Soigner plutôt qu'emprisonner les toxicos: Taubira lance une expérimentation inédite
AFP
MARDI 30 JUIN 2015 17:59 GMT
La ministre de la Justice, Christiane Taubira, a lancé mardi à Bobigny le premier comité de pilotage d'une expérimentation inédite en France qui vise à proposer des activités et des soins plutôt que de la prison à des personnes multirécidivistes toxicomanes ou alcooliques.
Mise en place depuis le 30 mars 2015 au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), cette expérimentation élaborée par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) va durer pendant au moins deux ans et devrait concerner entre 40 et 50 personnes.
Présente au premier comité de pilotage, qui réunissait mardi des acteurs de la police, de la santé, de la justice et du milieu associatif, la garde des Sceaux a salué une expérience "efficace et juste, qui ose poser la question des causes des problèmes et responsabiliser les auteurs".
"L'incarcération a été une solution facile et lâche pendant des années. Le résultat, c'est un taux de récidive qui a triplé en dix ans et une surpopulation carcérale", a-t-elle déclaré, pointant la "grande innovation" de ce dispositif "qui soigne".
Concrètement, le mis en cause, après avoir fait l'objet d'une évaluation approfondie, comparaît devant une chambre correctionnelle spécialisée qui se prononce sur sa culpabilité, ajourne sa peine, et lui propose d'intégrer le dispositif.
Il fait alors l'objet d'un suivi judiciaire, avec des convocations mensuelles devant un juge, et un suivi médico-social strict avec 5 heures d'activités par jour, cinq jours par semaines.
Inédite en France, l'expérimentation s'est inspirée de ce qui se fait au Canada pour lutter contre les conduites addictives donnant lieu à la commission répétée de délits mineurs, tels que des vols pour financer une consommation de drogue ou la conduite d'un véhicule sous l'emprise de l'
alcool ou de stupéfiants.
"Les faits ne sont pas forcément très graves mais ils sont liés à une consommation addictive. Cette démarche aboutit à proposer aux juges une solution différente, nouvelle et vraiment opportune quand on a l'impression d'avoir déjà tout essayé", a présenté Rémy Heitz, président du TGI de Bobigny.
"Aussi importante pour les mis en causes que pour les victimes", elle se donne "les moyens de soutenir ceux qui sont en difficulté", a insisté la procureure de la République de Bobigny Fabienne Klein-Donati.
Dans ce tribunal de Seine-Saint-Denis, "moteur sur les expérimentations", la présidente de la Mildeca, Danièle Jourdain Menninger, a souligné l'importance du "suivi global et intensif pour permettre la prévention de la récidive et la réduction de la problématique addictive".
Selon Marie-Laure Lacroix, coordinatrice santé à l'association Aurore, six personnes ont été ciblées pour l'instant: quatre sont en
sevrage et une est sortie du dispositif.
Ces personnes, qu'elle décrit comme "très abîmées", majoritairement dépendantes à l'
alcool, ont pour la plupart plus de 20 ans de consommation ou de drogue. "Les quatre personnes intégrées ont compté qu'à eux quatre, ils avaient 80 ans d'incarcération", a-t-elle soulevé.
Selon Mme Taubira, une généralisation sur l'ensemble du territoire pourrait être "une question de temps".