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un article du New York Times paru en 1892 a prédit que l’idée d’une prohibition totale des « stimulants et des stupéfiants » pour prévenir la consommation problématique serait « aussi réalisable qu’un projet qui prétendrait prévenir les accidents de train en pressant les voyageurs de rester chez eux ».12 c
Observations finales
L’incohérence Du système actueL de classification
Les premières velléités de contrôler les drogues dans la première moitié du XXème siècle ont établi un système global articulé autour de la volonté de contrôler le commerce international tout en conservant une certaine flexibilité pour les politiques nationales, notamment à l’égard des « autres usages légitimes ». ces efforts ont quelque peu ralenti les échanges commerciaux débridés essentiellement contrôlés par des puissances et des sociétés coloniales et infléchi le détournement de ces sources lucratives légales vers le marché illégal.
L’aspect tragique du système international de contrôle des drogues, c’est qu’il s’est ensuite avéré parfaitement incapable de prévenir l’émergence consécutive de la production et du trafic illicites à grande échelle. L’éthique prohibitionniste et excessivement punitive qui a imprégné les négociations de l’après seconde Guerre mondiale
pour la convention unique a mis le régime de contrôle de l’onu sur la mauvaise voie, et cela a eu des conséquences dramatiques : « il a résulté de tout cela que le modèle sur lequel se sont fondées les politiques de contrôle des drogues est manifestement brisé, ou qu’il réclame au moins de profondes réparations. »147 La nature scientifiquement douteuse et politisée de plusieurs décisions d’inscription déterminantes de la première heure, qui se sont ensuite perpétuées en vertu de principes tels que la « similarité » ou la « transformabilité », et les incohérences structurelles ajoutées par les conventions de 1971 et de 1988, ont donné lieu à un système de classification dysfonctionnel.
La posture de tolérance-zéro d’un nombre significatif d’états membres et de la bureaucratie multilatérale du contrôle des drogues globalement favorable au statu quo (cnD, oics et onuDc) fait entrave à toute tentative de correction du système actuel, comme en témoignent l’opposition aux recommandations de classification de l’OMS et parfois les interventions menées à leur encontre. toute recommandation d’inscription d’une nouvelle substance est le plus souvent approuvée sans discussion, alors que celles de déplacement d’une drogue vers un régime moins strict ou de ne pas classifier certaines drogues se heurte systématiquement à une opposition déterminée. comme l’a dit le ministre britannique de l’intérieur, « en présence d’un problème manifeste et grave, mais aussi d’un doute concernant les risques potentiels en jeu, mieux vaut pécher par excès de prudence et protéger le public. »
Dans la pratique, l’application d’un tel principe de précaution conduit à « un penchant absolu du processus de décision en faveur de la prohibition des nouvelles substances psychoactives ». 148
Selon adolphe Lande, l’un des principaux architectes du régime mondial, « la façon dont un pays traite son problème d’abus de drogues (dans la perspective du contrôle international des drogues) ne concerne pas a priori la communauté internationale tant qu’il prévient efficacement l’exportation illégale de son territoire vers d’autres pays des drogues placées sous contrôle international. » 149
Le recentrage du contrôle international des drogues sur cet objectif premier d’origine, selon lequel les pays doivent maîtriser leurs exportations illégales tout en autorisant l’élaboration de classifications nationales adaptées aux besoins locaux, donnerait à chaque état la souplesse de concevoir des systèmes de classification fondés sur les données scientifiques. Les différences entre juridictions dans le degré de contrôle de certaines substances peuvent coexister avec un régime mondial tant que la coopération internationale se fonde sur le respect mutuel de ces variations. Les deux mécanismes principaux du contrôle international des drogues, le système des certificats d’importation et des autorisations d’exporter et l’administration des estimations et des besoins, peuvent gérer des variations nationales, ils ont d’ailleurs été conçus à cette fin.
La commission globale appelle à l’adoption d’une approche globale et interdisciplinaire dans l’élaboration de politiques en matière de drogues et à l’abandon de l‘approche en silo qui traite le contrôle des drogues comme une question unique, classant les substances et appliquant leur prohibition à partir de nomenclatures scientifiquement douteuses.
Une nouvelle équipe spéciale interinstitutions composée des entités intéressées du système de l’onu a été créée dans le cadre du comité exécutif du secrétaire général et placée sous la direction de l’onuDc pour « appuyer l’élaboration et la mise en œuvre de politiques donnant une place centrale aux personnes, à la santé et aux droits humains », « appeler à la modification des lois, des politiques et des pratiques qui menacent la santé et les droits humains des personnes », « garantissent un contrôle des drogues fondé sur les droits humains et mettent fin à l’impunité des atteintes graves dans le contexte des actions relatives aux contrôle des drogues », « améliorent l’accès aux médicaments sous contrôle à des fins médicales et scientifiques légitimes, notamment le soulagement de la douleur et le traitement de la dépendance aux drogues » et « procurent aux états membres la base factuelleleur permettant de prendre des décisions politiques éclairées et de mieux comprendre les risques et les avantages des nouvelles approches du contrôle des drogues, notamment celles relatives au cannabis. »150 La position commune du système de l’onu sur la politique en matière de drogues, la première position partagée de l’équipe spéciale de coordination, pousse la politique mondiale vers « une approche centrée sur l’être humain et fondée
sur les droits, fermement ancrée dans le programme 2030, » soulignant l’importance cruciale « de prendre des décisions politiques fondées sur des données scientifiques et factuelles pour mettre en œuvre cette approche. » 15
Appréciation De La Situation actuelle par La Commission GLobaLe
La distinction entre les drogues et les marchés légaux et illégaux n’est pas nette. Les marchés des drogues sont fluides ; les consommateurs ont généralement une drogue de prédilection, mais ils peuvent aller et venir entre des
sources pharmaceutiques et des sources illégales – selon la disponibilité, la qualité, la sécurité et le prix – et parfois se tourner vers des substances non classées comme le kratom ou les nsp. Les raisons pour lesquelles on consomme des drogues sont elles aussi extrêmement variables : traitement de la dépendance, automédication contre la
douleur ou la maladie, développement personnel, désir de rester éveillé ou de trouver le sommeil, expérience spirituelle ou quête de plaisir. La plupart des personnes qui consomment des drogues à des fins récréatives ne partagent pas le goût du risque de celles qui pratiquent la varappe ou d’autres sports extrêmes, elles souhaitent
le faire le plus sûrement possible et en évitant les usages problématiques de la dépendance. seuls quelques-uns réclameront un traitement ou quelque forme d’assistance sanitaire. ainsi que l’a rappelé la commission globale à plusieurs reprises, 11 % seulement des personnes qui consomment des drogues montrent une consommation problématique et nécessitent une aide sociale ou médicale.
Dans le cas des personnes dont le mode de consommation est problématique, « le motif de l’automédication est l’une des plus puissantes causes d’usage excessif et de dépendance aux drogues ». « ces personnes ne recherchentpas l’évasion, l’euphorie ni l’autodestruction, explique edward Khantzian, mais souvent plutôt à traiter seules
toute une gamme de problèmes psychiatriques et d’états émotionnels douloureux. Bien que ces tentatives de traitement autoadministré soient pour la plupart vouées à l’échec, compte tenu des dangers et des complications que comporte tout mode de consommation durable et instable, (...) ces gens trouvent dans les effets à court terme
des drogues de leur choix une aide pour gérer les états subjectifs pénibles et une réalité extérieure qu’ils vivraient autrement comme ingérable ou écrasant. »152
Pour élaborer des politiques plus efficaces, il est essentiel de mieux
comprendre ces différentes raisons et ces différents types de comportement, ainsi que les choix qu’effectuent les gens quand ils consomment des drogues. un système de classification sans stigmatisation et fondé sur les données scientifiquement établies serait susceptible d’influencer les personnes et de les orienter vers des choix
plus responsables et moins nocifs.
Quelques Principes pour de meilleurs SystèmeS de Classification
Aux yeux de la commission globale, la seule réponse responsable à cette question complexe consiste à réguler le marché des drogues illégales, en commençant par établir des règlementations et un nouveau système de classification adaptés à la dangerosité de chaque drogue et fondés sur des évaluations scientifiques solides, puis à en assurer l’application et le suivi. c’est déjà le cas pour les aliments, les substances psychoactives légales, les isotopes et beaucoup d’autres produits ou comportements supposant le risque de dommages.
Alors que la communauté internationale peine à trouver un nouveau consensus, les pays devraient s’engager dansl’élaboration et la mise en œuvre d’une politique plus rationnelle de classification, de contrôle et de régulation des
substances psychoactives.
on citera parmi les principes généraux d’une classification plus rationnelle :
- assurer la disponibilité suffisante de chaque substance à des fins médicales et de recherche ;
- abandonner la tolérance zéro, faire plus de place dans les politiques aux « autres fins légitimes » ;
- montrer davantage d’indulgence envers les substances plus légères ;
- prendre en considération des circonstances sociales et culturelles locales ;
- mener une analyse coûts-avantages des risques potentiels et des avantages perçus ;
- accepter certains seuils de risque comparables à ceux d’autres risques sociétaux au lieu de s’en tenir de façon
absolue au principe de précaution ;
- soigneusement évaluer les possibles conséquences des décisions de classification, en tenant compte de la
réaction prévisible des consommateurs et des marchés et
- faire un meilleur usage des instruments juridiques existants en matière médicale et de sécurité des consommateurs plutôt que de recourir au droit pénal des drogues.
Un système de classification élaboré selon ces principes peut devenir un instrument essentiel pour faire sortir la politique d’un cadre exclusivement prohibitionniste vers un modèle de régulation flexible, ainsi que pour donner progressivement aux marchés une orientation moins nocive.
Hors ligne
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