© liberation.fr | 28.06.10 | Eric Favereau
http://www.liberation.fr/societe/010164 … e-attendraSida : la fin de l´épidémie attendraDans un avis que «Libération» s´est procuré, chercheurs et associations dénoncent un plan gouvernemental ignorant les avancées thérapeutiques.
Du jamais vu dans l´histoire du sida. Certes, depuis plus de vingt-cinq ans, les rapports entre pouvoirs publics et acteurs de la lutte contre la maladie ont toujours été complexes, sujets à des sautes d´humeur spectaculaires, mais là c´est inédit. On assiste à un incroyable tir groupé contre «l´indigence» du prochain plan gouvernemental 2010-2014 contre le sida.
Mercredi, le Conseil national du sida (CNS) et la Conférence nationale de santé vont rendre public un avis extrêmement sévère que s´est procuré Libération. «Les autorités ne semblent pas avoir compris qu´on a changé d´époque, y explique le professeur Willy Rozenbaum, président du Conseil national du sida. Nous avons, aujourd´hui, les moyens d´arrêter l´épidémie. Et il ne se passe rien.»
Même charge de Christian Saout, président de la Conférence nationale de santé. «Ce plan est une injure à l´avenir. C´est un copié-collé du précédent, alors que tout a changé.» Point d´orgue de cette colère unanime, ce week-end s´est tenue la convention d´Aides, la plus grosse association de lutte contre le sida. Son président, Bruno Spire, hier plutôt diplomate, s´est radicalisé. «Pendant des mois, on a fait des propositions. Au final, rien. On continue comme avant. Comme s´il ne s´était rien passé.»
Cette fronde a d´autant plus de poids qu´elle n´a cessé de se renforcer. Depuis plus de cinq ans, l´épidémie en Occident, mais aussi dans les pays du Sud, a changé de nature. L´arrivée des traitements (depuis 1996) a bouleversé la prise en charge, car un constat s´est imposé : non seulement les traitements marchent très bien, mais lorsque le séropositif les prend régulièrement, il n´est quasi plus contaminant. Ce qui change totalement le couple prévention-traitement, devenu inséparable. En traitant la maladie, on prévient désormais la contamination.
dépistage. C´est dans ce contexte qu´il y a deux ans le Conseil national du sida a rendu un avis novateur, où il suggérait de changer profondément la politique de dépistage du sida en France, en le développant massivement, et en le sortant du simple cadre des prises de risque. Il y a un an, la Haute Autorité de santé (HAS) - la plus importante instance sanitaire - a surenchéri. Et enfin, il y a six mois, les professeurs Gilles Pialoux et France Lert ont rendu à la ministre de la Santé un rapport sur les nouvelles stratégies de prévention du sida. «Il y a maintenant un consensus total pour un changement de paradigme dans la politique de dépistage», argumente France Lert.
Quel est ce consensus ? L´idée est double : d´abord proposer un dépistage de toute la population, pour toucher les personnes qui sont séropositives et ne le savent pas (elles seraient 40 000 en France). Ce dépistage, nullement obligatoire, serait le fait de généralistes. Aides suggére que des soignants non médecins le pratiquent également.
Second volet, se donner les moyens pour dépister et prendre en charge les groupes à risque, aussi bien les gays que les migrants, ou encore les populations des territoires d´outre-mer, comme la Guadeloupe et surtout la Guyane. Là , l´idée est de prévoir un dépistage tous les ans, et de proposer de nouveaux objets de prévention. Exemples : des prescriptions de traitements en guise de prévention, mais aussi la possibilité de faire des tests rapides avant ou après une prise de risque. Il s´agit d´aller au plus près de la contamination pour la briser. Car, selon toutes les études, l´épidémie peut être cassée en France et épargner au passage quelques centaines de vies par an. Faut-il rappeler que l´on comptabilise autour de 6 000 nouveaux cas chaque année ?
pilotage. Or, le nouveau plan ne prévoit rien de tout cela. On continue comme avant. On évoque certes «une politique de dépistage renforcée», mais pas un mot sur des tests étendus à la population générale. On accumule les lieux communs : «Assurer une mise en œuvre, un suivi et une évaluation efficaces, par une gouvernance et des moyens adaptés.» On parle des agences régionales de santé, sans qu´un pilotage central ne soit prévu. Et il n´y a qu´un simple paragraphe sur le rôle de la France dans la lutte contre le sida dans le monde. «Tout cela est indigent», répète Christian Saout. «Il n´y pas de pilote dans l´avion», insiste Bruno Spire. «Il n´y a rien, c´est du vent», lâche une chercheuse. Visé par ce concert de protestations, le patron de la Direction générale de la santé, le Pr Didier Houssin, qui ne s´est jamais intéressé au sida. Au cabinet de Roselyne Bachelot, il n´y a pas le moindre conseiller d´envergure sur la question. «Les raisons de cette indifférence sont peut-être budgétaires, conclut Bruno Spire, pourtant casser l´épidémie serait plus que rentable à terme.»