Les applications offrent une plus grande visibilité à certaines drogues »
Propos recueillis par Romain Geoffroy
Publié hier à 17h38
Lecture 3 min.
Une étude réalisée par la Britannique Leah Moyle a sondé plus de 350 consommateurs sur leurs pratiques sur ces plates-formes.
Beaucoup de dealeurs utilisent aujourd’hui Snapchat pour entrer en contact avec leurs clients. Mais l’application au petit fantôme n’est pas la seule à être vérolée par le trafic de drogues. Instagram, Wickr, Kik, WhatsApp, Facebook, Telegram, Tinder… une étude publiée dans l’International Journal of Drug Policy en janvier 2019 a recensé une douzaine d’applications utilisées par les consommateurs pour se fournir.
Lire notre enquête : Vidéos promos, livraisons et SAV… comment Snapchat est devenu l’appli préférée des dealeurs
Autrice de l’étude et professeure au Royal Holloway College de l’université de Londres, Leah Moyle a sondé en 2017 plus de 350 consommateurs australiens, canadiens, britanniques et américains sur leurs pratiques. Elle ne peut que constater l’échec des géants du numérique à proposer un contenu sûr en ligne. Face à cette impuissance, elle estime qu’il est aujourd’hui « crucial et urgent » que les autorités s’emparent du sujet en informant le jeune public des risques qu’il prend.
Comment expliquez-vous cette tendance du deal sur des applications de réseaux sociaux ?
Leah Moyle : Historiquement, les dealeurs ont toujours tiré profit des progrès technologiques pour accroître leurs bénéfices et minimiser les risques. Ce n’est donc pas étonnant qu’ils migrent aujourd’hui vers des applications de messagerie sécurisées.
Quant aux acheteurs, notre enquête montre que ce sont des usagers plutôt jeunes, cela va de l’adolescent à l’étudiant d’une vingtaine d’années, qui utilisent la plupart du temps ces applis pour entrer en contact avec des dealeurs de leur propre ville. La vente, elle, passe par une rencontre. Les usagers que nous avons interrogés recherchaient tous un moyen rapide et pratique de se procurer des drogues. D’une manière générale, c’étaient des consommateurs avertis et soucieux de la sécurité de leurs échanges sans pour autant avoir le niveau technique pour acheter sur le
Darknet avec des cryptomonnaies.
La disponibilité de drogues sur ces plates-formes accessibles au plus grand nombre présente-t-elle un risque supplémentaire ?
S’il est clair que ces applications rendent l’achat de drogues plus accessible, le risque le plus important se trouve dans le grand nombre de substances rendues disponibles. Les applications offrent une plus grande visibilité à certaines drogues jusqu’ici difficilement accessibles aux jeunes. Nous avons par exemple parlé à des jeunes consommateurs de
cannabis et de
MDMA qui s’étaient mis à essayer des médicaments habituellement accessibles sur ordonnance comme le
Xanax et l’Oxycodone. Des drogues qu’ils n’avaient jamais testées avant ces applications.
Malgré tout, il est important de noter que l’offre sociale – c’est-à-dire l’accès aux drogues par des amis ou des connaissances – reste toujours le moyen le plus courant de se procurer des substances, particulièrement chez les jeunes consommateurs. Notre étude a également mis en lumière une inquiétude forte quant aux traces laissées sur les réseaux sociaux, ce qui en dissuade certains.
Pensez-vous que Facebook, Snapchat et les autres sont dépassés par ce qui se passe sur leurs plates-formes ?
On sait que ces entreprises pourraient faire beaucoup plus pour empêcher ces trafics de prospérer. La suppression des comptes n’est pas très efficace par exemple, car elle entraîne inévitablement la création de nouveaux comptes. Je pense plutôt que ces plates-formes devraient se concentrer sur les pratiques les plus nuisibles, comme la publicité proactive des drogues sur des espaces comme Facebook ou Instagram. Le plus important, cependant, reste d’informer sur la
réduction des risques.
Il faudrait que les plates-formes communiquent directement sur les drogues ?
Il faut être le plus honnête possible avec les usagers de drogues sur les risques qu’ils encourent, quand ils en achètent mais aussi quand ils les consomment. La nouveauté avec l’approvisionnement sur les réseaux sociaux, c’est que les acheteurs peuvent voir des photos ou des vidéos des drogues qu’ils commandent. Puisque les vendeurs montrent clairement leur marchandise, certains pensent que c’est un gage de qualité. Mais aucune photo ne permet de connaître la composition d’une drogue, aucune photo ne vaut un test scientifique. Il est crucial de rappeler ces
bases et d’éduquer les jeunes consommateurs sur les risques qu’ils prennent.
Source : LeMonde