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Amicalement
CRYOGLOBULINEMIE MIXTE
D.Fries, mise à jour mars 2004
Les cryoglobulinémies se définissent par la présence dans le sérum d'immunoglobulines qui précipitent à froid et se dissolvent lors du réchauffement. On distingue 3 types :
type I, où la cryoglobuline est faite d'une immunoglobuline monoclonale, le plus souvent de type IgM. Ce type est observé au cours de la macroglobulinémie de Waldenström ou au cours du myélome multiple (à distinguer de l'amylose primitive et de la maladie à dépôts de chaînes légères)
type II, où la cryoglobuline contient des immunoglobulines de classes différentes: une IgM monoclonale dirigée contre une IgG polyclonale. La plupart des cas sont dus à une infection chronique par le virus de l'hépatite C (VHC), quelques cas en rapport avec le virus de l'hépatite B ou le virus Epstein-Barr.
type III, où les immunoglobulines de classes différentes, l'IgG et l'IgM, sont polyclonales. Elles surviennent au cours de maladies chroniques inflammatoires ou autoimmunes (endocardite, LED, polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Sjögren, périartérite noueuse),des prolifération malignes lymphocytaires, et également de l'infection à VHC.
Les cryoglobulinémies II et III, seules envisagées ici, constituent les cryoglobulinémies "mixtes". Dans le type II, l'IgM monoclonale est habituellement de type kappa, avec une activité facteur rhumatoïde, c'est à dire anti-IgG; dans le type III, l'activité facteur rhumatoïde de l'IgM n'est notée que dans la moitié des cas. Lorsque aucune maladie sous-jacente ne peut être mise en évidence, elles sont dites "essentielles".
Signes cliniques :
La symptomatologie est due au dépôt de complexes antigène-anticorps dans les vaisseaux de petit et moyen calibre.
L'atteinte rénale est surtout fréquente au cours de la cryoglobulinémie de type II, notée dans 40 à 60% des cas, beaucoup moins fréquente, environ 15% des cas, dans le type III. L'atteinte rénale peut révéler la maladie dans 20% des cas. Il s'agit d'une néphropathie de type glomérulaire, de présentation variable : protéinurie et hématurie asymptomatique, souvent syndrome néphrotique, parfois syndrome néphritique, hypertension artérielle sévère dans 1/3 des cas, rarement insuffisance rénale rapidement progressive. Plus rarement on notera un tableau d'insuffisance rénale chronique, en général modérée.
Les signes extra-rénaux sont constants, évocateurs du diagnostic, du type vascularite sytémique leucocytoclasique atteignant les vaisseaux de petit et moyen calibre, principalement au niveau de la peau associés fréquemment à des thrombi très caractéristiques de cette affection.
purpura non thrombopénique (85%) , le plus souvent inaugural, récidivant, prédominant aux membres inférieur; évoluant vers des ulcères de jambes dans 1/3 des cas.
syndrome de Raynaud (30%)
arthralgies (50 à 70%), souvent précoces et récidivantes, surtout mains et genoux, parfois arthrites.
autres manifestations de type vascularites dans les formes graves : neuropathie périphérique avec polynévrite, gastro-intestitnale avec douleurs digestives, cardiovasculaire avec cardiomyopathie.
signes d'atteinte hépatique avec hépato-splénomégalie (45%) et tests hépatiques perturbés (70%)
La recherche de la cryoglobuline sera faite en suivant certaines précautions : prélèvement à jeun, sur un tube sans anticoagulant, en maintenant l'échantillon à 37°C jusqu'à son arrivée au laboratoire; le sérum est séparé par centrifugation à 37°C, puis placé dans un réfrigérateur à 4°C, et on note si la précipitation s'effectue dans un délai de 2 à 3 jours. Le taux de cryoglobuline est en général compris entre 0,5 à 10 mg/ml. Les autres signes biologiques importants sont la baisse du complément total CH50 et des fractions C4 et souvent C3 (activation de la voie classique), la présence d'un facteur rhumatoïde, et chez environ 80% des sujets des signes d'atteinte hépatique avec élévation des transaminases.
Les lésions rénales, objectivées par la biopsie rénale qui sera faite systématiquement, sont celles d'une glomérulonéphrite membrano-proliférative avec accentuation de l'architecture lobulaire : épaississement de la membrane basale glomérulaire avec image en double contour sur les imprégnations argentiques, prolifération endocapillaire et mésangiale faite de monocytes et lymphocytes, surtout thrombi intracapillaires composés de cryoglobulines. L'étude en immunofluorescence montre des dépôts diffus endomembraneux d'IgM, IgG, et C3. En microscopie électronique, les dépôts sous endothéliaux sont d'aspect amorphe, parfois avec une structure granuleuse ou fibrillaire plus évocatrice d'une cryoglobuline. On peut noter des lésions associées : souvent une inflammation interstitielle, parfois des lésions de vascularite (nécrose fibrinoïde, infiltration périvasculaire) très suggestives.
Etiologies :
1. Hépatite C : le fait important a été la démonstration, au début des années 90, que 80% des cryoglobulinémies mixtes dites "essentielles", et même 95% pour celles de type II, étaient dues au virus de l'hépatite C (VHC), dont le rôle est attesté par un ou plusieurs critères :
anticorps circulants anti VHC
VHC ARN dans le plasma et le cryoprécipité, l'ARN viral étant mis en évidence par PCR (polymerase chain reaction)
la présence dans le cryoprécipité d'IgG polyclonale ayant une activité anti VHC
De plus, l'utilisation d'anticorps monoclonaux dirigés contre l'antigène spécifique VHC a permis de détecter l'antigène VHC sur les membranes basales glomérulaires et le mésangium. Cependant, si beaucoup de patients ont une atteinte hépatique évidente cliniquement (hépatomégalie) et biologiquement (transaminases élevées), ceci n'est pas une règle absolue, une fonction hépatique normale n'exclue pas la présence du virus. La prévalence d'une cryoglobulinémie au cours de l'infection chronique à VHC a pu être récemment chiffrée à 54%, dont un quart des patients présentent une séméiologie caractéristique.
Le mécanisme exact de la production de cryoglobuline est mal élucidé, si ce n'est que le VHC agit comme l'antigène déclenchant le processus. Il est également possible que l'atteinte hépatique, en diminuant l'élimination des cryogobulines, favorise leur accumulation et leur dépôts tissulaires.
2. Autres étiologies : une cryoglobulinémie mixte peut être observée dans d'autres atteintes hépatiques : hépatite B, cirrhose biliaire primitive, hépatite autoimmune. L'infection à HIV est également possible, prouvée par la mise en évidence d'anticorps anti-HIV dans le cryoprécipitat.
Evolution : le pronostic de la néphropathie est variable. Dans environ 1/3 des cas, on observe une rémission partielle ou complète de tous les signes; chez les autres patients, la situation reste en général stable, malgré les multiples poussées extrarénales qui dominent le pronostic, en particulier les infections et les accidents cardio-vasculaires, et surtout l'évolution hépatique. Avant l'introduction de l'interferon, on observait 50% de survie à 15 ans, et l'évolution vers l'insuffisance rénale chronique, dans un délai de 10 ans, n'était notée que dans 10% à 15% des cas.
Traitement :
Dans les cas non liés au VHC, le pronostic et le traitement dépendent de la maladie sous jacente : les plasmasphérèses, en diminuant le taux de cryoglobulines, obtiennent une diminution des signes cliniques, et une amélioration du taux de créatinine dans les 2/3 des cas. Les plasmaphérèses peuvent être associées aux corticostéroïdes ainsi qu'au cyclophosphamide pour diminuer la production d'anticoprs.
Dans les cas liés à une infection à VHC, le traitement actuellement recommandé de l'hépatite VHC est bien codifié : 3 millions d'unités d'interferon alpha 2 (Viraferon ®), 3 fois par semaine en injection sous-cutanée, pendant un minimum de 6 mois; le titre de l'ARN viral doit être régulièrement suivi, et le traitement doit être prolongé aux mêmes doses sur 12 à 18 mois chez les "répondeurs", c'est à dire les patients qui ont eu une chute de l'ARN viral au 3° mois. L'efficacité de l'interferon alpha sur la cryoglobulinémie semble prouvée : une amélioration des signes cutanés, une diminution de la protéinurie et de la créatininémie, ont été notées chez les sujets ( environ 60%) qui ont eu une chute du taux de VHC ARN. A l'arrêt du traitement, on note à nouveau un taux élevé de virémie, associé à la réapparition des signes cliniques, confirmant le rôle directement pathogène du virus.
Chez les non répondeurs, on a pu proposer l'utilisation de doses plus élevées d'interferon alpha, tout en tenant compte de ses effets secondaires ( syndrome pseudo-grippal, asthénie, neutropénie, thrombopénie, syndrome dépressif). La meilleure solution semble d'associer la ribavirine (Rebetol®, gélules de 200mg), 1000 mg/j , dont les premiers résultats apparemment favorables ont été rapportés (le produit ne doit pas être utilisé chez les sujets ayant une clearance de la créatinine < 50ml/min). La posologie et la durée du traitement pourront être adaptées au génotype (le génotype 1 ayant de moins bon résultat) et à la charge virale plus ou moins forte.
Par contre, l'interferon alpha ne doit pas être utilisé dans les formes sévères, avec manifestation neurologiques ou insuffisance rénale aigue, qui sont redevables de plasmaphérèse pour diminuer le taux circulant de cryoglobulines, associée aux fortes doses de méthylprednisolone et cyclophosphamide pour prévenir la formation nouvelle d'anticorps, avec le risque potentiel de faciliter la replication virale.
L'utilisation d'un anticorps monoclonal anti-CD20 (rituximab), dirigé contre les cellules B est en cours d'évaluation.
L'épuration extra-rénale, hémodialyse ou dialyse péritonéale, ne semblent pas poser de problèmes particuliers. Par contre, après transplantation rénale, les récidives sont fréquentes, notées dans 50% à 70% des cas, posant à nouveau le problème du rôle facilitant de l'immunosuppression vis à vis du virus; mais la récidive de néphropathie est peu évolutive, et ne constituerait pas une contre-indication à la greffe. Une étude récente a montré que chez les transplantés rénaux HCV+ une cryoglobulinémie était notée chez 38% des sujets, mais que chez les greffés VHC- une cryoglobulinémie mixte (type III dans 75%) était également notée dans 27% des cas, il est vrai à un taux faible, posant néanmoins le problème de l'intervention d'autres facteurs viraux à l'origine d'une cryoglobulinémie.
Misiami R., Bellavita P., Baio P., et al : Successful treatment of HCV-associated cryoglobulinemia glomerulonephritis with a combination of interferon alfa and ribavirin. Nephrol.Dial.Transplant. 1999;14/1558
Wu M.J., Lan J.L., Shu K.H. et al : Prevalence of subclinical cryoglobulinemia in maintenance hemodialyses patients and kidney transplant recipient Am. J. Kid. Dis. 2000; 35:52
Zaja F, de Vita S, Mazzaro C, Sacco S : Efficacy and safety of rituximab in type II mixed cryoglobulinemia. Blood 2003;101:3827
S'il n'y a pas de solution, il n'y a pas de problème. Devise Shadok (et stoicienne)