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http://news.doctissimo.fr/cannabis-ther … e6997.htmlCannabis thérapeutique : Act Up interpelle l'Académie de MédecineMardi 08 juin 2010
L'Académie de Médecine a pris position contre l'usage de
cannabis à des fins médicales en France début 2010, en raison d'un rapport bénéfices-risques défavorable, ce que dénonce Act Up Paris. Cette association souligne l'utilité de cette substance, en particulier pour les personnes atteintes du VIH/Sida et réfute les arguments de l'Académie.
La position de l'Académie
L'Académie de Médecine, dans un communiqué publié le 19 mars 2010 et intitulé "Cannabis : un faux médicament, une vraie drogue" (accessible en ligne), "met en garde contre l'utilisation du
cannabis en tant que médicament". Pour étayer cet avertissement, l'Académie indique tout d'abord que la variabilité des espèces de
marijuana, le lieu de culture, le climat et le moment de la récolte ne permettent pas d'obtenir une concentration fixe de
THC, le principe actif du
cannabis, empêchant dont la dose thérapeutique utile doit être connue avec précision".
L'Académie affirme également que d'autres médicaments ont "des propriétés pharmacologiques supérieures à celles du
THC", substance dont les effets pharmacologiques sont "d'une intensité modeste". L'institution souligne qu'a contrario "les effets secondaires sont nombreux et très souvent adverses", qu'ils soient psychiques (mémoire, dépression, décompensation ou aggravation de la schizophrénie, incitation à la consommation d'autres drogues, etc.) ou physiques (dépression de l'immunité, cancers, infarctus, etc.).
Les arguments d'Act Up à l'encontre de cette position
Dans une lettre ouverte (accessible en ligne ), l'association qualifie ces prises de position d'"archaïques", notamment la mention d'une possible "incitation à la prise d'autres drogues", théorie de l'escalade réfutée par les addictologues (en gros si cette théorie était fondée, avec l'explosion du nombre de fumeurs de
cannabis depuis les années 90, la consommation d'autres drogues aurait dû également exploser, or ce n'est pas le cas).
Act Up s'indigne de cette négation de "l'amélioration du confort de vie que pourrait apporter le
cannabis thérapeutique à l'innombrables malades atteints du VIH/Sida", qui doivent supporter des traitements quotidiens aux effets secondaires lourds. De plus ces patients, qui connaissent les effets de cette substance, cherchent, toujours selon l'association, à s'en procurer de toute façon, ce qui les condamne "à la délinquance, à l'illégalité, (...) à aller chercher dans la rue la solution thérapeutique à laquelle [ils ont] droit et que [leur état de santé recommande, au risque de [se] faire agresser, voler, manipuler".
Act Up rappelle que les malades du sida n'ont "choisi ni les effets secondaires de [leurs] traitements, ni l'inefficacité des traitements plus conventionnels que le
cannabis" et exigent de pouvoir bénéficier de cette réponse thérapeutique, par ailleurs prescrite dans de très nombreux pays depuis plusieurs années. Enfin Act Up appelle l'Académie à se pencher sur les études réalisées avec cette substance et sur les témoignages des usagers.
Les études sur l'usage du
cannabis thérapeutique
De Jong et coll., en 2005, ont constaté que les patients sous trithérapie anti-sida qui utilisaient du
cannabis avaient moins de nausées et prenaient mieux leur traitement. Le médecin allemand Franjo Grotenhermen, dans son livre "Cannabis en médecine", souligne de son côté que 72 % des patients atteints du sida et consommateurs de
cannabis trouvent l'effet de cette substance "positif" et 7 % seulement le trouvent "négatif" (résultats d'une enquête auprès de 136 patients, Barsch, 1996).
De nombreuses études ont par ailleurs été réalisées sur l'impact du
cannabis sur la perte d'appétit, les douleurs physiques, les nausées et vomissements ou encore le glaucome, l'épilepsie ou la sclérose en plaques.
Ces études scientifiques, en partie résumées dans le livre du Dr Grotenhermen et dans celui de Mischka ("Cannabis médical. Du chanvre indien au
THC de synthèse") démontrent, de la même façon qu'avec d'autres principes actifs utilisés dans des spécialités pharmaceutiques, des propriétés intéressantes du
THC (cf. notre article : "Tout savoir sur le
cannabis médical").
Une utilisation médicale répandue
Conséquence de ces bénéfices thérapeutiques démontrés, et malgré la présence d'effets secondaires connus, l'usage thérapeutique de cette substance est autorisé dans de nombreux pays (Canada, Allemagne, Pays-Bas, Espagne, Israà«l, 13 Etats des Etats-Unis, etc.). Cela procure une alternative aux médicaments traditionnels, en particulier lorsque ces derniers sont insuffisamment efficaces ou mal tolérés.
Plusieurs laboratoires pharmaceutiques travaillent également depuis des années à l'élaboration de comprimés ou de sprays (cf. notre article : "Le
cannabis en spray débarque au Canada") qui pourraient éviter l'inhalation de
THC par combustion, à risque cancérigène (entre autres), et améliorer la lisibilité des doses absorbées. Cela pourrait lever une des objections de l'Académie sur la nécessaire précision des doses thérapeutiques, de même que la production et/ou l'importation de
marijuana à taux fixe.
Vers une évolution de la position française ?
La lettre ouverte d'Act Up conduira-t-elle l'Académie de Médecine, voire les autorités françaises, à revoir leur position sur cette substance ? Pourquoi ne serait-elle pas traitée comme un médicament comme les autres, indépendamment de son usage récréatif, pour l'instant très réprimé (du moins en théorie...) en France ?
Le dossier du
cannabis est complexe, et l'amalgame entre la pénalisation de son utilisation récréative et un éventuel usage médical semble bloquer toute réflexion, toute prise de décision en France. Cependant, après des années de blocages idéologiques et de retard sur d'autres pays occidentaux, les autorités françaises ont élargi au début des années 90 l'utilisation des morphiniques, ce qui a enfin soulagé des milliers de patients atteints de douleurs chroniques... Peut-être en sera-t-il de même bientôt pour le
cannabis médical, visiblement utile dans certaines pathologies et conditions ?
Jean-Philippe Rivière
Sources :
- "Cannabis : un faux médicament, une vraie drogue", Académie de Médecine, 19 mars 2010, accessible en ligne
- "Lettre ouverte à l'Académie de médecine", Act Up Paris, 7 juin 2010, accessible en ligne
- "Marijuana use and its association with adherence to antiretroviral therapy among HIV-infected persons with moderate to severe nausea". De Jong BC et coll. J Acquir Immune Defic Syndr 2005;38(1):43-6., résumé et étude accessibles en ligne
- "Cannabis en médecine : un guide pratique des applications médicales du
THC", Dr Franjo Grotenhermen, Editions Indica 2009 (présentation en ligne)
- "Cannabis médical. Du chanvre indien au
THC de synthèse", Michka et coll., Mamma Editions 2009 (présentation en ligne)
Photos :
- Différentes variétés de
cannabis médical sur l'étagère d'un dispensaire, Hollywood, Californie, © KENNELL KRISTA/SIPA
- Un des dispensaires délivrant de la
marijuana médicale à Los Angeles, Californie, © KENNELL KRISTA/SIPA