Le
cannabis, une drogue aux vertus thérapeutiques
LE MONDE | 11.12.09 | 14h43 • Mis à jour le 11.12.09 | 14h43
Atteint d'une sclérose en plaques, Olivier, 50 ans, fume quotidiennement du
cannabis pour soulager ses douleurs et les effets secondaires liés à son traitement, une injection hebdomadaire d'Interféron bêta 1-a. "C'est très efficace contre les nausées et pour donner de l'appétit,explique-t-il. Sans cela, je ne serais pas capable de sortir. Et puis, ça me maintient le moral." Le 26 août, les gendarmes ont fait irruption dans sa maison du Lot et ont saisi ses plants. Olivier, qui a été condamné à 150 euros d'amende avec sursis, ne décolère pas : "Je ne suis ni un dealer ni un toxicomane, et le
cannabis m'aide bien davantage que les traitements classiques contre la douleur. Je n'ai pas envie de finir en fauteuil roulant."
En France, le
cannabis est une drogue illicite, qu'il s'agisse d'usage récréatif ou thérapeutique. Nicolas, un Luxembourgeois ancien inspecteur de police, n'a pas ces soucis. Son médecin hollandais installé en Allemagne lui prescrit du Bediol, des fleurs de
cannabis sous forme de poudre, qu'il va acheter aux Pays-Bas à la pharmacie Hanzeplein de Goningen. "J'en prends juste le soir dans un thé de chanvre. Je souffre d'un syndrome de trouble de l'attention avec hyperactivité (TDAH) et ça a changé ma vie", témoigne cet homme de 54 ans qui ne supportait pas le méthylphénidate prescrit pour ce genre de syndrome.
Contrairement à leurs homologues français, depuis 2003, les médecins néerlandais peuvent prescrire librement du
cannabis, sous sa forme naturelle, aux personnes qui souffrent de certaines pathologies. "Des données cliniques, qui demandent à être complétées, ont montré l'efficacité de cette thérapeutique notamment pour lutter contre la douleur dans la sclérose en plaques et certains cas de myopathies ou de cancers, la perte d'appétit dans les chimiothérapies et, de manière plus spéculative, pour aider les personnes atteintes de
TDAH", explique Marco Van de Velde, directeur de l'Agence du
cannabis médical des Pays-Bas. Créé en 1998 sous la pression des associations de malades atteints de sclérose en plaques, cet organisme placé sous la tutelle du ministère de la santé contrôle la production de
cannabis et est seul habilité à le vendre aux pharmacies. Trois produits sont délivrés dans les officines, avec différents dosages en tétrahydrocannabinol (THC) et en
cannabidiol (CBD) qui n'est pas psychoactif et présente l'avantage d'atténuer les éventuels effets secondaires liés au
THC (ivresse, anxiété, fatigue...). "Il est recommandé de ne pas fumer le
cannabis, car les produits de la combustion sont nocifs, poursuit Marco Van de Velde. On peut le consommer en thé ou l'inhaler avec un
vaporisateur." 500 patients s'approvisionnent dans les pharmacies, les autres leur préférant les coffee-shops où le produit, encore peu remboursé par les compagnies d'assurances, est moins cher.
Le Canada et quatorze Etats américains autorisent également la consommation du
cannabis pour des raisons thérapeutiques, faute d'alternative et sur prescription d'un médecin ou autorisation spéciale. A côté de la prescription de
marijuana, il existe sur le marché des médicaments à
base de
cannabis. Là encore, Etats-Unis et Canada font figure de précurseurs. Ils ont autorisé la prescription du Marinol et de Césamet (tétra-hydrocannabinol ou
THC de synthèse) pour traiter nausées et vomissements associés aux chimiothérapies anticancéreuses et contre les pertes d'appétit chez les personnes atteintes du sida. Au Canada, le
Sativex est autorisé depuis 2005 pour lutter contre les douleurs spastiques de la sclérose en plaques. Il associe deux cannabinoïdes, le
THC et le
CBD. Des demandes de mise sur le marché sont en cours en Espagne et en Grande-Bretagne, où il est déjà délivré sur autorisation spéciale. Selon le laboratoire Meda, qui distribue le Cesamet en Europe et aux Etats-Unis, il est également prescrit en Grande-Bretagne, Irlande, Finlande et Espagne, selon des procédures particulières.
En France, la réglementation permet, sous certaines conditions très restrictives, la délivrance de médicaments cannabinoïdes. Les médecins doivent faire une demande d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Depuis 2001, seules 90 ATU ont été accordées pour des prescriptions de Marinol, principalement pour des nausées liées aux chimiothérapies, des séquelles d'affections inflammatoires du système nerveux, ou encore des problèmes d'inappétence liés au sida. "Nous délivrons des ATU nominatives dans le cadre de pathologies graves ou rares lorsqu'il n'y a pas d'alternative thérapeutique et nous avons très peu de demandes de renouvellement", précise-t-on à l'Afssaps. "Ces procédures, longues et compliquées, découragent les prescripteurs, considère Bertrand Lebeau, médecin addictologue. Il m'est arrivé d'en demander à plusieurs reprises mais je suis rarement allé jusqu'au bout. Il faut démontrer que toutes les possibilités ont été utilisées auparavant."
"La France accuse un retard de quinze ans. Il y a urgence à mettre en place un cadre permettant aux malades d'avoir accès à toutes les thérapeutiques à
base de cannabinoïdes (Sativex, Dronabinol) et au
cannabis sous sa forme naturelle", plaident les associations Act-Up Paris, SOS-hépatites, Anitea (Association nationale des intervenants en toxicomanie et addictologie) et ASUD (Autosupport des usagers de drogue). Elles demandent l'arrêt des poursuites judiciaires pour ceux qui utilisent ou cultivent le
cannabis à des fins médicales.
Martine Laronche