Depuis 2004, l´Afghanistan, premier producteur mondial d´héroïne, inonde l´Europe. De Kaboul à la campagne meusienne, il n´y a désormais qu´un pas : peu chère et accessible – Maastricht est à moins de 3 heures de route –, l´héroïne s´est imposée dans les villages du département et plus généralement dans toute la Lorraine. La Justice et l´Education nationale ont produit un film choc, réalisé par des élèves de la 3 e à la terminale.
Stéphanie pensait être plus forte que la drogue
Le visage filmé à contre-jour, c´est celui d´un détenu de la maison d´arrêt, tombé pour trafic de stupéfiants. Il a commencé à prendre de la drogue « en groupe » avec des personnes « qui fréquentaient les rave-parties ». Il a fini par les accompagner et s´est mis « à prendre de la
cocaïne et d´autres drogues tous les week-ends. Ensuite, ça va vite. Au départ, c´est juste une fois la semaine, puis le lundi, le mardi, le vendredi et le samedi soir, avant de devenir tous les jours ».
Stéphanie, bac +5, s´est mise au
cannabis avec « son copain plus âgé ». Elle se souvient des messages de prévention du genre « l´héroïne, c´est pas bien, si tu y touches tu vas devenir accroc ». Elle avoue qu´elle pensait « être plus maline ». Elle pensait être « plus forte que la drogue ».
Dans la salle, une centaine d´élèves du lycée Margueritte de Verdun, jeudi, accompagnent la
descente aux enfers et la rédemption de trois victimes de l´héroïne. Avec distance au début. Puis rapidement, les visages des adolescents deviennent plus graves. Quand ils finissent par percevoir, par petites touches, qu´ils pourraient un jour tomber, eux-aussi, dans le piège.
Les besoins augmentent…
Entrecoupé de saynètes où les élèves se mettent eux-mêmes en scène dans la peau de petits chimistes, le film de cinquante minutes écrit, tourné et réalisé en neuf mois, est d´une efficacité redoutable. Pas de morale, juste des faits. Pas de discours lénifiants, juste des mots qui parlent à l´intelligence. Stéphanie y a cru un temps aux paradis artificiels. « Au début, tu planes ! Si t´as des soucis avec tes parents, même si tes meilleurs amis se détournent, tu t´en fous, tu ne penses plus qu´au produit. Ensuite, quand t´es accroc et que tu es en manque, tu as l´impression que tu vas crever. Tu as l´impression que tu as besoin d´héro pour redevenir normale ».
Les trois témoins qui s´en sortent plutôt bien aujourd´hui dissèquent le parcours qui les a conduits de la consommation à la revente, l´argent qui file entre les doigts, le déclassement social. « Au fur à mesure que tes besoins augmentent, tu prends ton gramme toute seule, puis deux. Je mettais toute ma paie dedans, je gagnais 1 500€, je payais pas mon loyer », raconte Stéphanie.
« Une question de milieu social »
Le détenu de la maison d´arrêt de Bar-le-Duc s´est plongé dans le trafic, a multiplié « les bêtises », perdu son travail et « a vécu de ça » pendant quatre ou cinq ans. Quand les gendarmes sont venus le cueillir chez lui [il sera condamné en novembre 2009], « ça a été un soulagement ».
A la fin de la projection, que reste-il de ce parcours initiatique à l´envers dans l´esprit des lycéens qui sont sa cible ? « Moi, je pense que la drogue, c´est une question de milieu social. Je ne vois personne prêt à tomber dedans dans notre lycée, qui est un bon établissement », prétend cet élève de terminale avec aplomb. Face à elle, le procureur de la République Yves Le Clair peut évaluer, sans faux-semblants, le long chemin vers une prévention efficace.
« Ce que je sais, c´est que sans marché, c´est-à -dire sans acheteur, la production de drogue régressera. Ne vous leurrez pas : nous ne sommes plus à l´ère du junky qui se piquait comme il y a vingt ans. Aujourd´hui, le drogué, c´est vous ! Du fils d´ouvriers à la fille de la pharmacienne. Oui, oui, tous les deux, je les ai eus dans mon bureau ».
Source :
http://www.republicain-lorrain.fr/fr/pe … raine.html