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La « contraventionnalisation » de l’usage de stupéfiants: un bâton en forme de carotte
La transformation du délit d’usage illicite de stupéfiants en simple PV dissimule la volonté de faire porter un peu plus le poids de la répression sur les plus vulnérables.
Nous représentons les drogués ! Oui, c’est possible et c’est même légal. Nous sommes à des titres divers engagés, parfois depuis de longues années, dans une joute publique pour faire reconnaître comme légitime le droit de se droguer, un peu , beaucoup et même à la folie si le cœur nous en dit. En France, il existe de nombreuses associations qui défendent l’idée iconoclaste que la consommation de drogues est légitime au regard des libertés individuelles tout en dénonçant une prohibition - le mot est lâché - attentatoire aux droits des gens, car directement responsable d’une cascade de fléaux à la fois sanitaires économiques et sociaux. L’idée n’est pas nouvelle et surtout elle est de plus en plus partagée. La longue liste des pays réformateurs en matière de drogues ne cesse de s’accroitre. Des États-Unis au Canada, de l’Uruguay au Portugal, ce qui relevait hier de l’utopie soixante-huitarde devient aujourd’hui une option étudiée par des experts internationaux dépourvus de toute fantaisie. Oui l'usage de drogues, à commencer par le cannabis, pose la question de la légitimité morale d'un phénomène qui intéresse le marché à défaut des cours de justice et la guerre à la drogue résonne symétriquement comme un air désuet chanté par l'"ancien monde".
Et en même temps…
C’est donc dans ce contexte plutôt favorable à nos idées que l’annonce nous a cueilli au retour de congés comme un dernier rayon de soleil estival: le gouvernement planche sur un projet de contraventionnalisation des sanctions prévues par l’article L. 3421-1 du code de la santé publique qui criminalise l’usage de stupéfiants. La contravention c’est un peu la tape sur les doigts en lieu et place des coups de ceinture. Tout un chacun est amené à payer une amende après avoir brûler un feu rouge ou s’être abstenu de déclarer au cadastre la construction d’une cabane de jardin. Plus de prison donc, ni surtout de gardes à vue humiliantes, de contrôles musclés sources de tensions multiples entre la police et la jeunesse française. La nouvelle ayant filtrée via l’interview du Ministre de l’Intérieur, nous étions plutôt intéressés par une annonce que l’on pouvait déposer dans la balance humaniste du double plateau « en même temps », celle qui régit notre vie publique depuis le triomphe du parti « et de droite et de gauche ».
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, la commission parlementaire constituée ad hoc au cœur du mois d’août, a spontanément répondu favorablement à nos demandes d’audition, une attitude qui tranche avec les habitudes du passé où la voix des principaux intéressés que nous sommes n’est que rarement prise en compte par le Prince ou ses conseillers. Hélas, la découverte des détails du projet gouvernemental nous a fait déchanter au point même que l’apparence de libéralisme qui enveloppe cette marchandise proposée subrepticement ressemble furieusement à de l’arnaque, à du plâtre ou du glucose, bref à ce que l’on appelle communément une carotte !!! Si l’on prend la peine d’analyser à froid le projet tel qu’il figure dans les dossiers de la mission parlementaire il revient à creuser l’écart entre les usagers selon qu’ils appartiennent à la classe des puissants ou à celle misérables.
Monopolice
En fait, il n’est nullement envisagé de toucher à la sacro-sainte loi de 1970 qui régit en France la délicate question de l'usage de stupéfiants. Les députés Eric Poulliat (REM) et Robin Reda (LR), rapporteurs de la commission, nous ont clairement indiqué que leur feuille de route était réglementaire plutôt que pénale. En clair l'hypothétique contravention ne vient pas remplacer le délit d'usage, mais s'ajouter au millefeuille juridique déjà conséquent qui prétend faire le bonheur des usagers de drogues en décidant à leur place. Second point, sur le terrain l'idée est de permettre aux policiers d'extraire arbitrairement certains consommateurs de la procédure, sans pour autant abolir le délit lui-même. Finalement, du point de vue des usagers, le gain effectif reste maigre voire inexistant, au regard des pratiques judiciaires actuelles qui généralisent déjà les peines de substitution (travaux d’intérêt général, injonction thérapeutique etc…) en matière de simple usage de stup. En l'état, le mot-clé c'est "police" en lieu et place de celui de "justice". En déplaçant le curseur du Garde des Sceaux vers la Place Beauveau, la "contraventionnalisation" fait du policier, le maitre de votre destin. Aujourd’hui vous avez déjà toutes les chances d'échapper à une sanction si vous répondez aux bons critères de faciès et de profil social, mais tout cela reste de l'ordre du tacite, de l’informel.
En vous laissant "filer" le policier magnanime ne s'appuie sur aucun règlement mais se conforme à une pratique. La multiplication de situation de ce genre pose évidemment un problème pour le gouvernement quel qu’il soit. La loi n’est pas ou peu appliquée, mais il reste que la répression de l’usage est une épée de Damoclès bien utile. Les policiers eux-mêmes en conviennent, les stupéfiants sont une entrée pratique pour mater la petite délinquance de rue disent-ils…Entendez les « racailles de cité » qui font le sale boulot de fournir notre société en produits stupéfiants divers. Le point positif de cette rhétorique c’est le tranquille cynisme avec lequel se matérialise un acteur habituellement absent de l’imaginaire nos gouvernants, le consommateur, mais un consommateur propre sur lui, un consommateur auquel on puisse s’identifier, un consommateur dont on pourrait dire « cela pourrait être mon fils (ou ma fille) ». Ceux-là se verront proposer de régler séance tenante une amende de 3e catégorie dont le montant devrait être raisonnable tout en restant prohibitif pour le tout venant, par exemple entre 150 et 300 €. Moyennant quoi les heureux élus échapperont aux affres d’une interpellation suivie d’une possible garde à vue, quand les autres, tous les autres, se verront reconduit à la case départ ou la case prison du « mono police », le jeu de société qui régit les relations de la jeunesse des « quartiers » avec les forces de l’ordre.
Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que sans réforme du terrible article L. 3421 qui punit d’une peine d’un an de prison et de 3750 euros d’amende quiconque s’est rendu coupable du délit d’usage de stupéfiants, la grande majorité des usagers interpellés sur la voie publique avec quelques grammes de shit ou de beuh ne verra pas son sort s’améliorer. De là à penser qu’il s’agit d’une loi cosmétique uniquement préoccupée par la situation des quelques uns qui ne devraient décemment pas figurer dans une statistique judiciaire, il n’y a qu’un pas que nous franchissons à la lecture de la chronique judiciaire de ces derniers mois. Les mauvaises langues prétendent que les arrestations de certains enfants d'élus ayant eu le mauvais goût d’être pris dans le filet de la maréchaussée, auraient fortement pesé dans ce retour de la contraventionnalisation. Pour mémoire, l’épisode savoureux qui vit le fils de la présidente du conseil régional d’Ile de France, personnalité particulièrement attentive à l’application ferme de la loi sur les stupéfiants, être épinglé lui-même par la patrouille anti cannabis.
Nous avions les « bavures », celles qui conduisent nos agents de la force publique devant les tribunaux, nous avons aujourd’hui les « bévues », ces méprises policières qui troublent la conscience de nos citoyens les plus éminents contraints de venir chercher leurs rejetons au commissariat pour cause de zèle intempestif de la maréchaussée. La « contraventionnalisation » ne serait donc qu’une carotte déguisée en bâton et en même temps un remède contre les « bévues policières » ? A voir. La toute récente vague de réformes économiques qui positionnent fermement à droite le gouvernement Philippe pourrait susciter prochainement un prurit de libéralisme sociétale chez tous les anciens socialistes En Marche, et quoi de plus libéral justement que de s’attaquer au juteux marché du cannabis sativa!
Fabrice Olivet pour ASUD
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Source : blogs.mediapart
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Bien amicalement.
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