L'
héroïne était son quotidien :
Les héroïnomanes sont équipés d'une véritable pharmacie pour s'injecter la drogue. Une quinzaine de seringues usagées au fond d'une boîte : direction poubelle. Un geste qui a valeur de symbole pour *** bien décidé à en finir avec l'
héroïne. À 34 ans, le visage de cette Saint-Quentinoise en paraît dix de moins, mais son corps est déjà celui d'une vieillarde. Sa maigre silhouette contraste avec ses mains violacées et gonflées, ses bras ne sont plus qu'une succession de cicatrices, traces indélébiles de sa première période « toxico ».
C'était il y a plus de quinze ans. « Ca a duré 6 mois » raconte-t-elle. Elle venait de subir une expérience traumatisante. Un petit copain « déjà dans la
came », et commence pour elle les premiers « shoots ». « Je suis passée directement en intraveineuse, lâche-t-elle. À l'époque pourtant j'avais ma petite vie normale. Un petit shoot le soir pour me détendre et ça s'arrêtait là »
Mais les « petits trafics » pour financer sa consommation, lui font connaître la détention pendant neuf mois. « La prison m'a détruite. En sortant de là , je n'ai jamais plus été la même. ». Dès sa sortie, *** est placée sous
subutex, un produit de
substitution. Là encore, elle se l'injecte en piqûre. « La plupart des cicatrices sur mes bras datent de cette période. » avoue-t-elle en soulevant les manches de son gilet. À force de volonté, la jeune femme parvient tout de même à décrocher. « C'est une fierté d'en arriver là . Pendant près de dix ans, je n'ai rien pris du tout. Si j'avais continué, je ne serais assurément plus de ce monde, on ne peut pas être toxicomane à vie ».
Son nouveau petit ami, qui lui aussi est passé par l'
héro, l'imite. Le couple parvient à reprendre une vie normale. Jusqu'à leur installation dans une cité saint-quentinoise. La drogue y est à portée de main et le compagnon replonge. « C'est vite devenu insupportable. Je vivais cloîtrée dans le salon. Des personnes venaient jusque tard la nuit pour se shooter. Mon copain devenait violent avec moi, ce n'était plus le même homme ». Devenue anorexique et dépressive, *** tient bon plusieurs mois mais finit par replonger en toute connaissance de cause en octobre dernier. « Par amour » dit-elle. « Je ne savais plus quoi faire, alors j'ai retapé. Pas pour le plaisir de la défonce mais pour me faire des bobos. » Avec les seringues, elle se mutile créant des abcès sur ses jambes. « Je voulais me faire hospitaliser pour qu'on s'échappe de là . ». Un fiasco. Non seulement, elle n'est pas hospitalisée, mais son homme est arrêté par les gendarmes en début d'année. Prison ferme. Pour elle, maintenant tout est à reconstruire. Seule, elle se raccroche désormais à ce qu'elle peut. Pour le moment, ce sont ses deux animaux de compagnie. Sa nouvelle drogue.
LA LONGUE SORTIE DE L'ENFER
En une journée, *** s'est retrouvée sans rien. Sans compagnon, sans drogue, sans produit de
substitution. Elle vit désormais chez sa grand-mère et entre deux soins pour sa jambe, tente de frapper à toutes les portes. Plusieurs associations lui sont venues en aide mais son état psychologique est encore précaire. « Il m'a fallu trois semaines pour obtenir de la
méthadone. Le temps de faire toutes les analyses. En attendant c'est la galère. Je suis au fond du trou. Même si je suis d'une nature débrouillarde, j'ai vraiment besoin d'aide au début, ne serait-ce que pour me déplacer ».
Pourtant, les seuls, ou presque, qui donnent des nouvelles sont des consommateurs prêts à tout pour obtenir ne serait-ce qu'un gramme. Les rares coups de téléphone proviennent de ses « amis » du milieu. Difficile dans ces conditions de décrocher totalement, mais *** semble tenir bon. « Depuis trois semaines, il m'aurait été très facile de replonger mais je refuse de mettre le peu de thune qu'il me reste dans la
came. Maintenant je veux avoir ma petite vie tranquille, c'est tout ce que je veux ».
Elle a refusé l'hospitalisation, « car personne ne viendra s'occuper de mes bêtes ». Plus que le manque, la solitude semble être le véritable fardeau de sa nouvelle existence. Dans quelques semaines, ses deux grandes filles viendront la voir. À demi-mot, elle dit redouter leur regard, même si elle le jure : « Mes filles n'ont jamais vu une seringue et j'espère qu'elles n'en verront jamais.
LE DEPARTEMENT FORTEMENT TOUCHE
Il n'est pas facile de connaître avec précision la consommation d'
héroïne dans l'Aisne. Pour autant, certaines tendances se dessinent, et elles ne sont guère rassurantes.
La proportion de consommateurs d'
héroïne est, en effet plus importante dans le département que la moyenne des départements français. L'une des explications avancée par les autorités est la proximité de la Belgique.
« Le prix de la drogue est relativement faible, explique David Boileau directeur départemental de la sécurité publique par intérim. Comparativement, le prix d'un gramme est ici en moyenne de 20 euros et peut atteindre 60 ou 80 euros en Bretagne par exemple. »
Pour autant et malgré les idées reçues, obtenir de l'
héroïne n'est pas chose aisée. « Il est presque plus facile d'obtenir de la
méthadone au noir, indique un consommateur qui se dit occasionnel ». Il suffit d'aller en Belgique, on va à la pharmacie après avoir vu un médecin sur place, et on repart avec un flacon pour un mois ».
Et celui-ci d'ajouter : « L'
héro n'est plus si pure qu'avant, il y a beaucoup de saloperie, de produits de
coupe ».
En plus de la toxicomanie proprement dite, l'autre danger provient de là . « Il y a de plus en plus de choses synthétiques dans la
came ajoute-t-il. Beaucoup de jeunes veulent essayer et ne le savent pas. Ils s'injectent les résidus qui peuvent leur bouffer les artères. » Le docteur Briand, spécialisé en addictologie, le confirme : « Les toxicomanes arrivent par vague en consultation. Il suffit que la drogue soit mal coupée, et on en voit plein débarquer ».
La principale ville du département, Saint-Quentin n'est pas forcément la plus touchée par ces stupéfiants. La région de Soissons a montré par de nombreuses interpellations ces dernières années, que la consommation y était importante. Les communes rurales ne sont pas non plus épargnées, loin de là , notamment le secteur de Bohain-en-Vermandois.
Les autorités prennent en compte ce phénomène et un plan régional d'addiction devrait se mettre en place dans les prochains mois pour lutter contre l'
héroïne et toutes les formes de drogue en général.