Par Daniel LauretPolyconsommateur de drogues, Stéphane a en partie vaincu son cancer du sang grâce aux propriétés médicinales du cannabis.Entré dans les addictions à l'âge de 16 ans par le
tabac, Stéphane* a rapidement élargi, souvent avec excès, l'éventail de ses expérimentations.
Alcool,
cocaïne,
cannabis,
ecstasy et
LSD : les drogues ont émaillé le parcours de sa courte vie, brisée à nouveau par un cancer détecté à l'âge de 25 ans. Alors qu'il appréciait jusqu'alors le
cannabis pour ses propriétés récréatives, il a alors découvert ses autres vertus, médicinales.
Le
cannabis médical, aussi appelé
cannabis thérapeutique, est autorisé dans certains pays européens, dans la majorité des États américains aux États-Unis, ainsi qu'au Canada, en Australie ou au Chili. Il se révèle efficace pour traiter des spasmes musculaires chez des sclérosés en plaques, pour soigner les effets secondaires des chimiothérapies (nausées, vomissements, perte d'appétit), mais également pour réduire la fréquence des crises des personnes épileptiques. De récentes études ont également montré un potentiel effet anticancéreux du
cannabis, comme l'atteste Paul Hofman, directeur du laboratoire de pathologie de Nice dans une interview réalisée par le site Futura Santé.
Cette année, Stéphane aura 40 ans. Son cancer a été guéri en partie grâce au
cannabis. Il vit désormais en couple, s'est lancé dans la création artisanale et s'apprête à construire sa maison en paille. Sa consommation de drogues perdure, même si elle n'a plus rien à voir avec celle de ses jeunes années.
Il a accepté de revenir avec moi sur la façon dont l'herbe lui a notamment permis de l'emporter sur sa leucémie.
VICE : Quand est-ce que tu as commencé à consommer de l'
alcool et des drogues ?
Stéphane : Tous mes potes se sont mis à fumer des
joints et des clopes dès l'âge de 14 ans.Moi j'ai commencé en 1993, à 16 ans. J'ai acheté un paquet de clopes en partie pour séduire une fille, mais je situe aussi mon entrée dans la consommation dans un contexte de conflit avec mes parents. Dès que j'ai commencé à fumer du
cannabis, j'ai eu l'impression de mieux gérer mes émotions avec eux. Mes relations se sont pacifiées.
Seulement, à l'époque pour trouver de la fumette, il fallait avoir de mauvaises fréquentations. Un jour, vers 17-18 ans, mon dealer était en rade de
shit donc il m'a filé gratuitement des acides [du
LSD, N.D.L.R.], que j'ai testés pour la première fois avec mes potes. J'ai pris ça de manière anodine car c'était la mode des raves et ça se banalisait. Dès lors, pendant trois ou quatre ans, j'ai régulièrement expérimenté le
LSD, l'
ecstasy, le
cannabis, le
tabac et l'
alcool.
Ta consommation a-t-elle évolué par la suite ?
Vers 21 ou 22 ans, en 1998-1999, alors que j'avais commencé à bosser dans une entreprise de produits pharmaceutiques – j'ai une licence de chimie –, j'ai arrêté le
LSD et l'
ecstasy. L'
alcool a en partie pris le relais. Et c'est au même moment que j'ai rencontré la
cocaïne. Je pouvais m'en procurer d'autant plus facilement qu'à l'époque j'avais de bons revenus. Et l'un des problèmes de la
coke, c'est qu'elle pousse à la consommation d'autres drogues en abus. Quand on en prend, il faut ingérer plus d'
alcool pour atteindre l'ivresse. Et pour pouvoir redescendre, quand je me sentais trop
speed, je finissais par fumer des
joints. Puis je suis tombé malade.
Tu as eu un cancer à l'âge de 25 ans. Comment l'as-tu découvert – et vécu ?
Au mois de décembre 2001, dans le cadre de mes contrôles médicaux routiniers au travail, j'ai fait une prise de sang dont les résultats se sont révélés anormaux. Quelques jours plus tard, alors que je fais un accès de fièvre à 42, j'ai consulté un médecin de garde. Il m'a annoncé que j'avais soit une hépatite C, soit une leucémie. Deux jours après, le verdict tombait : j'étais atteint d'une leucémie aiguà«. Ironie du sort, je travaillais alors à la fabrication d'un médicament pour la circulation du sang.
Se sont ensuivis sept mois de chambre stérile à l'hôpital, où j'ai enchaîné les chimiothérapies.
Pendant ce temps, poursuivais-tu ta consommation d'herbe ?
J'ai d'abord refusé tous les
opiacés que l'hôpital m'a proposés pour le traitement des douleurs – j'en détestais les effets, ça me rendait agressif. J'ai pris l'initiative de fumer des
joints avec de l'herbe seulement, sans
tabac. Par chance, à peine tombé malade, un pote m'a ramené un bocal d'herbe et m'a fourni pendant toute ma période à l'hôpital, gratuitement. Puis j'ai réalisé un truc : dès que je tirais trois ou quatre lattes et aussitôt plus de vomissements, plus de spasmes musculaires, ni de contractions ventrales. Ça me donnait de l'appétit et j'arrivais à nouveau à dormir. Je faisais ça trois, quatre fois par jour et ça me donnait au moins deux heures de répit pour combattre les effets secondaires de la chimio.
Mélangeais-tu ça avec d'autres médications ?
Dans les moments les plus durs, j'utilisais le Tranxène que j'avais à disposition en perfusion intraveineuse après avoir tiré mes trois-quatre lattes de
beuh pure. Alors que le temps d'administration du Tranxène s'étale normalement sur trente minutes, il arrivait que j'accélère le rythme de perfusion pour me soulager plus rapidement. J'ai pris cette initiative parce que j'avais une certaine habitude des drogues. Je ne le recommande à personne, évidemment.
Connaissais-tu alors les effets positifs du
cannabis sur les patients atteints de cancer ?
Pas du tout. Si les bienfaits du
cannabis médical sur ces symptômes sont aujourd'hui avérés scientifiquement – on commence même à parler d'effet anti-tumoral potentiel –, à l'époque je n'en avais pas du tout connaissance. À l'époque, les médecins m'ont chopé plusieurs fois en train de fumer. Pour eux, la question du
cannabis était taboue – et pas seulement de par son illégalité. Ils préféraient ne pas en discuter avec moi.
Aurais-tu pu être mieux soigné, selon toi ?
À vrai dire, j'aurais pu bénéficier d'une greffe. Seulement, ma sœur et mon frère n'étaient pas compatibles. Tout s'est joué sur la dernière chimio, qui a été beaucoup plus forte que les précédentes. Elle devait s'étendre sur deux mois et demi mais finalement, après trois semaines seulement, on m'a annoncé que j'étais complètement guéri. C'est un miracle que les médecins, alors, n'ont pas su expliquer.
Comment as-tu géré les mois qui ont suivi l'hospitalisation ?
À ma sortie d'hôpital, mon médecin traitant n'a pas répondu à ma demande de prise en charge. J'ai contacté 5 psychiatres – et même laissé plusieurs messages à l'un d'entre eux sans avoir aucune réponse. J'ai ressenti une forme d'abandon. J'étais sans activité professionnelle et célibataire. J'ai continué à fumer du
cannabis mais en ayant l'effet pervers du produit : je suis devenu dépressif et paranoïaque. J'ai repris le
tabac que j'avais complètement arrêté pendant l'hospitalisation, et la
cocaïne. Elle m'a « aidé » à avoir la pêche, à avoir envie de retrouver une vie sociale, sortir. En moins de six mois, j'ai repris du poil de la bête.
Jusqu'au moment ou j'ai retrouvé une vie à construire. J'ai fait des choix, me suis séparé de quelques potes, et ma consommation de drogues a évolué.
Dans quel sens ?
J'ai arrêté la
coke, l'
alcool, et me suis mis à cultiver ma propre herbe, de l'Indica. Je n'avais pas forcément eu l'opportunité de le faire avant. En plus, quand on s'intéresse aux différentes variétés de la plante, on peut choisir les effets. Comme aux Pays-Bas par exemple, où, dans les coffee-shops, tu as des variétés d'herbe pour différents usages : te calmer, rire, planer, etc. En France, tu te retrouves obligé de fumer de la merde vendue dans les mauvais quartiers, par de mauvais dealers.
Où en es-tu aujourd'hui vis-à -vis de tes addictions ?
Grâce à l'âge et à l'expérience sans doute, je consomme toujours mais je consomme moins – et de manière plus raisonnée. J'ai envie d'arrêter le
tabac mais du coup ça implique aussi de consommer l'herbe de
cannabis autrement que sous forme de
joint, par vaporisation par exemple. Le gros problème de la
cigarette, c'est qu'avec les paquets de vingt, tu fumes plus par réflexe que par envie. C'est pour ça que j'ai commencé à rouler du
tabac, autant que pour des raisons financières.
Quant au
cannabis, c'est une drogue qui me correspond, qui m'apaise.
Je suis assez critique sur l'hypocrisie des politiques français qui autorisent les salles de shoot et qui dans le même temps continuent à criminaliser le
cannabis. La nouvelle génération se drogue probablement plus que la mienne, a accès aux produits de synthèse et le double discours de nos dirigeants ne va sans doute pas les aider à réduire les risques en matière d'addictions.
*Le prénom a été modifié à la demande de notre interlocuteur.
>
https://www.vice.com/fr/article/comment … ec-la-weed