Le cannabis double-t-il vraiment le risque d’infertilité masculine ?

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DÉCRYPTAGE
Le cannabis double-t-il vraiment le risque d’infertilité masculine ?
Par Stéphane Foucart,
11.06.2014 à  13h22

L'université de Sheffield publie une étude sur la qualité du sperme aux conclusions étonnantes : le cannabis a moins d'effet sur la fertilité que la simple variabilité naturelle des saisons.

« La consommation de cannabis doublerait le risque d’infertilité masculine. » Assurant reprendre la principale conclusion d’une vaste étude britannique conduite par Allan Pacey (université de Sheffield, Royaume-Uni) et publiée dans la revue Human Reproduction, un grand nombre de médias – notamment anglophones (quelques exemples :  The independant, Foxnews, ou sur Google) – ont repris les éléments du communiqué de presse diffusé par l’université de Sheffield, mettant l’accent sur les effets délétères du cannabis pour la qualité du sperme. Google News indexe plus d’une centaine de supports ayant repris l’histoire plus ou moins fidèlement. De là  à  déduire que le cannabis est en cause dans le déclin de la fertilité – constaté depuis au moins trois décennies dans de nombreux pays développés –, il n’y a qu’un pas que de nombreux lecteurs risquent de franchir.

Qu’en est-il vraiment ?
L’affaire est subtile et montre qu’une publication scientifique peut être médiatisée à  peu près à  l’inverse de sa conclusion principale.

L’étude publiée porte-t-elle spécifiquement sur le cannabis ?

Non. La question à  laquelle souhaitaient répondre les chercheurs est la suivante (telle que formulée dans leur article) : « Des éléments du style de vie sont-ils associés à  une dégradation de la morphologie des spermatozoïdes ? » Ce qui revient à  chercher les comportements individuels pouvant avoir un impact sur la forme et la taille des gamètes.

Les auteurs ont analysé le sperme d’environ 2 000 hommes, ayant consulté pour des problèmes de fertilité dans 14 cliniques du Royaume-Uni. Les participants ont, entre autres, répondu à  un questionnaire sur leur condition physique et leurs habitudes de vie : indice de masse corporelle (IMC), nature de leur emploi (manuel ou non), type de sous-vêtements portés (boxers ou non), consommation d’alcool et/ou de cigarette dans les trois mois ayant précédé le prélèvement, consommation de « drogues de rue » ou de cannabis, période de l’année à  laquelle le prélèvement de sperme a été réalisé. L’analyse de l’ensemble de ces paramètres conduits les chercheurs à  conclure ainsi leur publication : « Le style de vie d’un individu a très peu d’impact sur la morphologie des spermatozoïdes. »



L’étude conclut-elle à  un impact du cannabis sur la qualité du sperme ?
Oui, mais… D’abord, les auteurs n’ont pas, stricto sensu, évalué la fertilité des participants enrôlés dans l’étude. En effet, la fertilité masculine est évaluée grâce à  trois paramètres : la motilité (capacité à  se déplacer) des spermatozoïdes, leur concentration et leur morphologie (normaux ou anormaux). Or seul ce dernier point a été examiné. Il n’est donc pas possible, grâce à  cette seule étude, de tirer de conclusion – comme l’ont fait certains médias – sur la fertilité masculine au sens général.

Les auteurs de l’étude ont classé les résultats d’analyse en deux groupes : les individus dont le sperme présente un taux de spermatozoïdes normaux supérieur à  4 % (groupe 1) et ceux de taux inférieur (groupe 2). Ce seuil est celui adopté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Presque aucun des facteurs étudiés (IMC, tabac, alcool, etc.) n’est lié de manière significative à  la probabilité d’appartenir à  un groupe plutôt qu’à  l’autre. Le fait de boire, fumer des cigarettes, porter des boxers, etc., ne change donc pas significativement, selon ces travaux, le taux de spermatozoïdes normaux d’un individu.

La seule situation dans laquelle un impact significatif est noté est celui de la consommation de cannabis dans les trois mois ayant précédé l’éjaculation. Mais attention : la corrélation n’est significative que dans un seul cas, celui des hommes de 18 à  30 ans. Dans ce cas seulement, la corrélation est statistiquement significative, avec un facteur de risque de 1,94. Ce qui signifie que, selon les résultats publiés, si vous avez entre 18 et 30 ans, la consommation de cannabis multiplie par 1,94 la probabilité que vous apparteniez au groupe 2 (c’est-à -dire,  avec un taux de spermatozoïdes normaux inférieur à  4 %).

Mais si vous avez entre 31 et 40 ans, le même facteur de risque tombe à  1,35 et n’est pas significatif – c’est-à -dire qu’il n’a pas de valeur statistique. L’une des cocasseries de l’histoire est que, toujours selon ces mêmes travaux, si vous êtes âgé de plus de 40 ans, le même facteur de risque descend à  0,97. Un chiffre statistiquement non significatif mais qui, pris au pied de la lettre, signifierait une petite amélioration de la qualité du sperme pour les fumeurs de cannabis…!

L’effet du cannabis sur la morphologie et la taille des spermatozoïdes est-il important ?
Les mêmes travaux trouvent une corrélation entre la saison à  laquelle l’éjaculation a lieu et le risque de voir la morphologie et la taille des spermatozoïdes affectées. Une éjaculation produite entre juin et août a ainsi 2,21 fois de chances de voir son émetteur rangé dans le groupe 2, que si le prélèvement a été effectué au printemps. Ce facteur de risque (supérieur à  celui induit par la consommation de cannabis !) est statistiquement significatif pour les jeunes hommes de 18 à  30 ans. Pour les individus plus âgés (31 à  40 ans), ce même indice est moins élevé (1,73) mais reste statistiquement significatif. Au-delà  de 40 ans, le facteur de risque (2,74) n’a pas de valeur statistique…

Ce n’est toujours pas fini. Car une grande part de la corrélation calculée entre consommation de cannabis et risque d’appartenir au groupe 2 (pour les jeunes hommes de 18 à  30 ans) disparaît lorsque la consommation de cannabis a eu lieu plus de six jours avant le prélèvement.

En résumé : oui, selon ces travaux, le cannabis a un impact sur la morphologie des spermatozoïdes, mais cet impact n’a été mis en évidence que dans une classe d’âge restreinte (18 à  30 ans) et, surtout, l’effet induit est rapidement réversible et demeure nettement inférieur à  celui de la simple variabilité naturelle des saisons.

Quelle est la conclusion principale de ces travaux ?
On l’a vu : le communiqué de presse met en avant un risque lié à  un comportement individuel (la consommation de cannabis), alors que la conclusion globale de l’étude est que « le style de vie d’un individu a très peu d’impact sur la morphologie des spermatozoïdes ». Cette conclusion est importante : la fertilité humaine au sens large est en déclin rapide dans de nombreux pays et diverses communautés scientifiques (endocrinologues, toxicologues, épidémiologistes, etc.) sont engagées dans la recherche des principales causes de cette tendance.

Selon le rapport des Nations unies (OMS/UNEP) de 2013 sur les perturbateurs endocriniens, qui fait autorité, le sperme de 20 % à  40 % des jeunes hommes de certains pays (Danemark, Finlande, Allemagne, Norvège et Suède) est désormais au-dessous du seuil de fertilité. L’expertise collective OMS/UNEP pointe la responsabilité possible des perturbateurs endocriniens (pesticides, bisphénols, plastifiants, solvants, cosmétiques, etc.) mais précise que « la question demeure controversée ».

Une grande étude sur la fertilité des Français, conduite par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et publiée en février, a depuis contribué à  pointer un peu plus ces expositions environnementales. En échouant à  mettre en évidence un lien fort entre différents éléments du style de vie et la qualité du sperme, les travaux menés par M. Pacey et ses coauteurs tendent aussi, en creux, à  renforcer la suspicion autour des perturbateurs endocriniens.

Pourquoi un communiqué de presse aussi en décalage avec la conclusion principale de l’étude?
Interrogé par Le Monde, le principal auteur de l'étude, Allan Pacey, dit avoir rédigé le premier jet du communiqué qui a ensuite, selon lui, été adopté par l’ensemble de ses coauteurs. Il assure que le texte n’a pas été soumis aux financeurs de l’étude, parmi lesquels le Conseil européen de l’industrie chimique.  Quant à  une telle mise en avant du cannabis, malgré un effet inférieur à  celui des saisons... « Notre travail s’est concentré sur ce que les hommes pouvaient changer, explique-t-il. Il nous a donc paru approprié de mettre en avant cet aspect dans le titre du communiqué. »

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