E-dito n°19 (juillet 2018)
Overdoses avec les médicaments de
substitution opiacée (MSO) et plan d’action contre … la PPMV !
Primo-prescription de
méthadone en ville (PPMV), fin de la partie ?
Dr Maroussia WILQUIN, Dr Stéphane ROBINET, Mustapha BENSLIMANE, Dr Richard LOPEZ
Drôle d’impression que nous a donnée cette commission nationale des stupéfiants et
psychotropes retransmise en direct depuis l’ANSM, entièrement dédiée aux overdoses liées aux médicaments de
substitution opiacée. Celle-ci s’est tenue le 21 juin 2018 et le sentiment général est que le projet d’élargissement de la primo-prescription de
méthadone en ville, plus simplement appelé PPMV, est définitivement enterré sous les coups de boutoir des données de ‘vigilance’ des différents dispositifs et des interventions de quelques fossoyeurs de la mesure.
Ce n’était probablement pas l’intention de la CNSP qui, rappelons-le, avait voté en faveur de la mesure (pas à l’unanimité toutefois), ni de son président Nicolas Authier qui menait les débats. Mais, la séquence proposée a inéluctablement conduit à s’interroger, entre autres, sur les bénéfices éventuels d’une telle mesure. Ce n’était pas supposé être le thème principal de cette journée mais c’est quand même autour de la PPMV que se sont articulées de nombreuses discussions. L’agence APM a d’ailleurs consacré une longue dépêche à ce sujet (La primoprescription de la
méthadone en ville remise en question, 27 juin 2018). Certains la voyant comme une mesure pouvant faire baisser le nombre d’overdoses, d’autres, à l’inverse, comme un risque supplémentaire.
Retour sur le programme Toute la matinée fut donc consacrée aux données de vigilance (addictovigilance, toxicovigilance, DRAMES…) et autres lectures, parfois un peu abstraites, notamment celle des fameuses données de remboursement.Inutile de dire que les données DRAMES 2016 (Décès en Relation avec l’Abus de Médicaments Et de Substances) ont plombé l’ambiance, jusque dans les rangs de ceux qui sont en faveur de la PPMV [1].
Patients sous méthadone ou décès avec de la méthadone ? Il nous semble que le principal écueil des données DRAMES, et ceux qui ont présenté ces données l’ont rappelé, réside dans le fait que, dans la quasi-totalité des cas de décès imputés à la
méthadone ou à d’autres substances, il n’est pas possible de savoir s’il s’agissait de patients ‘sous’
méthadone ou d’usagers (expérimentateurs, occasionnels, voire ‘sous’ autre traitement de
substitution…)
En effet, rien n’empêche de penser (à l’extrême et pour imager le propos) qu’il puisse s’agir pour certains de patients recevant régulièrement un traitement par la
buprénorphine et décidant, pour une quelconque occasion, de se faire un petit extra à coup d’agoniste pur,
méthadone par exemple (voire sulfate de
morphine).
Peut-être s’agit-il aussi d’usagers peu dépendants car occasionnels ou récemment sevrés. Peut-être encore d’héroïnomanes alternant les prises de substances diverses et variées selon leur disponibilité. Ou encore des usagers suicidaires, ayant choisi la
méthadone pour en finir, parfaitement informés que la
buprénorphine est bien moins létale. On sait depuis longtemps que derrière un nombre d’overdoses, il y a une part non négligeable de tentatives de suicide qui peut atteindre pas loin de 50% |2].
A vrai dire, on n’en sait rien et il peut paraitre imprudent et surtout inexact de tirer des conclusions formulées ainsi, à savoir :
? 148 décès / 54 594 patients traités 2,7 décès / 1 000 patients pour la
méthadone? 42 décès / 111 292 patients traités 0,38 décès / 1 000 patients pour la
buprénorphinelaissant clairement sous-entendre qu’il s’agit de décès de patients ‘sous’ l’un ou l’autre des traitements alors qu’il s’agit en réalité de patients ou usagers dont le décès est imputable à l’une ou l’autre des 2 substances. Ce qui n’est pas la même chose. Du tout !
Donc, la sentence selon laquelle la
méthadone est 7 fois plus dangereuse que la
buprénorphine» est scientifiquement fausse, pour les « patients traités en tous cas. Elle ne résiste pas à l’analyse de la littérature, comme nous le verrons plus loin.
Il ne s’agit pas pour nous de remettre en cause l’enquête DRAMES. Comme d’autres dispositifs d’observation et de vigilance, elle nous donne de précieuses informations sur ce que font les usagers ou patients avec les médicaments que nous prescrivons et délivrons. DRAMES nous rappelle chaque année qu’être usager de drogues est une conduite très à risque. Nous discutons ici la lecture des données et l’utilisation qui peut en être faite.
2 évidences, mais qu’il faut rappeler ici… Oui, la
méthadone est un agoniste pur et donc sa dangerosité pour des usagers occasionnels, que nous pourrions qualifier d’insuffisamment tolérants, est un fait non discutable (1 mg/kg) alors que l’effet plafond de la
buprénorphine la rend moins dangereuse (mais pas totalement inoffensive). Le fameux « 7 fois plus dangereux » dans le cas de patients naïfs ou peu tolérants est largement sous-estimé…
Oui, un patient, tel que l’on peut l’entendre habituellement, qui prend son traitement tous les jours y compris à une posologie élevée, n’a quasiment aucun risque d’overdose mortelle. C’est son niveau de tolérance qui le protège de ce risque. Le nombre de patients sous traitement régulier prenant en une fois 2-3 jours de traitement en une prise sans faire d’overdose peut en témoigner.
Patients ou usagers, ‘sous’ méthadone ou ‘sous’ buprénorphine… ?
En fait, ce que l’on peut reprocher généralement à ceux qui présentent les résultats des données de ‘vigilance’, c’est de ranger les individus dans des catégories bien définies et surtout très théoriques.
C’est un peu comme si, selon eux, il y avait d’un côté les patients (donc exclusivement ‘sous’ traitement) et, de l’autre, les usagers de drogues illicites exclusifs, c’est-à-dire les héroïnomanes !
Comme s’il n’existait pas entre les 2 extrêmes tout un éventail de situations différentes Pour les patients, il y aurait également des sous-groupes : les patients ‘sous’
buprénorphine, ou ‘sous’
méthadone, ou encore ‘sous’ sulfate de
morphine (dont il a été aussi question lors de cette commission spéciale). Là-aussi, la fréquentation des usagers nous montre que ce n’est pas aussi simple !
En effet, nous savons bien que 15 à 20% des patients ‘sous’ MSO consomment aussi (de parfois à régulièrement) de l’héroïne ou des sulfates de
morphine, en prenant le soin d’attendre d’avoir éliminé de leur organisme la
buprénorphine ou la
méthadone. 15 à 20% de patients ‘sous’ MSO, c’est plus de 20 000 patients qui en étant recensés comme recevant un MSO recourent à des prises d’opiacés illicites ou
opioïdes alternatifs à ceux qui leur sont prescrits…
Nous savons aussi que la majorité de ce qu’on appelle les ‘héroïnomanes’ ne consomment pas que de l’héroïne, mais prennent les substances disponibles au moment de leur consommation et de leur trajectoire. Dans ce cas bien sûr, un usager consommateur même régulier d’une
héroïne de qualité moyenne, prendra un risque inconsidéré en ingérant une dose de 60 mg de
méthadone, plus qu’avec 8 mg de
buprénorphine. Ce n’est pas un patient ‘sous’
méthadone, c’est un héroïnomane. Il peut faire une overdose avec une seule prise de
méthadone et risquera d’alimenter malgré lui la rubrique « décès par overdose ‘sous’
méthadone ».
Que dit la science ? Qu’en est-il des données scientifiques sur la mortalité des patients bénéficiant d’un traitement par
méthadone ou
buprénorphine, les fameux ‘sous’
Subutex ou
méthadone ? Quelles sont ces données scientifiques dont la présentation a fait cruellement défaut lors des auditions ? Pourquoi ces mêmes données n’ont pas été transmises ?
Qu’à cela ne tienne, les voici ! On sait maintenant depuis des années au travers de nombreuses études publiées dans les plus grandes revues internationales et sur des cohortes de plusieurs milliers de patients ‘sous’ MSO que le taux de mortalité pour ceux qui bénéficient de
méthadone ou de
buprénorphine est le même, malgré quelques écarts. Cela remet en cause les statistiques trompeuses des données DRAMES. Le seul moment où la
méthadone est plus dangereuse que la
buprénorphine est lors des premières semaines de traitement au cours desquelles une initiation (trop rapide) [3] du traitement peut être fatale.
Mais, sur la durée, les taux de mortalité se rejoignent pour les 2 groupes dans la plupart des études [4, 5, 6]. Les taux de rétention étant meilleurs avec la
méthadone (et le taux de mortalité étant ce qu’il est lorsque les patients ne sont plus traités), il est impossible de conclure que la
méthadone présente plus de risques pour les patients traités que la
buprénorphine. En tous cas dire que la
méthadone est 7 fois plus dangereuse pour les patients traités que la
buprénorphine, comme on a pu l’entendre à plusieurs reprises, est rigoureusement faux !
Enfin, au cours de la journée, les données du Sniiram (données de l’Assurance-Maladie), qui concernent plutôt des patients bénéficiant d’un traitement en continu, semblent aller en faveur d’une réduction de la mortalité avec la
méthadone au cours des dernières années.
Donc la buprénorphine serait le MSO préférentiel ? (La main invisible de Big Pharma) Le choix d’un médicament de
substitution qui serait ‘préférentiel’ ou de première intention sur le critère de mortalité au cours du traitement, tel qu’il est formulé ci-avant, n’est pas absolument pas pertinent. C’est pourtant ce qui a été proposé en demi-teinte dans des recommandations récentes [7], signées par des experts européens dont certains d’entre eux sont connus comme étant proches de la firme qui commercialisent la
buprénorphine dans le monde ou avec de forts liens d’intérêt avec celle-ci.
Ces experts ont ainsi probablement exaucé sans le savoir le rêve de la firme, voir son médicament être proposé en situation préférentielle, ce que personne n’avait jamais vraiment osé faire en matière de MSO. Seule la HAS l’avait proposé en 2008 [8] sur la
base de critères cliniques (existence ou non de comorbidités psychiatriques, de pathologies douloureuses, niveau d’addiction, etc…) mais ne proposait pas de place préférentielle. Comme l’avait fait avant elle la conférence de consensus sur les
TSO quelques années plus tôt.
Le Flyer s’est maintes fois exprimé sur les indications préférentielles des 2 MSO. Le choix du traitement doit se faire selon la clinique mais, avant tout, sur la demande du patient et ses attentes. Hormis dans des cas exceptionnellement rares, les usagers demandeurs d’un
TSO ont déjà expérimenté la
buprénorphine et la
méthadone. Le médecin peut conseiller son patient, mais l’adhésion au traitement dont la condition essentielle est le choix de molécule par le patient lui-même, est un facteur-clef de réussite.
Dans cette discussion, il faut aussi évoquer le potentiel de détournement assez élevé de la
buprénorphine, plutôt plus élevé que celui qu’on observe avec la
méthadone. Pratiques d’injection, de
sniff dont les conséquences sont difficiles à mesurer même si elles ne sont pas aussi spectaculaires que les décès sous
méthadone, plus faciles à comptabiliser. Cela peut être un élément à prendre en compte pour tempérer les ardeurs à déterminer un médicament à utiliser préférentiellement !
Toute notion de première intention, applicable dans de nombreux domaines thérapeutiques, n’est pas opportune quand il s’agit de la prescription d’un traitement de
substitution opiacée. Les coûts de traitement pourraient l’être mais, en l’occurrence, ils sont comparables en tous points, à peine moins chers pour la
méthadone.
Notons enfin qu’au cours des auditions du 21 juin 2018, les représentants d’usagers ont donné l’information sur leurs liens d’intérêt avec les firmes comme il leur a été demandé. Par la suite, les médecins qui se sont exprimés, et notamment ceux qui ont donné un avis négatif sur la PPMV, ne l’ont pas fait. Il eût été utile de connaitre leurs liens avec les firmes qui commercialisent des MSO, notamment des médicaments concurrents de la
méthadone.
La réussite du modèle français repose sur la diffusion massive de la buprénorphine ? Cela a été dit également à plusieurs reprises au cours des auditions mais il nous semble que c’est aussi un raccourci qu’une lecture trop rapide des données de diffusion des MSO suggère. Cela a d’ailleurs fait l’objet de nombreux articles récemment [9] …ce qui ne signifie pas que c’est exact.
Selon nous, ce qui a fonctionné dans le ‘french system’, c’est la complémentarité de l’offre.
Buprénorphine en ville, souvent en première intention et pour des patients ne souhaitant pas aller en milieu spécialisé (pour différentes raisons).
Méthadone en milieu spécialisé, en seconde intention, pour des patients en échec avec la
buprénorphine ou nécessitant une prise en soins plus complète. Avec la possibilité pour un nombre très important de patients mis ‘sous’
méthadone de retourner en médecine de ville. Avec une montée progressive et peut-être mieux maitrisée, de 10 000 patients en 2000 à 50 000 en 2015.
Prétendre que c’est essentiellement grâce à la
buprénorphine que la France peut se prévaloir de la qualité de sa prise en charge des usagers de drogues et de la baisse des overdoses est intellectuellement trop facile. Certes sa diffusion a été plus rapide et il a fallu attendre près de 20 ans pour que 1 patient sur 3 bénéficie de la
méthadone. Mais expliquer la réussite du ‘french system’ demande un peu plus d’effort qu’un simple comptage. Les médecins généralistes se sont impliqués bien sûr avec les pharmacies d’officine, mais beaucoup parmi eux se sont appuyés sur des structures spécialisées (CSAPA, ELSA, services d’addictologie…). Ces structures spécialisées elles-mêmes ont évolué dans leurs pratiques (pas toutes certes et parfois lentement…). Mais le travail en réseau a fonctionné et, par exemple, la possibilité de transférer vers la
méthadone des patients injecteurs de
buprénorphine a souvent été opérante.
L’augmentation sensible de la diffusion de la
méthadone a contribué sans nul doute au recul des pratiques d’injection et de celle de la
buprénorphine en particulier. Cette dernière reste toutefois encore assez élevée, aux alentours de 10 à 15%. Soit plus de 10 000 injecteurs de
buprénorphine pour lesquels, pas tous sûrement, la
méthadone est un moyen de sortir de l’injection.
Rappelons d’ailleurs que tous les projets d’amélioration de l’accès à la
méthadone, depuis les années 90, ont eu pour moteur la
réduction des risques. Plus précisément, la baisse des injections et des infections virales, du VIH d’abord, et du VHC ensuite. Ce qui est le cas de la PPMV….
La Suisse, avec une
substitution opiacée quasi-exclusivement à
base de
méthadone (et des programmes
héroïne) affiche des résultats au moins aussi bons que la France ? [10]. Preuve que l’on peut faire sans la
buprénorphine, avec de la prescription de
méthadone ville et avec peu d’overdoses dans la population de patients et d’usagers. Mais, ce n’est pas la peine d’en arriver à cette extrémité !
En effet, la répartition actuelle – un tiers de patients
méthadone/deux tiers de patients
buprénorphine – semble répondre à la demande et aux besoins des usagers. Et le bilan plutôt flatteur des
TSO en France est sûrement la conséquence de cet équilibre plus que de la prédominance d’une molécule plus qu’une autre.
Ce bilan peut être mis également à l’actif de l’implication de milliers de médecins généralistes, comme nulle part ailleurs. Médecins traitants ou médecins généralistes (en plus du médecin traitant, dédié au
TSO), ils ont contribué à la mise en place des traitements par la
buprénorphine, dès 1996. Puis ils ont, à bas bruit, assuré efficacement les relais pour des patients sous
méthadone et sortant des centres spécialisés. Sans eux, il n’y aurait pas en France aujourd’hui les 150 000 patients bénéficiant d’un
TSO, ce qui place notre pays dans le peloton de tête des pays avec une des meilleures couvertures en matière de traitement et de prise en soins des usagers de drogue. Avec leurs alliés de proximité, les pharmaciens d’officine, ils ont sans nul doute permis à des usagers de trouver une solution de premier recours, un accès facilité à un traitement de première intention tout en permettant aux structures spécialisées de ne pas être engorgées. Il serait bon de réfléchir à comment aider et motiver ces intervenants de proximité (pour les usagers) plutôt qu’à leur restreindre l’accès à la prescription de tel ou tel traitement.
Et enfin, la gratuité des soins est pour beaucoup dans la réussite de la politique de
réduction des risques menée en France depuis plus de 20 ans, incluant le remboursement des traitements. Quel que soit l’endroit où ils se présentent, cabinet de médecine,
CSAPA, services hospitaliers, pharmacies d’officine, les usagers ont accès aux services et médicament sans se poser la question des moyens dont ils disposent.
Tout ceci ne doit pas nous priver d’une réflexion sur la PPMV mais avec des données scientifiques exactes (sur la mortalité, sur l’injection et les séroconversions, les détournements…) et des débateurs sans liens d’intérêt avec les firmes concernées et sans représentants d’une corporation qui pourrait être impactée par la PPMV. Il nous arrive aussi de penser, de guerre lasse, qu’elle s’est fait tellement attendre qu’elle pourrait finalement n’être utile qu’à quelques patients.
Par ailleurs, son cadre d’application pourrait être tellement rigide (de ce qu’on en a vu) que la mesure serait plus symbolique qu’opérante.
Mais en matière d’addiction et de
TSO, les symboles ont de l’importance.
Liens utiles en référencé :
1.
http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/stor … 42b298.pdf2.
https://www.npr.org/sections/health-sho … 99353249983.
https://rvh-synergie.org/prises-en-char … iacee.html4.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/263846195.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/284464286.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/209780627.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/291832288.
https://www.has-sante.fr/portail/upload … oxone_.pdf9.
https://www.theatlantic.com/health/arch … rs/558023/10.
https://www.rts.ch/info/suisse/9645143- … t-ans.htmlSource : LE FLYER