L'alcoolisme, on peut le soigner© Lemonde.fr | 16.09.10 | 16h51 * Mis à jour le 16.09.10 | 16h52
http://www.lemonde.fr/idees/article/201 … _3232.htmlJacqueline, 46 ans, est hospitalisée depuis le 24 août à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Elle a fait une rechute après deux ans d'abstinence à l'
alcool. Jacqueline (qui souhaite garder l'anonymat) prenait régulièrement du topiramate (un antiépileptique connu sous le nom d'
Epitomax) mais l'a arrêté cet été, parce qu'elle passait, dit-elle, de "très bonnes vacances" en Espagne avec sa fille de 11 ans, qui ne vit pas avec elle. "Je n'aurais pas dû", concède-t-elle.
Lorsqu'elle rentre seule, dans son petit appartement, à Paris, elle ne peut "plus supporter ça". Prise de bouffées d'angoisse, elle court acheter vodka, gin... et avale trois litres d'
alcool pur. Elle rappelle alors le médecin de l'hôpital Paul-Brousse - où elle avait été suivie durant trois semaines, en 2008 -, qui l'hospitalise aussitôt. Jacqueline, qui vient de reprendre son travail d'infirmière, est bien décidée à s'en sortir.
Le topiramate, avec lequel est traitée Jacqueline, est l'une des nouvelles réponses thérapeutiques présentées lors du 15e congrès mondial sur la recherche en alcoologie, l'Isbra, qui s'est achevé jeudi 16 septembre à Paris. L'objectif est à chaque fois de donner le médicament le plus adapté au patient. Avec le topiramate, Jacqueline dit ne pas ressentir d'effets secondaires.
Longtemps retardée par le peu d'intérêt que lui portait l'industrie pharmaceutique, la recherche thérapeutique explore désormais de nombreuses pistes. De nouvelles molécules, tel le
nalmefene - qui agit sur le cerveau -, sont testées. L'objectif n'étant pas dans ce cas l'abstinence mais la "consommation contrôlée", ce qui suscite beaucoup de questions. Autres pistes prometteuses, le recours à la génétique et aux neurosciences. Par ailleurs, les médecins constatent que des médicaments conçus pour traiter des addictions, comme le
tabac ou le
cannabis, sont aussi efficaces contre l'
alcool. Ce dernier reste la substance psycho-active la plus consommée en France, même si les spécialistes notent une diminution. C'est l'addiction qui provoque le plus de dommages somatiques, psychiatriques et sociaux.
L'image de l'
alcool commence doucement à changer dans l'opinion publique. "Avant, c'était un fléau social qui n'intéressait pas les médecins. Depuis une dizaine d'années, c'est devenu une addiction. Il y a eu une modification de la représentation sociale au début des années 2000", précise le professeur Michel Reynaud, président du comité d'organisation de l'Isbra et chef du département de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse.
Le corps médical insiste pour parler de maladie alcoolique et sur le fait que cela touche toutes les catégories sociales. "Ce n'est ni un vice, ni une tare, ni un manque de volonté", insistent les médecins. La France a toujours un problème avec l'
alcool : "Le fait de ne pas boire n'est pas normal, souvent mal vu", estime le professeur Michel Lejoyeux, chef de service d'addictologie et de psychiatrie à l'hôpital Bichat, à Paris, président de la Société française d'alcoologie (SFA).
"De l'autodestruction"
"C'est comme un bug en informatique. Votre cerveau est programmé pour s'alcooliser : je bois, même si je n'en ai pas envie, raconte Gilles, 47 ans, soigné à l'hôpital Bichat pour la huitième fois. J'ai pris conscience en 2007 que ce n'était pas ma vie. J'étais à la rue, dès qu'on avait un peu d'argent, on allait boire, c'était de l'autodestruction." Gilles a certes rechuté, mais il reconnaît avoir fait beaucoup de progrès depuis qu'il est arrivé dans le service.
"On réagit tous différemment par rapport à l'
alcool, note le docteur Amine Benyamina, psychiatre addictologue à l'hôpital Paul-Brousse. Outre les facteurs biologiques, la part génétique est très importante. Cette influence multi-génétique interagit avec les facteurs environnementaux tels que le stress, le deuil, des traumatismes de l'enfance."
Bien souvent, "l'
alcool est un symptôme, la partie émergée de l'iceberg", témoigne Jacqueline. D'où la nécessité d'une approche médicale, psychologique et sociale. "On travaille beaucoup sur l'après-hospitalisation, en donnant toujours au patient la possibilité de revenir, même s'il rechute une demi-heure après sa sortie", précise Djilali Belghaouti, responsable de l'organisation des soins au service d'addictologie de l'hôpital Bichat.
C'est le cas de Joana, 59 ans, qui a rechuté malgré un séjour en clinique. Aujourd'hui soignée à Bichat, elle devrait quitter l'hôpital dans les prochains jours. "Je veux exclure l'
alcool de ma vie. Mais c'est parfois difficile de refuser un verre, parfois mal vu", dit-elle. Pour le professeur Lejoyeux, "quand un patient pousse la porte de consultation en alcoologie, la moitié du chemin est faite".
Sur le Web : Sfalcoologie.asso.fr et Anpaa.asso.fr.
Pascale Santi
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