Bonjour, le lien n'a pas fonctionné mais en copiant l'adresse voila le rapport
210505rapportcannabisrecreatif.pdfAmicalement
SYNTHÈSE DU RAPPORT
CANNABIS : LÉGALISER, ENCADRER, PROTÉGER
Qu’on le désigne par ses acronymes familiers («
joint », «
beuh », «
ganja » (1), etc.) ou historiques («
marijuana », «
haschich », « kiff », etc.), le
cannabis utilisé à des fins récréatives ne laisse personne indifférent. La multitude des discours militants, qu’il s’agisse de maintenir la prohibition ou, au contraire, de la lever, rend d’autant plus délicate la recherche d’un point de vue équilibré sur la question.
Dans un souci d’exhaustivité et d’objectivité, la rapporteure a décidé d’ aborder la politique française de répression du trafic et de l’usage du
cannabis sous un angle méthodologique proche du contrôle de gestion, c’est-à-dire en effectuant un rapprochement entre les moyens engagés et les résultats obtenus compte tenu des orientations fixées dans le cadre d’une démarche stratégique préalable (2). S’ agissant des produits stupéfiants, les objectifs ont peu varié au fil du temps et s’articulent autour de la résorption de la consommation, notamment dans une optique de santé publique, et de la lutte contre les trafics, perçue comme un moyen d’améliorer la sécurité dans les quartiers les plus affectés (3).
Dans son analyse, la rapporteure s’est donc attachée à évaluer la réalité de l’ effort entrepris par les administrations concernées, c’est-à-dire les services de contrôle (police, gendarmerie et douane) et les juridictions pénales. Au-delà du seul nombre de personnes interpellées pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS), les parlementaires se sont efforcés d’obtenir une estimation du coût que représentent ces contrôles pour les finances de l’État et ont souhaité avoir des précisions sur la manière dont les sanctions prévues par la loi étaient mises en œuvre.
À cette fin, les représentants de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) ainsi que de la Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG) ont été auditionnés. Diverses données statistiques, collectées au plus près du terrain sur une longue période par les chercheurs de l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT), ont pu également être exploitées.
L’estimation de la consommation de
cannabis, tant au titre de son évolution générale que du profil des principaux usagers, s’est appuyée, pour une large part, sur les travaux réalisés sur ce sujet par l’OFDT et son pendant européen, l’Office européen des drogues et des toxicomanies (OEDT).
L’enquête réalisée par l’OFDT sur les Français de dix-sept ans dans le cadre de la journée d’appel de préparation à la défense(1) offre un éclairage précieux sur ce que représente aujourd’hui le
cannabis récréatif parmi les jeunes générations. Le point de vue de certains sociologues a, par ailleurs, été sollicité afin de compléter utilement cet état des lieux chiffré.Afin d’évaluer l’impact de cette consommation d’un point de vue sanitaire et sécuritaire, la mission a fait appel à une large palette de spécialistes : des médecins et chercheurs couvrant les domaines de santé concernés (addictologie, psychiatrie, pédopsychiatrie, toxicologie et pharmacologie), des sociologues ayant travaillé sur les populations touchées par les phénomènes de drogues, des experts en criminologie(2) ainsi qu’une journaliste d’investigation et un ancien policier britannique infiltré dans les milieux de la drogue(3).
Il est apparu également nécessaire de consulter les principaux acteurs de terrain au contact des usagers, à savoir des maires de communes urbaines, des associations spécialisées dans les addictions et des représentants des personnels de l’éducation nationale. Les conclusions qui découlent de ces travaux sont sans appel : la politique répressive française coûte cher et mobilise à l’excès les forces de l’ordre sans pour autant contribuer, même de manière marginale, à la résorption de l’usage et du trafic de
cannabis.Les services de contrôle redoublent aujourd’hui d’efforts, notamment en direction des usagers, et une réponse pénale est désormais presque systématiquement apportée à chaque infraction détectée. L’administration est, ici, exemplaire dans la mise en œuvre des instructions gouvernementales appelant sans relâche à l’intensification des sanctions.
En dépit de cette mobilisation, l’État assiste de manière impuissante à la banalisation du
cannabis chez les jeunes et à la détérioration de la sécurité dans certains quartiers urbains depuis de nombreuses années. Outre la lassitude, bien compréhensible, de certains fonctionnaires à l’idée de « vider l’océan à la petite cuillère(4) », la mission d’information constate avec inquiétude qu’un abîme s’est créé entre le discours politique, à tonalité volontariste, et la réalité sociale des zones urbaines affectées, où dominent violence et désespoir. (1)
La rapporteure s’inquiète d’autant plus que la communauté scientifique a, de manière unanime, rappelé les effets néfastes du delta-9-tétrahydrocannabinol (THC),le principe actif du
cannabis, sur le cerveau des jeunes consommateurs. Les risques de troubles psychiatriques sont avérés lorsque l’usage est précoce et s’ accroissent aujourd’hui en raison des fortes concentrations disponibles sur les marchés clandestins.
Par ailleurs, les moyens alloués à la prise en charge sanitaire des usagers et à la prévention en milieu scolaire ne sont définitivement pas à la hauteur des enjeux.Alors que l’État semble s’engager, une fois de plus, dans une nouvelle « guerre contre les drogues » à la faveur d’un plan national anti-stupéfiants et du déploiement d’un dispositif d’amende forfaitaire, la rapporteure estime que cette politique est « condamnée à échouer comme les précédentes(1) » et appelle à un véritable changement de cap.
La France est loin d’être isolée dans ses tentatives de résorber les problèmes de société liés aux drogues et, plus particulièrement, à la consommation et au trafic de
cannabis.
Quelle que soit la région du monde où ils se situent, les États sont confrontés à la délicate question des méthodes les plus pertinentes pour faire face à ces questions.
Compte tenu de l’échec, tout aussi indéniable qu’inquiétant, de la politique répressive menée par la France depuis 1970, la mission d’information a décidé de passer au crible un certain nombre d’expériences étrangères, notamment celles qui ont consisté à rompre avec l’option d’une prohibition absolue (production, distribution et usage) en Europe (Pays-Bas, Portugal et Luxembourg) et sur le continent américain (Uruguay, Canada et États-Unis).
Une fois encore, les parlementaires se sont efforcés de ne pas porter un quelconque jugement « moral », positif ou négatif, sur les orientations mises en œuvre par ces pays, mais de jauger l’efficacité des mesures prises au regard des objectifs affichés, tant en termes de sécurité que de santé publique.
À chaque fois, la rapporteure ne s’est pas contentée d’effectuer une description du contenu des dispositifs mis en œuvre : elle s’est également attachée à présenter les conditions d’émergence, tant politiques que sociales, de ces réformes. Au-delà des aspects techniques des textes votés et des structures mises en place, les politiques de résorption ou de régulation des drogues ne font souvent que refléter une trajectoire historique propre au pays concerné.
En effet, il importe d’avoir conscience de ces spécificités nationales afin d’éviter l’écueil méthodologique d’une application sans discernement de mesures étrangères à un pays comme la France, dont les traditions sociologiques et politiques sont parfois bien différentes de celles de ses partenaires.
Bien évidemment, il n’a pas été possible d’effectuer les déplacements envisagés ni d’auditionner l’ensemble des pays concernés : seuls les représentants de l’État du Colorado et du service portugais anti-drogues(1) ont par ailleurs pu être entendus par la mission d’information. Toutefois, la documentation disponible, qu’il s’agisse des données rendues publiques par les autorités nationales elles-mêmes ou des présentations effectuées dans des revues spécialisées, est suffisamment vaste pour permettre une revue de chacune des législations ciblées.
Par ailleurs, la mission a appuyé ses analyses à partir des éléments figurant dans les synthèses européennes et internationales publiées par l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
Pour chacun des pays concernés, la rapporteure a rappelé le cadre juridique international dans lequel ces réformes ont été menées. Celui-ci constitue une donnée centrale du problème. Depuis la première conférence sur l’opium, qui s’ est tenue à Shanghai en 1909, un volet important du droit international public s’est constitué en matière de contrôle des produits stupéfiants.
Tout en élargissant son périmètre géographique, ce corpus juridique s’est durci au fur et à mesure des années jusqu’à constituer l’expression quasi-parfaite d’un consensus international autour de la prohibition à la fin du siècle dernier(2). Face à l’échec mondial des politiques répressives et à la multiplication des initiatives nationales destinées à sortir du cercle vicieux de l’échec, ce consensus est aujourd’hui fragilisé et pourrait être sérieusement remis en cause dans les prochaines années.
Parmi ces expériences étrangères, celles engagée par l’Uruguay en 2013 a indubitablement été perçue comme la rupture la plus nette du consensus international. La réforme, initiée au plus haut niveau du pouvoir politique, s’est logiquement traduite par la mise en place d’un modèle de
légalisation du
cannabis appuyé sur un fort contrôle de l’État, depuis la production jusqu’à la distribution. Sans doute les retards dans la mise en œuvre des infrastructures de production et de distribution ont-ils joué un rôle majeur dans le bilan de cette
légalisation, pour l’instant en demi-teinte.
À l’inverse de l’Uruguay, les États-Unis ont rapidement évolué sous l’influence de certains États « précurseurs » tels que le Colorado, Washington, l’Oregon et l’Alaska qui se sont engagés au début des années 2010 dans la voie d’une
légalisation du
cannabis sur le modèle de l’économie de marché.
La production et la distribution s’articulent autour d’un système de licences professionnelles confiées à des opérateurs privés.
Le Canada a, pour sa part, opté en 2018 pour une voie médiane associant, selon la province ou le territoire considéré, des monopoles publics et des opérateurs privés sous licence. Dans les deux pays, des règles strictes ont, par ailleurs, été édictées pour protéger les mineurs et une fiscalité spécifique a été mise en place.Les expériences américaines et canadiennes sont encore trop récentes pour que l’on puisse en tirer un bilan définitif. Toutefois, il ressort des premières données disponibles que la consommation des plus jeunes n’a pas été stimulée par le changement de législation et, dans le cas du Canada, il semble même qu’elle ait légèrement diminué. Par ailleurs, la part du marché noir dans la consommation, même si elle n’a pas totalement disparu, apparaît de plus en plus clairement en perte de vitesse par rapport aux circuits légaux de distribution.Face aux réformes de grande ampleur menées outre-Atlantique, la situation européenne paraît encore relativement figée.
À l’exception du Portugal, qui se distingue par une législation audacieuse consistant, depuis 2000, à dépénaliser l’usage de tout produit stupéfiant en deçà d’un certain seuil et à traiter le consommateur comme un « patient » nécessitant un traitement médical, aucun pays ne s’est engagé, pour le moment, sur la voie d’une véritable rupture du consensus international. Même le Luxembourg, qui avait annoncé une réforme en ce sens en 2018, semble aujourd’hui hésiter à avancer. Quant aux Pays-Bas, sa réputation de « paradis des fumeurs de
joints » cache, en réalité, un simple modèle de
dépénalisation non entièrement assumée.
Plus de cinquante ans après l’entrée en vigueur de la loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970, la France est comme on l’a vu toujours prisonnière d’une ornière idéologique qui l’empêche de se dégager d’une impasse sécuritaire et sanitaire qu’elle a elle-même créée. Notre pays, qui a pu côtoyer pendant des siècles la plante de chanvre jusqu’à en être le principal producteur européen, reste aujourd’hui à l’écart des innovations réglementaires qui, comme en témoignent les analyses effectuées en deuxième partie, essaiment de plus en plus à travers le monde.Alors qu’elle entamait le troisième cycle de ses auditions, qui faisaient apparaître crûment l’échec de la litanie répressive, la mission d’information entendait résonner dans l’actualité récente les discours politiques campant sur l’idée simple que « le
cannabis, c’est de la merde(1) » ou qu’il « n’y a pas de drogue douce » mais un « fléau que nous devons combattre(2) ».
Plus encore que le manque de résultats de la prohibition, c’est la persistance de tels discours réducteurs qui étonne à une époque où l’évidence d’un changement s’impose. Comme l’écrivait, il y a dix ans, Mme Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération suisse et membre fondatrice de la Commission globale sur les politiques en matière de drogues(3), il importe de «briser le tabou qui pèse sur le débat et la réforme. C’est maintenant qu’il faut agir ! (4) ».
L’ ouverture d’un tel débat, qui était impensable il y a encore dix ou vingt ans, apparaît aujourd’hui envisageable, car l’état d’esprit de l’opinion publique a évolué, à contre-courant des rhétoriques martiales. La mission d’information a longuement examiné les résultats de plusieurs consultations, notamment celles effectuées par des instituts de sondage (IFOP, CSA) ainsi que celle engagée en 2019 par la municipalité de Villeurbanne : toutes montrent chez les Français la prise de conscience de l’inanité du statu quo. En ce sens, il n’est guère surprenant que la consultation citoyenne initiée par l’Assemblée nationale au début de cette année ait rencontré un tel succès et abouti à des constatations similaires.
Une fois posé le principe même d’un débat, encore faut-il en prévoir les modalités.
Sur ce point, la rapporteure estime nécessaire d’élargir le champ de la discussion au-delà des alcôves occupées par les experts ou les militants. Les autorités politiques ne sauraient se priver sur un sujet aussi sensible de tous les outils de mobilisation nationale qui sont à leur disposition, y compris la voie référendaire.
Le débat devra, par ailleurs, aborder de front la question des objectifs de la réforme. La rapporteure en a identifié six : réduire la délinquance dans un souci de justice sociale, assécher le marché noir, protéger notre jeunesse, développer les actions de prévention, notamment en direction des plus jeunes, et l’éducation à l’usage, éviter l’apparition d’un « Big cannabusiness » et, enfin, permettre le développement d’une filière économique nouvelle.
Par ailleurs, la multiplicité des expériences étrangères a convaincu la rapporteure qu’il n’existait pas un seul modèle de régulation des produits stupéfiants et que le seul fait de se positionner en faveur de la
légalisation du
cannabis ne faisait qu’ouvrir d’autres questions, toutes aussi complexes et sensibles. Selon les réponses que l’on apporte à chacune de ces questions, les effets sur chacun des objectifs identifiés ne seront pas le même.L’ objectif est bien de définir un modèle français de
légalisation réglementée qui tienne à la fois compte des succès et des échecs des expériences étrangères et des spécificités politiques, historiques et culturelles de notre pays.
Il convient, tout d’abord, de définir un circuit de production et de distribution, c’est-à-dire de déterminer qui sera autorisé à produire et à vendre du
cannabis à usage récréatif. L’option d’un monopole public est possible, mais d’autres solutions, plus proches du modèle de l’économie de marché, peuvent être mises en œuvre. La question du statut à donner à l’autoproduction devra également être tranchée.
L’ existence d’un marché du
cannabis avec une offre et une demande, que celui-ci soit réglementé ou non, amène inévitablement à s’interroger sur les modalités de fixation du prix. Celui-ci devra être en mesure d’assurer une rémunération aux producteurs et aux distributeurs tout en étant suffisamment bas pour « assécher » le marché noir. Dans une optique similaire, la mission d’information appelle les pouvoirs publics à ne pas s’engager, surtout dans un premier temps, sur la voie d’un mécanisme de taxation trop lourd.
Dans une approche prohibitionniste, les autorités pouvaient fermer les yeux sur les questions sanitaires liées à la consommation de
cannabis. Avec la
légalisation, il ne sera désormais plus possible d’esquiver le sujet : le débat devra déterminer, par exemple, l’étendue des formes de publicité à donner aux produits, définir les lieux publics où l’usage restera éventuellement interdit et maintenir des restrictions d’accès pour les mineurs.
En ce sens, une « loi Évin » du
cannabis est certainement indispensable. L’ impact de la
légalisation sur les réseaux criminels ne peut, à ce stade, être connu à l’avance.
Si l’on peut s’attendre à une déstabilisation des circuits actuels, la rapporteure appelle à la réinsertion des anciens trafiquants et au renforcement des sanctions contre ceux qui poursuivront leurs activités illégales. La régulation du
cannabis doit être envisagée dans le sens d’une amélioration de la sécurité des zones urbaines.
La rapporteure a souhaité laisser au débat toute sa place pour répondre à chacune des questions posées par la
légalisation. Elle insiste, en tout cas, sur la nécessité de tourner la page des polémiques stériles et, pour notre pays, de « reprendre le contrôle(1) » d’un secteur en déshérence depuis bien trop longtemps.
Dernière modification par prescripteur (06 mai 2021 à 23:35)