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Témoignage : "Je suis en prison depuis 2 ans pour trafic de cannabis" (1/4)
Incarcéré depuis deux ans pour trafic de cannabis, Éric a voulu prendre la parole pour casser les clichés sur la vente et la consommation de stupéfiants… et militer pour leur dépénalisation en France, sous certaines conditions. Dans ce premier témoignage, il nous raconte son activité de dealer.
(© Laurent Grey/Konbini)
Depuis le 16 novembre 2015, je suis incarcéré dans le cadre d’une affaire de trafic de cannabis.
J’ai été interpellé le 12 novembre 2015 de la manière la plus bête qui soit : en flagrant délit place de la République à Paris, alors que je glissais ma main dans la poche d’un ami, designer dans la mode, pour y glisser 5 grammes d’herbe.
Vendre de la drogue = financer le grand banditisme ?
J’ai appris pour les attentats le 14 novembre 2015 au matin, alors que j’étais en garde à vue, de la bouche de mon avocate commise d’office. À l’annonce de la nouvelle, j’ai pleuré…
Il n’y a pas eu d’enquête, puisque je n’ai pas nié les faits. Et lors de mon jugement en comparution immédiate, le 16 novembre 2015, le procureur m’a accusé de financer malgré moi le grand banditisme. Le fait est qu’absolument aucun lien avec le grand banditisme n’a été établi dans mon dossier, mais que le procureur a tout de même, de lui-même, jugé que je le finançais "sans m’en rendre compte", me privant au passage de la conscience de mes actions.
Il faut savoir que j’ai une véritable passion pour la musique, et écume les salles de concert et les festivals, toujours à la recherche de frissons musicaux et des belles rencontres qui vont avec. République, c’est un quartier dans lequel nombre d’amis à moi habitent, travaillent ou se divertissent. Le Bataclan, j’y ai passé quelques soirées inoubliables.
Alors quand j’ai eu l’impression que le procureur m’accusait d’être, inconsciemment, complice d’actes que je condamne fermement, je me suis senti profondément insulté et j’ai répondu, très calmement, que le nombre croissant de cultures indépendantes de cannabis en France mettait à mal la théorie du grand banditisme caché derrière chaque joint.
Une réponse qui correspondait à la réalité, mais qui a dû être prise pour de l’insolence au vu de la sentence qui m’a été infligée. Mon incarcération ne trouvera en effet son terme que dans plusieurs mois.
Comme l’Inpes le rapporte, "le trafic de produits stupéfiants est puni d’une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement et 7 500 000 euros d’amende". Et ce trafic inclut la vente ou le cadeau de drogues à des amis, même en petite quantité : vendre ou offrir un stupéfiant à quelqu’un pour sa consommation personnelle peut être puni jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. L’usage, quant à lui, quel que soit le stupéfiant, est un délit passible d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
Les condamnations prononcées pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS) représentent une proportion conséquente des condamnations prononcées pour un délit : 8,6 %, soit près de 50 000 condamnations chaque année en France, toujours selon l’Inpes. 56 % de ces condamnations sont pour usage illicite, 21 % pour détention et acquisition, 14 % pour commerce-transport, etc. Les peines d’emprisonnement ferme ou avec sursis partiel ne sont pas rares non plus : elles concernent 12,6 % des condamnations pour usage illicite.
Ne pas croire le cliché du dealer sans foi ni loi
Je ne dis pas avoir toujours eu une parfaite connaissance du chemin que prenait mon argent après être passé par les mains de mon fournisseur, en revanche j’ai travaillé pendant un certain temps avec un ami qui faisait lui-même pousser son herbe. J’avais donc, pendant un temps de mon activité au moins, une parfaite visibilité sur l’ensemble du circuit auquel j’appartenais.
Par ailleurs, avec mes principaux fournisseurs, je sais que j’ai eu cette discussion, cette préoccupation, sur le fait que nous devions faire le maximum pour nous fournir chez des gens n’ayant pas d’activités contraires à nos principes.
Aussi, de mon point de vue, s’il a pu m’arriver de financer le grand banditisme sans le savoir, je l’ai surtout fait contre ma volonté, et avant tout parce que l’État ne s’est toujours pas décidé à nous proposer d’autres solutions — et cette prohibition développe et nourrit le grand banditisme (mais nous en reparlerons plus tard).
(© Laurent Grey/Konbini)
Pour les instances judiciaires qui voient tous les jours des trafiquants défiler sur leurs bancs, je comprends toutefois qu’il puisse être difficile de saisir la différence entre un dealer/consommateur comme moi avec, je crois, une vraie éthique, qui a avec ses clients une relation qui dépasse le simple échange vendeur/acheteur, et un dealer sans scrupule dont les seules motivations sont financières, qui utilise ses revenus pour financer d’autres activités criminelles…
Une distinction d’autant plus difficile quand on passe en comparution immédiate, sans avoir pris de douche pendant 72 heures, et qu’on est alors trois jours après les attentats les plus meurtriers perpétrés en France métropolitaine depuis la Seconde Guerre mondiale.
Un citoyen intégré et actif
Il est important de préciser que je n’ai donc jamais entrepris mon activité avec une volonté d’enrichissement personnel et n’ai pas d’argent de côté. Je ne suis par ailleurs pas connu des services de police pour d’autres raisons que le trafic de cannabis, et j’ai toujours eu des projets ou une activité légale, tout en vendant des stupéfiants avec plus ou moins de régularité.
En effet, j’ai, à ce jour, développé une activité de création audiovisuelle en indépendant avec d’anciens camarades du lycée, puis travaillé dans une grande régie pub Web pendant quelques années. Après m’être essayé en indépendant au management d’artistes, j’étais, lors de mon arrestation, en discussion avec une société fournisseuse de solution de paiement dans l’événementiel et membre du "plan sans contact" du gouvernement.
Je n’ai donc jamais été, ni selon moi ni selon les gens qui m’entourent, un délinquant. Et je ne me suis jamais considéré comme un marginal, un ennemi de la société, et l’incarcération n’y changera rien.
Si je prends aujourd’hui la parole sur Konbini, ce n’est d’ailleurs pas pour remettre en question la sanction qui m’a été donnée, mais bien pour montrer à quel point la législation qui permet ces sanctions est destructrice par le flou qu’elle entretient.
Et si je me décide à prendre part à ce débat, c’est non seulement parce que j’en ai le droit, mais plus encore parce que je pense que c’est mon devoir de citoyen que de faire le choix d’une parole responsable plutôt que celui d’un silence coupable.
Retrouvez donc très vite la suite de mon témoignage, où je vous expliquerai pourquoi, à mon sens, la législation française sur les stupéfiants est un facteur majeur d’inégalités et de dangers.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau
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Source : konbini
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Témoignage : "La législation française sur la drogue, facteur majeur d'inégalités" (2/4)
Après avoir témoigné sur son incarcération pour trafic de cannabis, Éric nous explique comment la législation sur les stupéfiants, loin de protéger les Français·es, favorise à son sens les comportements addictifs et la violence.
(© Laurent Grey/Konbini)
Certains penseront que je suis aveuglé par ma situation de détenu, que je ne cherche qu’à dénoncer une injustice dont je crois être la victime. Ou encore que mon propos est dépourvu de tout caractère d’intérêt général, qu’il est influencé par une dépendance à tel ou tel produit et qu’il se veut une apologie de sa consommation. J’espère sincèrement vous convaincre du contraire. Je n’ai aucunement pour but de faire l’apologie de la consommation de drogue.
Simplement, ma détention et la fréquentation de la population carcérale m’offrent une vision plus précise de notre société. J’ai un regard accru sur le danger que représente un pays avec de plus en plus de gens n’ayant connu que l’illégalité, dealant dès le plus jeune âge, sans aucun sentiment d’appartenir à une communauté nationale. En étant un facteur majeur d’inégalités et de fracture dans notre pays, voilà ce que contribue à produire la législation actuelle sur les stupéfiants !
La législation actuelle, facteur majeur d’inégalités
Ce n’est pas un reproche, ni une accusation démagogique lancée pour désigner un responsable. C’est un constat. Un constat à partir duquel je souhaiterais qu’ensemble nous prenions les décisions qui s’imposent.
Pour l’expliquer simplement, sans pour autant être simpliste, l’interdiction de la vente de stupéfiants a historiquement concentré le trafic chez des populations ou quartiers moins favorisés, déjà particulièrement touchés par le chômage et, plus généralement, par les difficultés à trouver leur place au sein de la société française.
Le trafic a augmenté, sa répression aussi… mais le chômage et les inégalités également, touchant tout particulièrement ces quartiers de plus en plus ghettoïsés au fur et à mesure que l’État, sous toutes ses formes, signait l’abandon de son rôle auprès de leurs populations.
C’est probablement en cela, dans la combinaison et le dosage de ces éléments, que la situation française est unique. Elle est unique dans le sens où nous sommes le pays européen qui consomme le plus de cannabis, tout en étant l’un des plus répressifs.
Aujourd’hui, il est plus facile de trouver un dealer dans certains quartiers qu’un médecin, et paradoxalement le jugement moral exercé sur les consommateurs est toujours très présent dans certains milieux. Des milieux où, pourtant, on dénombre également des consommateurs.
Mais voilà, les "bons citoyens" n’ont pas envie de s’exprimer publiquement sur le fait qu’ils vivent constamment dans l’illégalité, ni de passer pour des drogués auprès de leurs cercles sociaux, familiaux ou professionnels. Et je les comprends !
Une législation aux effets pervers
À quoi bon se battre contre une législation dont on n’a pas l’impression de subir les effets pervers, qui ne semble pas entamer notre liberté individuelle et personnelle, tout ça au risque de s’exposer au jugement de personnes qui ne comprennent pas notre démarche, voire à des poursuites judiciaires ? D’autant plus que, quand on a pris l’habitude depuis l’âge de 18 ans ou moins d’être dans l’illégalité au quotidien, on n’a même plus l’impression d’enfreindre la loi quand on en a 35.
C’est ainsi qu’on se retrouve dans des situations où des consommateurs de stupéfiants montrent du doigt des quartiers et fustigent la violence liée au trafic qui y règne, alors qu’ils y contribuent indirectement… Le comble de cette hypocrisie. Car n’en déplaise à certaines figures politiques, la consommation et le trafic de drogue sont monnaie courante. Il faut dire que les deux sont relativement faciles, et que l’un amène assez logiquement à l’autre.
Prenons le cas d’un groupe de cinq amis, des jeunes supposés "bien sous tout rapport", consommateurs de stupéfiants. Afin d’éviter qu’à tour de rôle chacun des cinq amis aille voir le dealer pour passer une commande, le groupe va réunir l’argent, et l’un d’entre eux va aller la récupérer pour tout le monde. Chacun des amis partagera avec ses autres cercles d’amis, qui lui demanderont d’où il tient sa drogue.
L’ami de base va rapidement être amené à fournir un tas de personnes, en se disant que ça lui permettra de consommer gratuitement. Et n’oublions pas la grande dégressivité des tarifs dans la vente de stupéfiants : on comprend alors d’autant plus la facilité avec laquelle on passe de consommateur à vendeur, et surtout, comment une personne qui n’évolue pas dans un milieu criminogène peut se retrouver dans la situation dans laquelle je suis aujourd’hui.
Les dangers de l’interdiction
Cette dégressivité des tarifs fait partie des nombreuses pratiques commerciales agressives qui favorisent le développement du trafic, mais aussi de la surconsommation. Je l’ai expérimentée, avec une certaine assiduité, et si vous posez la question aux consommateurs de stupéfiants, ils vous confirmeront cette réalité.
Une réalité qui a d’autres facettes tout aussi dangereuses. Aujourd’hui, un consommateur qui n’a pas les moyens d’assumer sa consommation va par exemple aller voir son dealer et faire un crédit qu’il remboursera à un moment déterminé.
Sauf que si pour une raison X ou Y, il n’est pas capable de rembourser son créancier et qu’il traite avec un dealer peu scrupuleux, il peut être victime de harcèlement ou de violences. S’il est malavisé, il réitérera l’opération auprès d’un ou plusieurs autres dealers, et accumulera ainsi dettes et menaces, jusqu’à un possible règlement de compte.
Cette pratique de vente, le crédit, n’existerait pas dans un processus de vente légalement encadré. Et comme la répression fait peser la menace d’une sanction pénale, en plus du jugement moral, elle permet difficilement à un consommateur dépassé par sa consommation de se déclarer auprès d’organismes compétents, ou à d’éventuelles victimes de violences de faire appel à la police quand leurs problèmes trouvent leur source dans une histoire de stupéfiants.
À mon sens, nombre de problèmes liés au trafic de drogue sont ainsi directement imputables à la clandestinité de la consommation et de la vente.
Il est donc évident que la logique répressive, telle qu’elle est pratiquée depuis les trente dernières années, a favorisé les comportements addictifs et la violence, et que seul un changement de législation peut enrayer ces mécanismes à la base, en offrant notamment un cadre légal à la vente de stupéfiants, comme c’est le cas pour l’alcool. Aussi, je m’oppose à cette théorie selon laquelle, en légalisant le cannabis, nous ne ferions que transférer automatiquement la criminalité vers d’autres secteurs.
D’autant plus que comme pour l’alcool, la consommation de cannabis est très clairement devenue une pratique cultuelle ancrée et banalisée en France. On en parle dans un prochain article.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau
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Source : konbini
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Témoignage : "Fumer du cannabis en France ? Une hypocrisie nationale" (3/4)
Incarcéré pour trafic de cannabis, Éric a souhaité prendre la parole sur Konbini pour dénoncer les dangers de la législation actuelle sur les stupéfiants. Aujourd’hui, il poursuit sa démonstration en analysant l’ancrage culturel et la banalisation de leur consommation en France.
(© Laurent Grey/Konbini)
Après les fêtes de fin d’année de 2016, la consommation d’alcool des plus jeunes était évoquée à la télé. Des parents expliquaient, tout sourire, qu’ils faisaient goûter des boissons alcoolisées à leurs enfants "parce que l’alcool, c’est culturel". Aujourd’hui, il en est de même pour les stupéfiants. Non que ceux qui en consomment en fassent goûter à leurs enfants dès leur plus jeune âge, mais ils sont entrés dans notre culture.
Tous les jours, depuis ma cellule, je vois à la télé des éléments de notre société inscrivant encore un peu plus la notion de consommation de stupéfiants comme quelque chose de normal. Dans l’ultime épisode de Fais pas ci, fais pas ça, on pouvait voir les enfants devenus grands, assis dans l’herbe, discutant en buvant une bière et en se faisant tourner un joint, sans qu’à aucun moment il n’y soit fait référence ou que quelqu’un ait un comportement anormal. Aujourd’hui, on consomme même des stupéfiants dans Plus belle la vie, avant 21 heures sur France 3 !
La consommation de cannabis, une pratique culturelle ancrée et banalisée
Des artistes comme Bob Marley, des films comme Les Frères Pétard, Las Vegas Parano, How High, Les Parasites et bien d’autres font eux aussi partie de notre culture. L’une des plus célèbres chansons de Dr. Dre, "The Next Episode", se termine avec la voix de Nate Dogg scandant un fameux "Smoke weed everyday!". En France, Oxmo Puccino et Olivia Ruiz ont par exemple interprété une très belle chanson sur des week-ends enfumés passés à Amsterdam.
Aujourd’hui, des artistes comme JuL ou PNL ont fait du cannabis, de sa consommation mais aussi de son trafic, un de leurs sujets de prédilection. Et je pourrais encore énumérer ces auteurs que l’on nous fait étudier au lycée et dont le goût pour les stupéfiants n’est un secret pour personne – à commencer par Baudelaire et ses Paradis artificiels.
Consommer de la drogue n’est plus quelque chose de subversif, mais de tout aussi normal et culturel (et de tout aussi potentiellement dangereux) que de consommer de l’alcool ou fumer des cigarettes. Surtout pour les jeunes, qui consomment des stupéfiants au même titre qu’ils consomment de l’alcool. Certains essayent une fois et n’y reviennent pas, comme avec l’alcool. Certains en consomment plus ou moins régulièrement, comme avec l’alcool. Certains sont victimes de leur consommation, comme avec l’alcool.
Et la réalité, c’est qu’une proportion non négligeable de Français et Françaises, des centaines de milliers, si ce ne sont pas des millions selon les produits, prennent des stupéfiants et/ou en vivent sans être victimes de leur consommation, sans poser aucun réel problème, voire sont, au contraire, des éléments moteurs de notre société.
L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) rapporte qu’en 2017, 42 % des adultes de 18 à 64 ans ont consommé du cannabis, et 11 % sont des usagers actuels. L’organisme note un "usage problématique ou une dépendance" pour 2 % des 18-64 ans et 8 % des jeunes âgés de 17 ans, pour qui des prises en charge existent.
40 % des 18 à 64 ans consomment donc du cannabis sans que cette consommation ne semble "problématique". Les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ont toutefois pris 56 000 personnes en charge en 2016 à cause de leur consommation de cannabis, dont 22 000 jeunes.
Des consommateurs de tous les milieux et tous les bords
Je ne vous dirai pas quelles personnalités j’ai croisées dans mon expérience de petit trafiquant, mais je peux vous dire que mes clients étaient des adultes actifs appartenant à toutes les catégories socioprofessionnelles et à tous les bords politiques. J’ai même vu un de mes clients se faire interviewer à la télé au cours d’un meeting de Nicolas Sarkozy !
Je vendais à des artistes, des artisans, des employés du public, du privé, des chefs d’entreprise, des personnels médicaux, éducatifs (qui ont sûrement retrouvé un dealer très rapidement… sûrement pas aussi sympa, mais bon). En tout cas, quand une infirmière partage avec vous la passion qu’elle a pour son travail mais aussi la dureté de ce métier au quotidien, et vous remercie de lui avoir apporté de quoi se détendre après une rude journée, oui, vous vous sentez utile.
Lorsqu’un artiste mondialement connu, dont vous appréciez particulièrement le travail, vous dit que vos produits l’ont parfaitement accompagné dans sa dernière production, alors, oui, vous ressentez une certaine fierté. Quand une ancienne danseuse souffrant de mal de dos chronique vous dit qu’elle pourrait difficilement vivre sans vous et vos collègues… vous vous sentez indispensable.
Qui peut aujourd’hui, sincèrement, me dire qu’il est légitime d’interdire à des adultes responsables, des modèles de réussite pour certains, de consommer tel ou tel produit quand ils connaissent leurs effets et qu’ils ne sont pas victimes de leur consommation ? S’il est légitime pour des personnes saines d’esprit de consommer des stupéfiants, alors on explique aisément l’impossibilité d’éradiquer le trafic.
La consommation ne va pas disparaître, donc le trafic ne va pas disparaître. Il y aura toujours des candidats pour répondre à cette demande que les gouvernements successifs ont choisi d’ignorer. Et ce monde du stupéfiant, comme le monde des boissons alcoolisées, est composé, entre autres mais pas seulement, de personnes qui ont un véritable amour des produits qu’ils consomment. Ils ont à ce titre une attitude responsable en termes de protection des plus jeunes et du respect de l’ordre public.
Aussi, si je ne fais pas de l’empirisme ma doctrine par excellence, je pense que nous ne pouvons plus laisser le débat entre les mains de rationalistes campant sur des positions idéologiques en total désaccord avec la réalité. L’argumentaire opposé à une législation plus souple est souvent fait de sophismes et, souvent aussi, porté par un discours infantilisant visant à faire passer les consommateurs de stupéfiants pour des hippies qui veulent vivre dans une société où on abolirait le travail au profit du plaisir.
La drogue en France, une hypocrisie quotidienne
Les opposants à un changement de législation nous disent que la société doit avoir des interdits, sous-entendant que ceux qui prônent ce changement sont irresponsables, qu’ils sont de doux rêveurs qui croient encore qu’il est interdit d’interdire. Un tel sujet ne peut plus être traité d’une manière aussi manichéenne, car la réalité est plus nuancée. Et elle nous montre une sacrée hypocrisie, qui s’étale devant nous tous les jours.
L’été 2016, comme tout le monde, j’ai vu Michaël Jeremiasz, notre porte-drapeau aux Jeux paralympiques, déclarer sur différents plateaux télé avoir consommé du cannabis. Au cours de la promo d’un film dans lequel il interprétait un ex-dealer, Vincent Lacoste n’hésitait pas à dire que dans le fond c’était un métier comme un autre.
À quasiment chaque épisode de son émission "Salut les Terriens", Thierry Ardisson évoque avec le sourire son affection pour les stupéfiants. Le 25 mars 2017 par exemple, il disait carrément attendre la fin du tournage pour aller "fumer un pétard".
Posez-vous deux minutes, et essayez d’imaginer le sentiment d’injustice que peut susciter cette situation, regarder cette émission et entendre ces propos, quand on est en prison pour trafic de cannabis. J’ai l’impression d’être un stigmate de la maladie qu’est cette hypocrisie, une hypocrisie bien de chez nous.
Je ne leur jette pas la pierre, au contraire. Ils décrivent leur réalité. Mais derrière ces propos se cache le fait qu’ils ont eu recours à un dealer qui risque peut-être un jour, comme moi, de faire un séjour en prison. Comment peut-on encore cautionner cela ? Quelle est cette législation que certains se vantent d’enfreindre à la télé, et pour laquelle on en met d’autres en prison ?
Si je ne me trompe, c’est en partie le constat de cette hypocrisie qui a amené à la future contraventionnalisation des clients sous couvert de vouloir les responsabiliser, afin que ces derniers payent eux aussi et que les "dealers des quartiers" ne soient pas les seuls à subir les conséquences judiciaires de ce trafic.
À ce sujet, Emmanuel Macron dit dans son livre Révolution :
"De la même manière, l’usage et la détention de cannabis en deçà d’une certaine quantité, comme certaines infractions du Code de la route (défaut d’assurance automobile par exemple), doivent-ils nécessairement relever des tribunaux correctionnels ? On pourrait tout à fait considérer que le régime des contraventions serait suffisant pour sanctionner ces comportements.
[…] Je dis simplement qu’il faut écouter les professionnels de police et de justice qui, eux-mêmes, expliquent combien il est vain de pénaliser systématiquement la consommation de cannabis, alors qu’une contravention lourde et payable immédiatement serait beaucoup plus économe en temps pour la police et la justice, et bien plus dissuasive qu’une hypothétique peine de prison dont tout le monde sait qu’elle ne sera finalement jamais exécutée."
Ici, Emmanuel Macron, qui souhaite non pas réformer le pays mais le transformer, dans ce monde où les peuples en appellent à plus de démocratie, fait le choix de se rapprocher de la justice et de la police, dont la fonction limite le plus souvent la réflexion à des solutions pour une politique répressive plus efficace. Pourtant de nombreuses voix s’élèvent dans la société civile pour réclamer, si ce n’est la légalisation, au moins l’ouverture d’un débat sur la question.
Certain·e·s politiques, comme le député européen Jean-Luc Bennahmias, se sont également prononcés en faveur d’un encadrement de la vente, mais sans succès jusque-là. L’écologiste François de Rugy, qui préconisait la légalisation du cannabis dans son programme et qui est désormais président de l’Assemblée nationale, devrait même présider le vote pour la contraventionnalisation des consommateurs !
Et tout cela en disant vouloir lutter contre des pratiques addictives, qui, par nature, relèvent de questions d’ordre médical et qui méritent donc d’être discutées avec… les corps médicaux. Ou, la consommation de cannabis et plus généralement de stupéfiants étant un phénomène de société, le sujet devrait être débattu avec le peuple. Vous l’aurez compris, pour moi la contraventionnalisation des clients est la proposition la plus inadaptée qu’il y ait en la matière.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau
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Source : konbini
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Dernière modification par Mascarpone (01 février 2018 à 09:30)
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