Station de ski : confession d'un dealer

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ElSabio homme
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« Tout le monde en vit, moi le premier, mais on parle d’un danger grave avec ces produits »




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Intervention de la gendarmerie, à Val Thorens, jeudi soir. Photo Alberto Campi. We report




Saisonnier depuis vingt ans et dealer en station, Maktoul raconte qui sont les consommateurs, les revendeurs et à quel point les gendarmes sont démunis.


Avec près de vingt ans de saisons au compteur, Maktoul (1) fait figure de doyen dans un milieu où le turnover prédomine. Le quadra peut passer la nuit à raconter l’envers du décor touristique en altitude. Ce fumeur de joints, qui se voit comme un «amateur éclairé» des psychotropes, s’est essayé au deal dans les stations de la Tarentaise, où il travaille depuis plusieurs années. Il a accepté de livrer à Libération les ficelles du business.



« Il y a les vacanciers, qui viennent à la montagne entre copains ou avec les comités d’entreprise. Ils apportent leur conso, il n’y a pas de deal organisé. Ils viennent d’abord avec leurs skis, mais aussi pour se lâcher. Dès le début d’après-midi, certains commencent à consommer et avoir un comportement bizarre sur les pistes. A l’après-ski, ils sont déjà complètement chargés, alors qu’il n’est pas encore 19 heures.

Il y a les saisonniers, qui viennent aussi avec leur conso. Les novices bénéficient la première année de la conso des autres, puis ils s’organisent les années suivantes. Certains viennent avec l’idée de revendre. Ce sont des gens discrets. Tu ne les entends jamais au travail, ils font les saisons pour gagner un peu plus d’argent grâce au deal.

Pour venir avec beaucoup de matos, il faut beaucoup d’argent. La question, c’est comment faire pour réunir assez pour acheter un kilo d’herbe, à disons 4 000 euros ? Comment tu fais sur une saison de quatre ou cinq mois, avec un salaire de 1 500 euros par mois, pour dégager 4 000 euros rapidement ? Pour te faire connaître, tu t’affiches, tu vas en soirée, tu paies des verres en boîte, qui sont hors de prix. Mettons que tu arrives à choper 600 grammes d’herbe, à 5 euros le gramme, ça te coûte 3 000 euros, que tu revends 5 000 à 6 000 euros. Sur toute la saison, ça ne fait que 500 euros par mois en plus de ton salaire. Ça permet de payer ta conso si tu es fumeur, d’améliorer ta saison sans trop manger ton salaire. Ce profil, c’est le grade au-dessus du simple consommateur. Il est organisé, mais il ne s’appuie pas sur un réseau fiable et il finira par se faire balancer.

Ensuite, tu as le pro : le gars qui vient en station, mais ne travaille pas. Il loue un logement qui sert de nourrice, il peut en changer tous les quinze jours ou il débauche d’autres personnes qui arrondissent leurs fins de mois pour faire nourrice. Ça peut être un ancien saisonnier qui sait comment fonctionne le deal. Il redescend régulièrement pour se réapprovisionner dans les points de vente type cités. Aujourd’hui, les mecs comme ça vendent de la coke en plus de l’herbe, c’est plus rentable. Eux se font de la maille. Ils sortent peu, personne ne les connaît, ils trouvent sur place des fusibles qui vendent pour eux, ils recrutent dans la station un ou deux saisonniers de confiance. Rien à voir avec les gars de cité qui viennent en vacances en espérant refourguer des trucs mais qui ne savent pas comment approcher les gens.

« Créer la pénurie »

Le marché des saisonniers est particulier : du 1er décembre aux fêtes, tout le monde a encore sa conso. Le premier salaire tombe début janvier, les gens achètent leur forfait pour la saison, ce n’est pas là qu’il faut attaquer. La troisième semaine de janvier, les pourboires tombent : pour être sympas, les chefs de service les versent une semaine avant les salaires. Tout le monde commence à être en pénurie, tu balances le premier deal jusqu’à la fin de la première semaine de février. Tu pars à 10 euros le gramme d’herbe, contre 6 ou 7 euros dans la vallée : tu es en station, il faut l’amener, c’est plus cher, normal. Le salaire tombe début février, tout le monde crame tout. Tu disparais, tu attends la troisième semaine de février. Quand tu réapparais la troisième semaine de février, tu passes à 12 ou 13 euros le gramme. Les gens te font confiance, ça se raréfie. Et puis, 50 euros, c’est quoi ? Deux verres en club ? Tu fais toujours des enveloppes à 50 euros mais tu diminues la quantité à l’intérieur, tu passes de 5 à 4 grammes. Fin de la première semaine de mars, tu disparais. Quand tu reviens, la troisième semaine de mars, tu te régales. Il n’y a plus rien du tout, tu peux passer à 17 euros le gramme et les saisonniers s’en foutent : c’est les dernières soirées de la saison, ils ont vécu avec leurs pourboires, ils ont acheté leur nouveau snowboard, ils veulent se faire plaisir. Il faut savoir identifier le moment où l’argent monte dans la saison et créer la pénurie au bon moment. Pour justifier ça, il faut toujours avoir un storytelling, genre l’herbe, elle vient d’un gars d’Ardèche qui ne vient qu’une fois par mois…

Même chose avec la coke, sauf que ce n’est pas 2 000 ou 3 000 euros que tu te fais, mais au moins 10 000 en une saison. Dans la vallée, le gramme tourne à 70 euros. Mais les soirs de fête, en station, il peut partir à 100, 110, voire 120 euros. Il y a dix ans, une minorité des employés des hôtels en prenaient. Aujourd’hui, c’est au moins la moitié, ça s’est tellement démocratisé. Tu imagines le business, dans un hôtel où tu as 100 employés ?

Enfin, il y a le gars que les flics ne cherchent jamais. Un local, qui vit à l’année entre la station et la vallée. Pour acheter le produit de base, il faut du cash. Et ici, qui travaille beaucoup au black ? Les artisans. Ils connaissent les gens, les lieux, les patrons des boîtes comme les videurs. Ceux qui lancent un deal ont déjà été arrêtés pour conso ou trafic plus jeunes, ils connaissent les dealers dans la vallée et vont à la rencontre des saisonniers l’hiver.

Le mieux pour eux, ce n’est pas d’avoir vingt clients, mais de se caler avec les chefs de service des établissements, qui revendent ensuite à leurs gars. Les flics arrêtent les bus de vacanciers, les voitures avec quatre rebeus dedans, mais jamais les camionnettes de plombier, de charpentier, qui trimballent des kilos de matos. Tu peux planquer ce que tu veux dans des pots de peinture… Quand tu fais un chantier, tu viens tous les jours, tu sais quand les hôtels sont pleins, quand les Anglais arrivent et cherchent, quand les gendarmes sont tendus. Ce profil est vraiment minoritaire, c’est plutôt des pères de famille, mais ce sont les plus malins, ceux qui se font le plus d’argent en prenant le moins de risques. Et personne n’a intérêt à les balancer : si un saisonnier parle trop sur un Savoyard, il est cramé pour la saison d’après.

Les gendarmes me semblent réellement démunis. Ils sont de bonne volonté, mais les résultats sont minimes : le principe des gendarmeries éphémères et des missions temporaires, ça n’a pas de sens. S’ils voulaient vraiment connaître l’environnement, ils seraient là à l’année, ils verraient l’évolution des populations et donc comment se mettent en place les marchés. Ils viennent parfois avec les chiens, mais toujours tard dans la saison, en mars-avril. A cette époque, avec de la chance, ils vont prendre le saisonnier en soirée. Le pro saura déjà par ses vendeurs que les gendarmes sont là et l’artisan n’est même pas là le soir. Quand ils font des perquisitions, tous les saisonniers sont au courant en quinze minutes, le temps qu’ils arrivent, les chambres sont vidées.

Parmi les saisonniers, les plus gros consommateurs sont ceux qui dégagent le plus de cash : barmans, serveurs et voituriers, qui marchent aux pourboires. Même s’ils le voulaient, c’est difficile pour les chauffeurs de se tenir à distance : c’est à eux qu’on demande où on peut finir la soirée et du coup, où on peut trouver quelque chose. Ils sont la meilleure agence de renseignement, et les renseignements, ça a un prix.

« Plus de mémoire »

Depuis trois ou quatre ans, avec les collègues, on a constaté la montée en force des drogues de synthèse, des produits achetés sur Internet qui attirent une population jeune. Mélangés au «binge drinking», ils ont des effets catastrophiques. Ça va directement au cerveau. J’ai vu des saisonniers habitués de la drogue transformés par ces produits. La population de nuit a changé en station. Avant, passé 4 heures du matin, tu n’avais plus personne. Là, j’ai commencé à en voir à 5 heures-6 heures du matin, ils avancent, ils te parlent, mais ils n’ont plus de mémoire récente. Ils parlent avec difficulté leur langue maternelle, ce sont surtout des jeunes Hollandais et Anglais. Tu leur dis qu’ils ne peuvent pas aller par là, ce sont les pistes de ski, il fait froid, ils risquent de se tuer. Ils te disent : "C’est pas grave, mes problèmes vont finir." Tu sens qu’un mécanisme est perturbé en profondeur dans leur cerveau.

On va au-devant de graves problèmes en continuant la prohibition. Il faut que les gens puissent tester leurs produits, comme dans les rave parties. Même mes potes plus vieux, ils aimeraient bien tester leur coke. Mais ce serait reconnaître qu’il y a de la drogue, beaucoup, en station. Tout le monde en vit, moi le premier, mais on parle d’un danger grave avec ces produits. Il faut quoi ? Les premières overdoses ? Ça coûterait beaucoup moins cher que des tests à l’hôpital. Et si les consommateurs voient ce qu’ils prennent, si on leur montre que c’est de la merde, ils ne retourneront pas voir leur dealer. Il ne faut pas croire, on veut tous de la qualité.
»

(1) Le prénom a été modifié.


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Source : Libération
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« La liberté des autres, étend la mienne à l'infini ».
Mikhaïl Bakounine

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Freux femme
Banni
champi vert0champijaune0cxhampi rouge0
Inscrit le 29 Oct 2017
81 messages
C'est à la mode les confessions de dealer en ce moment…
Merci pour l'article.

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