seine-Saint-Denis), a, lui aussi, le 8 novembre 2016, tiré la sonnette d’alarme. « Un quart de notre patrimoine est sous l’emprise des trafiquants », plaide-t-il, dénonçant le cortège de blessures par balles, règlements de comptes, agressions physiques, vols, cambriolages qui empoisonnent la vie des habitants et dissuadent les commerçants et professions libérales de rester. Il a décidé d’attaquer l’Etat pour refus de porter les effectifs locaux de police de 290 à 500 agents, « soit un policier pour 200 habitants, comme à Paris », argumente-t-il. Son initiative a un écho certain dans le monde HLM.
Expulser les dealers et leurs familles
Un amendement à la loi égalité et citoyenneté présenté par 33 députés socialistes et écologistes a été adopté contre l’avis du gouvernement, le 24 novembre 2016. Il permet désormais aux bailleurs, sociaux ou privés, de réclamer au juge la résiliation de plein droit d’un bail « lorsque le locataire ou l’un des occupants du logement a fait l’objet d’une condamnation passée en force de chose jugée au titre de la consommation ou du trafic de stupéfiant, si les faits se sont produits dans le logement, l’immeuble ou le groupe d’immeubles », précise le texte. Le nouveau texte va faciliter la tâche aux bailleurs en les dispensant de prouver un tel trouble, l’expulsion devenant automatique après une condamnation pour trafic.
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