I
Comme d’habitude, la vioque affichait un sourire sous les lèvres qui ne se lisait pas sur ses babines. A moitié endormie et affalée dans son fauteuil, fallait que je lui crie dessus pour la réveiller.
« -Eh le tas d'chair, j'ai pris tes médocs !
*la vioque remue du pied*
-Tu sais, je crois qu'ils ont relevé la cuisine de ton traitement. Faut dire que ça ne semblait pas trop marcher, la dernière fois que j’ai vu tes paupières mâcher tes yeux globuleux, c'était y a bien cinq ans. On avait bien ri ce jour-là, j'avais laissé la fenêtre ouverte et tous les pigeons étaient venus te picorer le visage. Malgré ta laideur, tu ne sembles pas être un épouvantail à piafs ! Tu dois plutôt être une bonne grosse boule de friture pour eux, ça doit les aguicher.
*la vioque continue de remuer du pied*
Ne te vexe pas la vioque, hein, tu sais que j’taime bien toi ! Mais depuis cette histoire tu fais ta ministre à plus vouloir me parler, tas d'chair. C’est limite si tu veux encore bien qu’on te garnisse le bocal. Je te l'ai toujours dit, les ulcères sociaux comme toi et moi, faut qu'on se serre les coudes : personne ne veut de nous à l'extérieur de cette turne à part la vermine, les charognes et les bien-pensant qui n'auront qu'à se soulager dans nos cadavres une fois fini. »
La vioque continuait de remuer du pied pendant mon discours. Après tout, elle est bien ravagée même pour une personne de son vieil âge. Les médecins s'égosillaient à nous dire que c'était sûrement le cas le plus obscur qu'ils avaient pu rencontrer dans leur carrière. Moi je ne la trouvais pas si sombre que ça la vioque, elle me faisait bien rire en fait. Incapable de parler, incontinente, impossible à déplacer sans carriole à cause de la ceinture de margarine qu'elle se trimballe sur le corps, et même si parfois, elle couine pendant des heures, elle ressemble plus à une monstruosité qu'à un animal.
Je ne connais presque rien de sa vie, à la vioque. Rien de son passé en tout cas. Aussi longtemps que je m’en souvienne, elle n’a jamais été vraiment présente dans mon enfance. Son rejeton qui me sert de père l’avait bien cachée, faut dire ! C’était sûrement une honte pour lui. Mais cette gredine des villes, elle a sûrement dû être normale y a bien longtemps. Sauf que depuis que je suis sorti de la cramouille de ma mère, je ne l’ai jamais vu faire autre chose que taper du pied dans son fauteuil.
M’enfin, je n’en ai rien à faire maintenant de son passé, on est condamné à vivre à deux dans cette salle qui abrite plus de crasse et de bêtes que d’hommes. Cafards, cloportes, fourmis, araignée, termites, corps en décomposition, vioque dévastée, moisissure, médocs, seringues, sang d’inconnus, foutre, cyprine, maladie, folie, et moi qui trône au-dessus de toute cette pyramide de la débauche. Là où on vit, c’est décidément un vrai repère à souille où l’on y chante la poésie du dégueuli. Ça me convient moi, d’être le roi des crasseux. Après tout, le plus grand des poète que ce monde ait connu jusqu’à moi écrivait « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or ». C’est bien la preuve qu’en art, il n’y a que du beau. Les bons artistes pourraient faire des poésies sur votre scrotum et vous en seriez émus. Somme toute, le laid est là où on ne pose pas les yeux. Mais tout le monde n’a pas ce sublime regard.
Prenez la vioque par exemple. La grande majorité des gens l'aurait cachée dans leur grenier s'ils avaient eu à s'en occuper. Ou pire encore, ils s'en seraient débarrassés comme on jette un placenta après l'accouchement. Moi c'est bien tout le contraire, mon tas d’chair, il trône en plein milieu du salon : c'est mon trophée, une grosse sculpture de gueule cassée. Et puis, ma vioque, elle a une vie bien plus souhaitable que tous ces lambeaux sociaux. Elle, au moins, elle a accompli quelque chose. Sa vie, c'est un chef d'œuvre de la misère. Et pourtant quand les autres la voient, ils restent cois quelques instants puis passent leur chemin. Un peu stupéfaits de rencontrer toute la laideur humaine réunie dans une vieille femme toute rabougrie, ils l'évitent, ils en ont peur et n'osent pas s'émerveiller devant ce spectacle : un gros tas de cambouis qui passe sa journée à se dégarnir le buffet. Ne vous inquiétez pas, je l'astique de temps en temps ce vieux tas d'chair ! Mais je fais toujours attention à ne pas trop la débarbouiller pour qu'elle continue à inspirer l'effroi à quiconque l'aperçoit.
Faut bien les brusquer ces pauvres types, sinon leur vie ne vaudrait pas plus qu’une couille de mite. Ils sont tous là à vouloir rejeter ce qu’on est tous : des drogués aux sentiments. Quelle bande d'insensés à éviter la colère, la misère, la peur ou la douleur. S'ils ne cherchent que le repos, ils n'ont qu'à se ratiboiser la cervelle et puis ils la trouveront leur béatitude morbide. Ce n’est pas à nous, les ulcères sociaux, les marginaux accrocs au bouillonnement des sens, de nous intégrer, on est trop pourri pour ça, on est trop vrai. On n'a pas peur de vivre nous, c’est à eux d’accepter leur vraie nature de pervers polymorphe qu’on est tous ! S’ils ne veulent pas crotter leur corps et leur esprit en vivant intensément comme nous, c’est qu’ils ne veulent pas vivre. Pour ces accrocs à la sérénité de l'esprit : rien ne sert de souffrir, il faut partir à point. Ils n’ont qu’à claquer s’ils ne veulent pas de ce monde remplis de bambocheurs pouilleux. Je devrais même les y aider, à clamser !
Catégorie : Poèmes - 16 janvier 2019 à 15:53
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Bootspoppers a écrit
Bon voilà un maître en violence...
Pas mal : à voir la suite à présent....
Merci bien! C'est mon premier essai, j'essaierai d'être le plus régulier possible pour me pousser à écrire sans que ce soit au détriment de la qualité bien sûr. De toute façon, j'ai déjà pris un peu d'avance ahah