Le Sénat uruguayen a adopté ce 10 décembre la loi autorisant la culture, la vente et l'usage de cannabis. Le pays devient ainsi le premier au monde à en contrôler toute la chaîne, de la production à la consommation. Une expérience risquée, estimait en août dernier le Los Angeles Times.
LOS ANGELES TIMES | PETER HAKIM 11/12/2013
Dessin de Falco, Cuba.
Théâtre des opérations les plus violentes de la guerre contre la drogue menée par Washington, les pays d’Amérique latine contestent pour la plupart l’attitude implacable des Etats-Unis dans leur lutte contre les stupéfiants.
L’Uruguay, le plus petit pays de la région, est toutefois le premier à entrer en rébellion ouverte. Il devrait bientôt être le premier pays à légaliser la culture, la vente et la consommation de
cannabis à l’échelle nationale.
L’Uruguay est un cas tout à fait singulier en matière de drogue. Contrairement à de nombreux pays d’Amérique latine, l’Uruguay affiche un taux de consommation de drogue plutôt faible et relativement peu de violences et délits liés au trafic. Et, malgré tous les efforts de l’actuel président, José Mujica, en faveur de la
légalisation, les sondages montrent que deux tiers des Uruguayens sont encore opposés à cette mesure. Face à une telle opposition et alors que le pays compte à peine 120 000 consommateurs réguliers de
cannabis, pourquoi le gouvernement défend-il une décision aussi avant-gardiste ?
“Pepe” Mujica la présente comme une mesure de sécurité publique. Difficile pourtant de croire qu’il s’agit là de l’objectif premier du président. Après tout, l’Uruguay affiche un des taux de criminalité les plus faibles d’Amérique latine. La volonté du président Mujica de laisser une marque en tant que dirigeant progressiste semble une explication plus crédible. En tout juste un an, il a notamment fait adopter la loi la plus libérale de toute la région sur la question de l’avortement et légalisé le mariage homosexuel.
L’initiative uruguayenne est également une réaction au profond sentiment de frustration que suscite en Amérique latine la guerre contre la drogue menée par les Etats-Unis, qui, aux yeux des pays d’Amérique latine, est en bonne partie responsable des explosions de violence sur le continent.
Les questions centrales sont les suivantes : la
légalisation peut-elle effectivement faire baisser la criminalité, décourager la consommation de substances plus dangereuses que la
marijuana et réduire les craintes face à l’insécurité ? Ou n’aura-t-elle qu’un impact réduit sur la criminalité tout en encourageant la consommation de drogue ? Deuxièmement, si la politique uruguayenne est couronnée de succès, est-elle pertinente pour d’autres pays ? On ignore les conséquences de cette décision, et peut-être faudra-t-il la remettre en cause. Le président Mujica lui-même en parle comme d’une “expérience”. Le marché noir peut prospérer grâce aux jeunes et aux touristes – à qui la vente serait légalement interdite –, ainsi qu’aux consommateurs ne se satisfaisant pas de la quantité autorisée par le gouvernement.
Hausse de la consommation. En effaçant la
stigmatisation culturelle de la consommation de
marijuana, ainsi que les craintes pour la santé, la
légalisation du
cannabis pourrait provoquer une hausse de la consommation, même si les recherches existant sur le sujet tendent à démontrer le contraire. Il est toutefois fort possible que le
cannabis légalisé de l’Uruguay atterrisse chez ses voisins brésilien et argentin (tout comme la production du Colorado atteindra le Nouveau-Mexique et le Wyoming). Enfin, les réseaux criminels pourraient se tourner vers d’autres activités ou le trafic de drogues plus dangereuses.
La
légalisation de la
marijuana en Uruguay ne devrait pas avoir d’effet majeur sur le trafic de stupéfiants à l’échelle du continent. L’Uruguay n’est ni un grand producteur ni une importante zone de transit. Et, comparé au Brésil ou aux Etats-Unis, le marché y est quasi inexistant. La courageuse décision de ce pays pourrait néanmoins initier une tendance en Amérique latine. De nombreux pays ont déjà formellement dépénalisé ou tolèrent de fait la consommation de
marijuana.
L’expérience menée par ce petit pays aura sans aucun doute un impact important, mais c’est surtout l’évolution de la situation aux Etats-Unis qui déterminera le futur de la lutte contre la drogue. L’Etat de Californie consomme à lui seul près de 500 tonnes de
marijuana chaque année, contre seulement 22 tonnes pour l’Uruguay. Plus important encore, les Etats-Unis auront de plus en plus de mal à prôner l’interdiction de la
marijuana, alors que les citoyens américains réclament eux-mêmes une plus grande tolérance.
Peter Hakim & Cameron Combs
Source :
Courrier InternationalURUGUAY • Cannabis monopole d'Etat : l'expérience commence vraiment"C'est légal ! L'Uruguay est vraiment le premier pays au monde à légaliser la vente et la production de
cannabis", titre le quotidien de Montevideo. Mardi 10 décembre à 22 h 38 heure locale, après douze heures de débat, le Sénat a donné "son feu vert à l'expérimentation", note le journal, qui explique que les seules voix des sénateurs du Frente Amplio, le parti de gauche au pouvoir, ont suffi. L'approbation a donné lieu à une fête sur le parvis de l'Assemblée.
La loi commencera à être appliquée dans quatre mois, une fois sa constitutionnalité ratifiée et les décrets d'application signés. Ensuite, et c'est une première mondiale, c'est l'Etat uruguayen qui contrôlera la production et la vente de
cannabis. L'opposition a critiqué le fait que le président uruguayen, José Mujica, parle récemment d''expérimentation", regrettant que l'Uruguay puisse devenir "un cobaye" en la matière.
Source :
Courrier International