En toute discrétion, la Commission consultative en matière d’addiction, menée par l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss, trace une voie vers la
légalisation du marché du
cannabis à Genève. Avant Noà«l, le groupe a livré au Conseil d’Etat une première feuille de route, qui recommande au gouvernement genevois de réclamer une autorisation exceptionnelle à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour autoriser la culture et le commerce de
cannabis.
Selon l’article 8 de la loi sur les stupéfiants (Lstup), la production et la vente d’herbe sont interdites en Suisse. Mais le cadre légal prévoit des dérogations «pour la recherche, le développement de médicaments ou une application médicale limitée». Le canton, estime la commission, pourrait à ce titre obtenir le feu vert pour mettre sur pied une expérience pilote de
légalisation du marché du
cannabis.
A l’origine de ce projet, un groupe d’élus de différents partis de gauche et de droite, convaincus qu’une régulation de la substance dans le cadre d’associations de consommateurs contrôlées par l’Etat permettrait d’enrayer le marché noir et de réduire les risques de sa consommation auprès des jeunes.
Genève agira dans le cadre de la loi, précise de son côté le conseiller d’Etat genevois responsable de la Santé, Mauro Poggia: «Le Conseil d’Etat est d’accord d’aller de l’avant. La politique de répression est un échec. Nous n’allons pas nous interdire de réfléchir à d’autres pistes. Mais nous ne pouvons garantir que nous poursuivrons sans autorisation fédérale.»
Légaliser le
cannabis au nom de la science? L’exercice s’annonce délicat, les marges de manœuvre prévues par la loi étant serrées. L’avenir de l’expérience genevoise repose ainsi sur le ministre de la Santé, Alain Berset. Lequel refuse de s’exprimer avant d’avoir consulté le projet dans les détails. «Son ébauche, inspirée par le
Cannabis Social Club espagnol, ne permet pas de tirer des conclusions définitives sur sa conformité au droit», estime l’OFSP par la voix de sa porte-parole Catherine Cossy. A ce stade, la création d’associations de consommateurs de
cannabis nécessiterait une révision de la Lstup, estime l’OFSP. Mais il faudra attendre probablement l’automne 2015 pour connaître le verdict de Berne. A ce moment seulement, Genève pourrait adresser une demande formelle aux autorités fédérales, basée sur un rapport détaillé du marché de l’herbe dans le canton et la proposition d’un modèle de régulation. «A nous de convaincre le Conseil d’Etat genevois, puis l’OFSP», souligne un membre de la commission.
Prochaine étape suggérée par la feuille de route: la mise sur pied d’un groupe national de scientifiques, et la consultation des différents services cantonaux concernés par une éventuelle
légalisation du
cannabis. Le secteur agricole a déjà été approché. François Erard, directeur d’AgriGenève, faîtière des agriculteurs genevois, ne voit pas d’objection à confier aux maraîchers locaux la production de
cannabis destiné à un usage récréatif dans le canton, «tant que c’est légal».
Enfin, Genève ne compte pas avancer seule dans l’inconnu: la commission recommande que le canton, dans sa demande de dérogation à la Lstup, s’allie à d’autres villes telles que Berne, Zurich, Winterthour ainsi qu’au canton de Bâle-Ville, qui ont déjà manifesté leur intérêt pour une régulation du marché du
cannabis. Le groupe de villes engagées dans ce débat pourrait s’élargir. A Lausanne, un cercle d’élus de différents partis, à l’image du groupe interpartis genevois, s’est réuni pour la première fois mi-novembre afin d’engager une discussion sur les politiques en matière de drogues, notamment la régulation du
cannabis. Toutes les forces politiques représentées au Conseil communal y prennent part, à l’exception de l’UDC.
En parallèle, l’opposition se prépare sur le front politique. A Berne, le Grand Conseil a accepté en novembre une motion UDC réclamant l’interdiction de projets pilotes autorisant la culture, la distribution et la consommation de
cannabis. Le parlement valaisan a de son côté rejeté mi-décembre un postulat de la gauche proposant au canton de s’associer à la réflexion.
Source :
Le Temps