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www.lesinrocks.com 18/09/2010 par Emilie Refait
La mort d´un marin-pêcheur de 27 ans par overdose (impossible avec le
cannabis), cet été, près de Cherbourg, rouvre le débat sur la dépendance dans le monde maritime. Trois ans après le lancement d´une grande campagne de prévention sur les navires et dans les ports, le problème est loin d´être réglé !
Cette fois l´accident est arrivé à terre, pendant une soirée de la fin du mois de juillet. Le jeune marin n´a pas survécu. Son camarade de 29 ans, lui, a passé trois jours dans le coma. Ils avaient absorbé un mélange d´alcool et de
méthadone (un substitut pour les héroïnomanes).
Le fléau prend de l´ampleur depuis une dizaine d´années. Une campagne de prévention a même été lancée, il y a trois ans. "La mer est dangereuse, n´en rajoutez pas", pouvait-on lire sur les affiches placardées dans les ports et sur les navires.
"Avant, les marins buvaient de l´alcool pour compenser la pénibilité du travail, aujourd´hui c´est la drogue", explique Michel Le Bolloch, directeur de l´Enim (Etablissement national des invalides de la marine), qui finance en partie les campagnes de prévention.
"Avant, je prenais du
cannabis pour déstresser après les marées, raconte Franck, marin-pêcheur de 26 ans à Saint-Malo. Mais je ne fume plus depuis la naissance de mon fils. Tous les jeunes font ça. Avant c´était le Ricard, maintenant c´est le pétard !"
En 2007, les professeurs Alain Bergeret et Emmanuel Fort, de l´université Claude-Bernard à Lyon, ont mené une étude épidémiologique (la première et la dernière à ce jour !) sur 1 928 marins dans 19 ports français.
Le test urinaire a révélé que 14 % d´entre eux avaient consommé du
cannabis dans les dix jours précédant la visite médicale. Et sur l´ensemble des marins interrogés, 250 ont avoué avoir expérimenté des drogues dures, comme l´héroïne, ou l´ecstasy. Pour certains médecins des gens de mer, "c´est un phénomène purement générationnel".
"Ce n´est pas parce qu´on est marin-pêcheur qu´on est drogué", explique l´un d´entre eux, en refusant toute
stigmatisation.
"Ce qui est problématique c´est le risque d´accidents, estime le Dr Yves Roussel, qui suit les marins de Saint-Malo. Quand on est marin, on a des responsabilités. Chaque matelot est amené un jour à être de quart pendant que le reste de l´équipage se repose. S´il a fumé ou consommé des stupéfiants, il perd ses réflexes, il est moins vigilant."
Difficile en tout cas d´avoir des chiffres sur le nombre d´accidents en mer. Le problème, c´est qu´" il n´y a pas de dépistage systématique avant les départs en mer", estime le commandant Vincent Desnos de la gendarmerie maritime.
"Quand on fait des contrôles, c´est sur réquisition du parquet ou parfois à la demande des patrons de navires avant le départ d´un gros chalutier."
A bord, il est interdit de boire et de fumer. Pourtant, certains ne se gênent pas.
"Un jour, j´ai surpris deux marins qui fumaient des pétards dans le poste d´équipage, j´ai fait un rapport à l´armement, ils ont eu un avertissement", raconte un patron de pêche, qui a tenu à rester anonyme.
"Le plus dur dans ce métier, c´est d´être éloigné de la famille pendant deux ou trois semaines. Il y a aussi le travail de nuit et le rythme de sommeil. Pour le chalut, on doit se réveiller toutes les trois heures."
Pour le Dr Yves Roussel, "la consommation de drogue, et surtout de
cannabis, est un problème nouveau. Il faut effectuer un travail de longue haleine avec les matelots".
Comme le pense le jeune Franck, c´est moins grave de fumer un pétard que de boire un Ricard.
Pas question de baisser les bras pour Yves Roussel, qui rappelle qu´il a fallu trois générations pour régler le problème de l´alcool très prégnant chez les marins au début du siècle.