Lettre à  M. le législateur de la loi sur les stupéfiants (Artaud 1925)

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loulou reed
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Lettre à  M. le législateur de la loi sur les stupéfiants

Monsieur le législateur,

Monsieur le législateur de la loi de 1916, agrémentée du décret de juillet 1917 sur les stupéfiants, tu es un con.

Ta loi ne sert qu'à  embêter la pharmacie mondiale sans profit pour l'étiage toxicomanique de la nation parce que :

1° Le nombre des toxicomanes qui s'approvisionnent chez le pharmacien est infime;

2° Les vrais toxicomanes ne s'approvisionnent pas chez le pharmacien;

3° Les toxicomanes qui s'approvisionnent chez le pharmacien sont tous des malades;

4° Le nombre des toxicomanes malades est infime par rapport à  celui des toxicomanes voluptueux;

5° Les restrictions pharmaceutiques de la drogue ne gêneront jamais les toxicomanes voluptueux et organisés;

6° Il y aura toujours des fraudeurs;

7° Il y aura toujours des toxicomanes par vice de forme, par passion;

8° Les toxicomanes malades ont sur la société un droit imprescriptible, qui est celui qu'on leur foute la paix.

C'est avant tout une question de conscience.

La loi sur les stupéfiants met entre les mains de l'inspecteur-usurpateur de la santé publique le droit de disposer de la douleur des hommes: c'est une prétention singulière de la médecine moderne que de vouloir dicter ses devoirs à  la conscience de chacun.

Tous les bêlements de la charte officielle sont sans pouvoir d'action contre ce fait de conscience: à  savoir, que, plus encore que la mort, je suis le maître de ma douleur. Tout homme est juge, et juge exclusif, de la quantité de douleur physique, ou encore de la vacuité mentale qu'il peut honnêtement supporter.

Lucidité ou non lucidité, il y a une lucidité que nulle maladie ne m'enlèvera jamais, c'est celle qui me dicte le sentiment de ma vie physique. Et si j'ai perdu ma lucidité, la médecine n'a qu'une chose à  faire, c'est de me donner les substances qui me permettent de recouvrer l'usage de cette lucidité.

Messieurs les dictateurs de l'école pharmaceutique de France, vous êtes des cuistres rognés: il y a une chose que vous devriez mieux mesurer; c'est que l'opium est cette imprescriptible et impérieuse substance qui permet de rentrer dans la vie de leur âme à  ceux qui ont eu le malheur de l'avoir perdue.

Il y a un mal contre lequel l'opium est souverain et ce mal s'appelle l'Angoisse, dans sa forme mentale, médicale, physiologique, logique ou pharmaceutique, comme vous voudrez.

L'Angoisse qui fait les fous.

L'Angoisse qui fait les suicidés.

L'Angoisse qui fait les damnés.

L'Angoisse que la médecine ne connaît pas.

L'Angoisse que votre docteur n'entend pas.

L'Angoisse qui lèse la vie.

L'Angoisse qui pince la corde ombilicale de la vie.

Par votre loi inique vous mettez entre les mains de gens en qui je n'ai aucune espèce de confiance, cons en médecine, pharmaciens en fumier, juges en mal-façon, docteurs, sages-femmes, inspecteurs-doctoraux, le droit le disposer de mon angoisse, d'une angoisse en moi aussi fine que les aiguilles de toutes les boussoles de l'enfer.

Tremblements du corps ou de l'âme, il n'existe pas de sismographe humain qui permette à  qui me regarde d'arriver à  une évaluation de ma douleur précise, de celle, foudroyante, de mon esprit!

Toute la science hasardeuse des hommes n'est pas supérieure à  la connaissance immédiate que je puis avoir de mon être. Je suis seul juge de ce qui est en moi.

Rentrez dans vos greniers, médicales punaises, et toi aussi, Monsieur le Legislateur Moutonnier, ce n'est pas par amour des hommes que tu délires, c'est par tradition d'imbécillité. Ton ignorance de ce que c'est qu'un homme n'a d'égale que ta sottise à  la limiter.

Je te souhaite que ta loi retombe sur ton père, ta mère, ta femme, tes enfants, et toute ta postérité. Et maintenant avale ta loi.

Antonin Artaud

[in L'ombilic des Limbes (1925). NRF, Poésie/Gallimard, 1993]

Dernière modification par loulou reed (28 décembre 2009 à  14:55)


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bighorsse femme
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et l'angoisse qui
- ronge les viscères
- tue l'enfant à  peine né dans sa conscience
- fait taire les pensées droites et pures , mal venues dans ce monde des lois
- diminue l"'homme dans ses aspirations, la loi ne voulant pas qu'on sorte de son cadre
étroit et conçu pour des pairs égaux socialement, riches à  souhaits
et ne priant pas les même dieux que toi

-homme qui aime les opiacés, n'oublie jamais que ton plaisir
te sera repris et qu'on te le fera payer
bien plus chèrement que si tu avais commis n'importe quelle atrocité
car celle ci font partie de notre conception de l'homme dominant

-homme opiacé, ta mort est programmé
car tu as enfreint la loi la plus défendue en ce bas monde :
le droit au plaisir se doit d'obéir à  nos codes
or l'opium est par nature rebelle et donne des rêves d'anarchisme
la liberté que te confère l'opium est un acte jugé terroriste
et donc te mènera à  la mort, nous nous y attellerons
grâce aux virus obéissants et se glissant là  où on les met

homme opiacé
saches que l'état sera toujours plus fort que toi
tes rêves sont nos cauchemars

Dernière modification par bighorsse (28 décembre 2009 à  18:49)


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Alain Will homme
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Jolie signature Loulou, encore fallait-il penser à  cliquer dessus wink

Je ressors cette phrase du texte d'Antonin Artaud :

"Toute la science hasardeuse des hommes n'est pas supérieure à  la connaissance immédiate que je puis avoir de mon être. Je suis seul juge de ce qui est en moi."

Bien vrai ça...

Il m'arrive de trouver que la vie est une horrible plaisanterie. F. Sagan.

Je vois dans la révolution la revanche du faible sur le fort. La liberté est un mot que j'ai longtemps chéri. Sade (Le marquis de)

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loulou reed
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916 messages
Cest un texte qui date de 1925 d'Antonin Artaud, poète surréaliste majeur. C'est un des textes fondateurs de la résistance à  la guerre à  la drogue, cette guerre qui a fait le plus de victimes mondiales au 20e siècle et qui dure encore... elle fêtera bientôt ses cent ans... une guerre de cent ans qui n'a que trop duré.

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behrthram
.
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ahhhh ce cher Antonin....

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loulou reed
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Une autre phrase d'Artaud: « J'ai pour me guérir du jugement des autres, toute la distance qui me sépare de moi-même. »

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bighorsse femme
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quelle clairevoyance dans cette phrase! mais aussi quel hermétisme apparent!

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loulou reed
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big, dans la poésie rien n'est donné d'avance, sinon quel intérêt? Et particulièrement dans le surréalisme, il faut aller plus loin que la signification superficielle, immédiate. La signification, il faut aller la chercher dans les profondeurs de la psyché, dans les rêves, dans cette part de nous qui nous fait autres que de simples humains incarnés et mortels wink

Dernière modification par loulou reed (28 décembre 2009 à  23:13)


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xetubus homme
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cette lettre au legislateur est une oeuvre d'art.

"Le monde ne sera pas detruit par ceux
qui font le mal, mais par ceux qui les
regardent sans rien faire" - Albert Einstein.

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loulou reed
Psycho sénior
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papajumba a écrit

Salut Loulou. Précieux document pour ceux que je représente. Il a vocation de nous réconcilier avec les surréalistes. Je ne parle pas en tant que forumer, mais en tant que représentant du syndicat des élèves qui ont été traumatisés par la correction de leurs commentaires composés des poèmes surréalistes par des profs qui ne prenaient pas de drogues...

Tu pourrais m'en dire un peu plus, en MP ou ici, papajumb' ? Ca m'intéresse d'autant plus que quand j'étais au lycée, Baudelaire, poète psychotropé s'il en fut, a été largement étudié.
Evidemment les profs n'allaient pas jusqu'à  nous proposer d'étudier "Du Vin et Du Haschich"...
Mais ce poète est-il encore proposé au lycée de nos jours? Ou le politiquement correct a-t-il fait tâche jusque sur les bancs du lycée?


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bighorsse femme
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loulou
oui je sais bien que dans la poesie rien n'est donné d'avance! non, je pensais plutot à  la nature même de la psychologie d'artaud! passionnant!

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loulou reed
Psycho sénior
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papajumba, tu ne veux pas m'en dire plus? (cf mon post juste au-dessus). En MP si tu veux... ça m'intéresse vraiment cette histoire wink

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loulou reed
Psycho sénior
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Ah j'avais pas compris, je croyais que tu représentais des élèves d'aujourd'hui qui avaient eu des problèmes avec leur correction de copies lol

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loulou reed
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Du texte, c'est cette phrase que je préfère: "Par votre loi inique vous mettez entre les mains de gens en qui je n'ai aucune espèce de confiance, cons en médecine, pharmaciens en fumier, juges en mal-façon"

Si vrai lol

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bighorsse femme
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papaj
je ne comprends pas de quoi tu parles:
"précieux document pour ceux que je représente." ? comme loulou, j'ai pensé que tu bossais ou milite encore à  l'école? ou alors c'etait avant? enfin sans etre indiscrète, hein?

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Alain Will homme
ancien Vice-Président
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Salut Papajumba,

C'est vrai que repenser au passé c'est parfois douloureux. Il y a les bons souvenirs et les mauvais. Ce qu'on a fait et ce qu'on aurait pu faire ou voulu faire. Mais la vie n'est pas toujours tendre même avec ceux qui ne lui sont jamais "rentrés dedans".

Vouloir en finir, vouloir arrêter la souffrance c'est un sentiment que je connais trop bien ; il m'a accompagné moi aussi pendant des années et ne m'a jamais quitté. Je ne me sens retenu à  la vie que par un fil, un fil tout mince. Et puis parfois il y a des signes, des gens, des paroles qui se manifestent et je m'y accroche, je m'y raccroche. Et je tiens, je fais tenir. Parler de ça, de l'envie d'en finir, ça fait du bien aussi, je le sais ; même si on ne sait plus trop sur quel pied jongler, danser, on se retrouve avec notre vécu et notre vie pas toujours facile à  assumer. Et puis aussi avec l'avenir. Qu'il faut construire ; qu'il faut essayer d'aperçevoir parce que bien souvent on ne le voit pas.

Alors souvent c'est vrai que parler c'est bénéfique, si on tombe sur quelqu'un qui peut écouter et comprendre ce qu'on ressent, on peut aller un petit peu plus loin et essayer à  deux de voir, d'aperçevoir le lendemain, de l'envisager sous un jour meilleur et on se retrouve mieux armé pour l'affronter, ou mieux dans sa peau pour le vivre.

Je sais qu'être passif devant sa situation, devant sa vie qui défile jour après jour sans que rien de nouveau, rien de positif se concrétise, que rien n'avance, c'est déprimant. Parfois ça permet de faire le point, le bilan, pas toujours rose. Et parfois on trouve des idées, des envies pour continuer, la force de lutter et de se battre ne serait-ce que pour les autres, pour apporter un peu de mieux-être à  ceux qui tendent eux aussi la main. C'est un peu pour ça, à  cause de ça que je continue malgré tout à  vivre.

J'ai l'habitude de dire que je survie, c'est très vrai. Ce n'est pas ce que j'aurai voulu. Mais j'ai appris aussi qu'il y a la souffrance des autres et que je peux faire quelque chose parfois. Alors ça m'aide à  tenir le coup et continuer. J'espère que tu verra bientôt une petite lumière qui te montrera quel chemin tu dois suivre pour continuer de tracer ta route en essayant d'oublier le passé et ses échecs.

Tu as tes enfants et tu es amoureux, tu as beaucoup de chance. Je n'ai personne. Juste mes chats. C'est pas beaucoup mais c'est énorme. Je vais pas me plaindre, on n'est pas là  pour faire un concours de nos souffrances et de notre désarroi ; mais parler fait du bien c'est indéniable. Ca apporte une chaleur qui réconforte le coeur, en tout cas je le ressens ainsi. Et on se sent d'un coup moins seul...

Bon courage à  toi Papajumba, accroches-toi...

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behrthram
.
Inscrit le 21 Nov 2007
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http://nsa03.casimages.com/img/2009/01/04/mini_090104030409406838.jpg

http://nsa03.casimages.com/img/2009/01/04/mini_090104030443481980.jpg

j'ai retrouvé ça dans un vieux numero d'asud (le numero deux.)

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Alain Will homme
ancien Vice-Président
Inscrit le 14 Oct 2008
9618 messages
Un extrait qui me "plaît bien" :

"Nous sommes congénitalement inadaptés, supprimez l'opium, vous ne supprimerez pas le besoin de crime, les cancers de l'âme et du corps...

Vous n'empêcherez pas qu'il y ait des âmes destinées au poison, quel qu'il soit, poison de la morphine, poison de la lecture, poison de l'isolement, poison de l'onanisme... poison de l'anti-sociabilité... Supprimez leur le moyen de folie, elles en inventeront dix mille autres..."

J'aime bien aussi son discours concernant la prohibition et ses effets pervers...

Sacré personnage !

Sa conclusion : "Nous ne nous suicidons pas tout de suite. En attendant qu'on nous foute la paix."

1er janvier 1925... Ca fait 84 ans et il avait 29 ans quand il a écrit ça... Chapeau !

Il m'arrive de trouver que la vie est une horrible plaisanterie. F. Sagan.

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floflo
Psycho junior
Inscrit le 28 Dec 2008
232 messages
Ce texte pourrait être écrit aujourd'hui! je crois que c'est ce qui est le plus désolant.
C'est quand même malheureux que les mentalités n'est pas évoluée ...

Dans la vie, j'ai eu le choix entre l'amour, la drogue et la mort. J'ai choisi les deux premières et c'est la troisième qui m'a choisi...[Jim Morrison]

La réalité c'est l'illusion créée par l'absence de drogues. [Richard Desjardins]

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