Le "nomadisme médical", dernière tentation des patients accros au TramadolAlors que la prescription de cet
opioïde vient d'être encadrée par l'ANSM, certains patients n'hésitent pas à multiplier les consultations pour se procurer le médicament.
Il est de loin l'
opioïde le plus prescrit en France : le
Tramadol, un antalgique utilisé pour traiter les douleurs modérées à sévères, ne pourra bientôt plus être délivré que pour une période maximum de trois mois, au lieu d'un an auparavant.
Cette décision, publiée par l'Agence du médicament (ANSM) mercredi, a notamment pour objectif de limiter les risques du mauvais usage du Tramadol. "Ce médicament, qui fait partie de la famille des
opioïdes, peut engendrer une forte dépendance, mais aussi provoquer la mort par dépression respiratoire en cas de surdose", rappelle à L'Express Nathalie Richard, directrice adjointe des médicaments antalgiques et stupéfiants à l'ANSM. "Désormais, pour renouveler son ordonnance, un patient devra retourner chez un médecin, qui évaluera ou non son besoin de
Tramadol. Cela pourra ainsi éviter les risques de surconsommation, et lui permettre d'être guidé vers des soins adaptés si besoin", souligne-t-elle.
Mais face à ce nouvel encadrement, certains patients déjà dépendants peuvent être tentés de multiplier les consultations médicales et leurs visites en pharmacie, afin de se procurer des doses de Tramadol. Ce processus porte même un nom : le nomadisme médical. "Il ne concerne que certains patients minoritaires", tient à préciser Nathalie Richard. "Mais il existe. C'est également pour cela qu'un certain nombre de pratiques réglementaires sont mises en place". "Réel risque de dépendance""Le
Tramadol est un médicament très efficace dans certains cas, mais il faut s'en méfier", détaille à L'Express Nicolas Authier, pharmacologue et directeur de l'Observatoire Français des médicaments antalgiques (OFMA). Le traitement, censé être de courte durée, agit notamment sur les mêmes récepteurs que la
morphine, appelée "les récepteurs
opiacés".
"Il existe donc un risque réel de dépendance et de surdose", explique le médecin.
Mais le
Tramadol a une deuxième fonction :
il agit également sur les systèmes de la sérotonine et de la noradrénaline, impliqués dans la gestion des humeurs. "Certains patients l'utilisent donc pour son effet anxiolytique, ce qui augmente là aussi le risque de dépendance, ainsi qu'un éventail d'autres effets indésirables, comme les crises d'épilepsie", précise Nicolas Authier. "Au lieu des 4 comprimés quotidiens, il en prenait 18"
Chez certains patients, ce risque de dépendance rapide et intense peut donc entraîner des comportements à risque. Le directeur de l'OFAM prend ainsi l'exemple de l'un de ses patients, victime d'un accident de moto "il y a plus de dix ans". "Soulagé pendant un temps au
Tramadol, il n'a jamais arrêté d'en prendre. Il avait trouvé dans le médicament un autre intérêt que celui de soigner la douleur : cela soignait ses angoisses", raconte le médecin. Le patient développe alors une tolérance au produit, qui l'oblige à pratiquer un nomadisme médical et pharmaceutique toujours plus important.
"Il lui en fallait toujours plus. Il consommait jusqu'à 18 comprimés par jour, au lieu de 4 habituellement. Il a vite dû faire le tour d'autres médecins, et d'autres pharmacies, puis d'Internet, pour se procurer une dose journalière assez importante". Finalement identifié par la sécurité sociale, le patient du Dr Authier se retrouve dans l'obligation de consulter à nouveau, afin de trouver un traitement adapté à ses maux.
"Ce genre de comportement est dangereux à plusieurs niveaux", appuie Nathalie Richard. "Le patient risque un surdosage mortel, mais accumule également chez lui des quantités importantes de médicaments que n'importe qui peut consommer", souligne-t-elle. "C'est aussi pour cela que nous avons décidé de limiter la durée de la prescription : pour inciter un meilleur usage des patients qui se trouvent dépendants, et sensibiliser les médecins prescripteurs".
Responsabilité des médecins et des pharmaciens"Le premier risque de devenir accro à un médicament antalgique, c'est d'obtenir une ordonnance.
La responsabilité du médecin est donc extrêmement importante", abonde Nicolas Authier. "Il doit surveiller le passé du patient, sa vulnérabilité psychique, son anxiété chronique, s'il y a eu des antécédents toxicologiques... C'est ainsi qu'il pourra éventuellement repérer un patient 'nomade'". Une forte responsabilité pèse également sur les pharmaciens, en contact direct avec le patient demandeur.
"Pour les repérer, nous pouvons compter sur le dossier pharmaceutique du malade, auquel nous avons accès grâce à sa carte vitale", explique à L'Express Gilles Bonnefond, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO). "S'il y a eu multiprescription, nous pouvons refuser au patient une délivrance de Tramadol", assure-t-il. Selon Pierre Beguerie, président de la section officine du Conseil de l'ordre des pharmaciens, plus de 38 millions de Français ont déjà ouvert ce dossier pharmaceutique.
Malgré cet ensemble de mesures, "il est impossible de réduire totalement ce type de comportement", nuance néanmoins Nathalie Richard, qui assure "travailler avec tous les professionnels de santé et l'Assurance maladie pour réduire les risques d'abus et de détournement". Entre 2000 et 2017, le nombre d'hospitalisations liées à la consommation des médicaments
opioïdes a presque triplé, selon un rapport de l'ANSM rendu public en février 2019. Le nombre de décès lié à ce type de médicament a, lui, bondi de 146% entre 2000 et 2015, responsable "d'au moins quatre décès par semaine", ajoute le document.
Sources:
https://www.lexpress.fr/actualite/socie … 15183.html
Dernière modification par Mascarpone (18 janvier 2020 à 09:40)