20 ans de Traitements de Substitution Opiacée

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filousky homme
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20 ans de Traitements de Substitution Opiacée
Stéphane ROBINET, Strasbourg (67) et Maroussia WILQUIN, Abbeville (80)



Ou plutôt, devrions-nous dire, 20 années d’une politique globale de réduction des risques, incluant enfin,
à  partir du milieu des années 90, la mise à  disposition des MSO (Médicaments de Substitution Opiacée).

1995, et surtout 1996 : l’année où tout a basculé

Effectivement, 1995 restera gravée dans l’histoire de la prise en soin des usagers de drogue, puisque c’est fin mars de cette année que la méthadone obtenait son AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) dans une ambiance propice à  la controverse. Il faut se souvenir qu’à  cette époque les opposants à  ‘la drogue aux drogués’ étaient plus nombreux que les partisans de la méthadone, en particulier dans le milieu spécialisé. Seules, quelques structures s’y étaient préparées ou avaient devancé l’appel en distribuant à  quelques dizaines (de 1972 à  1992, c’est-à -dire pendant 20 ans !), puis quelques centaines jusqu’en 1994, des flacons de méthadone produits par l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, avant l’AMM du 31 mars 1995.

Le coup de grâce aux opposants des TSO fut sans conteste donné en février 1996, à  l’occasion de la
mise sur le marché de Subutex®, buprénoprhine haut dosage, qui succédait à  quelques années de
prescription de Temgésic® (buprénorphine dosée à  0,2 mg) par des médecins généralistes militants (et
précurseurs) et de délivrance par des pharmaciens d’officine aventureux.

Il y a donc 20 ans, la France rejoignait les pays voisins qui nous avaient devancés de quelques années,
voire de quelques décennies. La Suisse, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Espagne, l’Italie nous avaient
effectivement précédé dans cette aventure, sans parler de l’Australie et bien sûr des Etats-Unis, même si
outre-Atlantique, la situation variait (et varie encore) d’un état à  l’autre.

Un déséquilibre entre la méthadone et le Subutex©…

Il faut aussi se souvenir que la France faisait figure d’exception en mettant sur le marché Subutex®
(première mondiale) et en permettant la prescription d’emblée et sans difficulté par des médecins de
ville. Alors que le seul médicament de substitution validé jusqu’alors, le gold-standard en quelque sorte,
était la méthadone.
Pas étonnant donc que la diffusion de Subutex® fut très rapide. Presque 80 000 patients allaient en
effet en bénéficier dès 2000
, soit 5 ans après sa mise à  disposition. Ce qui a réellement contribué à 
changer la donne en matière de santé des usagers drogue.
Les réticences du milieu spécialisé, le manque de structures et quelques pratiques de sélection des
patients allaient contribuer à  ce que la marche soit plus lente pour la diffusion de la méthadone. A peine,
10 000 patients début 2000.


Cet écart dans la diffusion des 2 MSO (1 patient sous méthadone pour 8 sous Subutex®) fut
suffisamment important pour qu’une série de mesure voient le jour :
- La nomination par Bernard Kouchner d’une mission visant à  évaluer l’accès à  la méthadone en France, confiée à  William Lowenstein, Jean-François Bloch-Lainé, Marie-Josée Augé-Caumon et Alain Morel. Elle rendit ses conclusions au début des années 2000.
- L’élargissement de la primo-prescription de méthadone aux médecins hospitaliers en 2002, permettant à  ceux qui exerçaient dans les services d’addictologie et les équipes de liaison (créés quelques années plus tôt) de mettre en place des traitements par la méthadone. Les médecins des prisons purent faire de même.


Il s’est largement résorbé depuis avec aujourd’hui 1 patient sous méthadone pour 2 sous buprénorphine
(Subutex®, génériques et dosages intermédiaires disponibles depuis quelques années).

Pour autant, selon le département ou le bassin de population dans lequel se trouve un usager demandeur
d’un traitement par la méthadone, son niveau d’accès porte les stigmates de ce passé.

Certains départements sont sous-équipés en structures spécialisées ou en médecins généralistes
impliqués pour prendre des relais. Dans d’autres, certaines structures ont encore des pratiques de « hautseuil
d’accès » et/ou des délais de mise en place des traitements d’un autre âge, rédhibitoires pour les
prétendants. Il n’est donc pas toujours aussi aisé d’avoir accès à  un traitement par la méthadone
que par la buprénorphine.

Nous pensons que le choix d’un traitement devrait porter d’abord sur le désir d’en bénéficier (c’est
particulièrement vrai en addictologie), sachant que, dans la plupart des cas, les usagers ont déjà  essayé
les différents médicaments. Un accès inégal aux différents MSO, comme c’est le cas dans beaucoup de
pays, France y compris, fausse la donne. Le respect de ce choix conditionne l’adhésion au traitement et
donc son efficacité (maintien dans le soin, réduction du risque d’arrêt prématuré, rechute…).

Et surtout, il faut adopter une stratégie globale que nous défendons depuis longtemps : La Réduction
des Risques
(et des dommages, comme il convient de dire désormais), non pas comme stratégie
accessoire, mais comme principe fédérateur guidant nos pratiques en addictologie.

Pour les MSO, elle consiste en premier lieu à  donner le meilleur accès aux traitements de substitution :
- En ne retardant pas inutilement la mise en place du médicament de substitution opiacée, sous
prétexte d’analyser la demande, d’évaluer la motivation ou de mettre en place un suivi global (tout
ceci pouvant être fait une fois le médicament prescrit, sans dommages pour le patient)
- En ayant pour les traitements de substitution et la prescription des médicaments des exigences
de qualité
que l’on applique généralement dans d’autres domaines thérapeutiques :
- avoir les connaissances pharmacologiques nécessaires et maitriser les interactions médicamenteuses,
- rechercher une posologie strictement individualisée aux besoins des patients et non aux croyances des soignants ou à  leurs craintes infondées, comme c’est parfois le cas. Lors de l’initiation d’un MSO, il faut respecter les règles de titration (comme pour la prescription de tout morphinique dans la douleur) pour éviter le risque de surdosage lors des premières semaines. C’est un peu plus vrai pour la méthadone - agoniste puissant - que pour la buprénorphine – agoniste partiel et antagoniste des récepteurs opiacés. De ce fait, de nombreuses recommandations ont déjà  été produites depuis plusieurs années et nous pouvons les résumer ici par « commencer bas et augmenter doucement ».

Cette stratégie permet d’éviter le risque d’overdose en phase d’initiation,
- prendre en charge les comorbidités somatiques, psychiatriques ou sociales qui ont un impact considérable sur le
traitement et le risque d’échec de celui-ci,
- éviter toute approche dogmatique influencée là -aussi par des croyances quand il s’agit de durée et d’arrêt de
traitement (les études se chargeant de nous rappeler le risque de surmortalité lors de l’arrêt des traitements de
substitution opiacée),
- distiller des conseils à  tous les moments du suivi du patient en matière de réduction des risques liés à  l’usage de
toutes les substances psychoactives, qu’elles soient licites (tabac, alcool, médicaments antalgiques, benzodiazépines)
ou illicites,
- accepter l’ambivalence des usagers, pas toujours prêts, notamment en début de prise en soins, d’adhérer aux
attentes des soignants (arrêt des consommations illicites, prise irrégulière du MSO, suivi psycho-social décousu…)
- remettre en cause ses propres pratiques quand elles échouent ou ne rencontrent pas l’adhésion, plutôt que d’en
attribuer systématiquement les échecs aux patients (pas prêts, pas motivés…).


Méthadone ou buprénorphine, pas de consensus sur les indications préférentielles
Et enfin, force est de constater que la réflexion sur les indications préférentielles des deux modalités de
traitement, méthadone ou buprénorphine, ne peut toujours pas s’appuyer sur des éléments
bibliographiques, quasiment inexistants sur le sujet. Les conférences de consensus dans les pays où les
deux traitements sont utilisés n’abordent pas le sujet, y compris en France.
6
La seule publication officielle qui aborde clairement la question est l’avis de la Commission de
Transparence du 16 avril 2008 à  propos de Suboxone®. Au chapitre « Place dans la stratégie
thérapeutique », on peut lire :
Actuellement, les différences de règles de prescription et les disparités dans l’offre de soins influent encore
beaucoup sur le choix du médicament de substitution aux opiacés par les patients et les prescripteurs. Cependant,
la méthadone serait plus particulièrement adaptée en cas de :
- dépendance sévère,
- difficultés à  renoncer à  l’injection,
- comorbidité psychiatrique,
- polyconsommation (alcool, BZD, cocaïne, etc.),
- situation de grande précarité sociale,
- patients pour lesquels un traitement antalgique morphinique est nécessaire.


Années 2010, l’arrivée de Suboxone®

Le renvoi à  cet avis de la HAS nous permet d’aborder la question de Suboxone®. Ce médicament que
nous avions qualifié de façon un peu humoristique de ‘flop des années 2010’ dans un édito de 2014 n’a
pas trouvé sa place. Malgré des moyens promotionnels et marketing considérables, Suboxone® n’a pas
rencontré son public, tant auprès des patients qu’auprès des médecins. En France en tout cas, en 2015, la
place de ce médicament reste anecdotique et il n’est pas rentré dans l’histoire des TSO,

contrairement à  ses prédécesseurs, méthadone et Subutex®.

Il faut dire que le principe de base, association d’un agoniste et d’un antagoniste des récepteurs opiacés
avec des séquences d’absorption variables en fonction du mode d’administration (!), avait de quoi nous
laisser perplexes. En tous cas, la résolution du problème de l’injection par cette ‘mixture’
pharmaceutique nous a paru d’emblée aventureux. Nous avions été les premiers à  le dire, très tôt, parfois
sous les critiques d’une partie du ‘milieu’, proche de la firme.

Là  aussi, c’est le choix des usagers et futurs patients, de mieux en mieux informés notamment par
leurs associations, qui a conditionné, plus que les attentes de la firme et de certains médecins
‘convaincus’, la diffusion restreinte de ce médicament. C’est une leçon à  retenir pour ceux qui
soutiennent aveuglément les efforts d’une firme dans sa conquête de parts de marché, sans tenir compte
des attentes des patients et des analyses indépendantes sur l’intérêt des médicaments (avis HAS,
recommandation des commissions d’experts [exemple, l’avis de la commission T2RA sur Suboxone®
qui a tué dans l’œuf le succès de ce médicament], analyse des revues indépendantes [Prescrire] et les
remontées d’information des associations de patients ou groupes d’auto-support).

Perspectives

Après ces 20 années pas toujours tranquilles, nous devons continuer de réfléchir à  tous les aspects
relatifs et autour des traitements de substitution. Le sujet est donc loin d’être clos.
- La durée et l’arrêt des TSO, quand, comment et avec quelles précautions ? 20 ans après la mise à  disposition de
ces traitements, il est légitime que la question se pose mais ce ne doit pas être une obsession.
- Les alternatives possibles, notamment les sulfates de morphine et, pourquoi pas, l’héroïne médicalisée ? 20 ans de méthadone et de buprénorphine mais tout autant de Skenan®, dans un cadre médico-légal acrobatique et stigmatisant pour les quelques milliers d’usagers concernés comme pour les médecins prescripteurs. Le sujet Skenan®-MSO est au point mort, c’est le moins qu’on puisse dire !
- La burpénorphine IV. Faute de réflexion sur le sujet précédent (héroïne injectable), il semblerait que celui-ci avance. 20 ans en effet qu’une partie des usagers s’injecte leur Subutex® avec des risques évidents pour leur santé.

C’est encore et toujours de réduction des risques qu’il s’agit, en mettant à  leur disposition dans un cadre médical, un médicament injectable à  risques limités en cas d’injection et c’est une avancée remarquable. Mais on ne règlera pas,avec la buprénorphine IV, le problème des injecteurs de sulfate de morphine (ou d’héroïne). Cette nouvelle offre s’adressera principalement aux injecteurs actuels de buprénorphine, ce qui est déjà  très bien, puisqu’ils se comptent en milliers !
- L’élargissement de la primo-prescription de méthadone par les médecins généralistes, dont on parle depuis la
fameuse Mission Kouchner (évoquée ci-avant). Les plus optimistes l’annoncent pour le début de l’année prochaine. D’autres, plus sceptiques, pensent qu’elle n’arrivera jamais. A l’heure où vous lirez ces lignes, souhaitons que les médecins généralistes qui peuvent depuis 20 ans renouveler ‘à  vie’ des prescriptions de méthadone, en modifier la posologie, arrêter le traitement, pourront aussi initier la méthadone à  un patient qui en est demandeur. Mais avant cela, il serait logique que les médecins généralistes qui suivent des patients sous sirop de méthadone puissent leur prescrire les gélules sans passer par un centre de soins ou un service spécialisé !


Pour finir, cet article est l’occasion de saluer les acteurs concernés par cette histoire des TSO.

Les médecins de ville. Sans les médecins généralistes, il n'y aurait pas aujourd'hui plus de 150 000
usagers dans le système de soins, dont près de 3/4 sont suivis par ces derniers. Ils sont présents au début
des prises en soin (avec la prescription de buprénorphine haut dosage) et plus tard, dans le cadre des
« relais méthadone », sans lesquels les centres et services spécialisés seraient saturés.

Les pharmaciens d'officine qui, pour la moitié d'entre eux, délivrent des TSO et souvent aussi du
matériel de RDR (Stéribox® notamment). Ils délivrent près de 90% des MSO vendus en France. Même
s'il existe toujours quelques rares bassins de population où il est difficile de trouver un pharmacien, ils se
sont globalement plus investis que les médecins généralistes (1 sur 2 pour les pharmaciens contre 1 sur
10 pour les MG). Pour faire court, même si on parle toujours du 'problème des pharmaciens', c'est
globalement plus facile de trouver un pharmacien qui délivre un MSO qu'un médecin qui en
prescrit...
Sur ce sujet, les pharmaciens ont fait l’objet d’une critique dans un article de Libération le 28
décembre 2015 qui nous semble particulièrement injustifiée.

Le milieu spécialisé qui a globalement fait évoluer ses pratiques favorisant un accès plus rapide au
traitement de substitution, plus de RDR et des pratiques de relais et de collaboration avec la ville plus
fréquentes. Il y a là  aussi des poches de résistance, avec des structures qui ont encore des pratiques
inadaptées et d’un autre âge, mais l'évolution a bien eu lieu.

Les Autorités de Santé
qui, à  leur rythme bien sûr (pas assez rapide pour certains), ont fait bouger les
lignes en adaptant les encadrements législatifs et recommandations de bonne pratique.
Les Associations de patients, d’auto-support, qui elles-aussi ont participé et accompagner l’évolution
de la prise en soins de ceux qu’elles représentent.

Tout ceci a finalement contribué à  faire que la France a clairement rattrapé le retard qu’elle avait
dans les années 90
. Elle apparait même aux yeux d’observateurs de certains pays comme ayant une
accessibilité aux MSO et aux dispositifs de RDR bien supérieure à  beaucoup de pays.

Mais il reste du chemin à  faire et, en tant qu’observateurs attentifs et désintéressés (intéressés par les
besoins et attentes des usagers mais sourds aux intérêts des firmes), nous tenterons comme nous le
faisons depuis des années d’éclairer ce chemin, impassibles face aux critiques dont nous faisons
régulièrement l’objet par des professionnels du ‘milieu’ qui envient notre succès d’audience auquel,
vous lecteurs du Flyer, vous contribuez.

Les auteurs, membres de la rédaction du Flyer, ne déclarent aucun lien d’intérêt dans le cadre de cet
article avec les firmes qui commercialisent les médicaments cités dans cet article.

Source : Leflyer


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