Mais bon, je leur ne ferai jamais rien à ces bouts de viande, c’est juste qu’ils m’énervent à mettre de la morale partout, c’est qu’un frein à l’art et à la gloutonnerie de la vie. Je sais pas si c’est parce que je suis trop lâche ou parce que je me sentirais mal de les faire souffrir mais je fais rien pour les juguler eux et leur morale à deux sous. Que des paroles, aucun acte. C’est sûrement parce que j’ai peur, qu’après les avoir dézingués, je devienne comme eux : être rongé par le scrupule, la peste des vicieux comme moi, comme nous tous. C’est bien barbant d’être humain, on se connaît jamais vraiment. On aura beau nous trifouiller jusqu’à nos entrailles, nous éviscérer, on y trouvera que de la carne fripée par le temps. Il n'y a ni bien ni mal dans nos vieux corps, y a que des boyaux, je vois pas pourquoi on nous embête avec ça. Et pourtant, même à la vioque, je lui fais rien ! Elle ne pourrait pas se défendre. Déjà qu’elle a du mal à rester en vie avec sa graisse qui déborde de partout ! Je pourrai lui faire une petite entaille, juste pour voir ce que ça fait. Un petit trou, un peu de sang, rien de plus. Je serai fixé. Si seulement c’était pas ma vioque, si seulement c’était une inconnue, un chien errant. Non mieux que ça ! De la viande qui me supplierait d’arrêter de lui faire du mal. Ah, si tout simplement je pouvais oublier que c’est ma vioque juste un instant.
Là je pourrai y aller, et pas de mainmorte, je l’étriperais dans tous les sens. Vous connaissez le principe de la toupie humaine ? Sûrement pas, l’idée vient de me ronger l’esprit et y a peu de chances que votre ciboulot soit aussi mutilé que le mien. Je suis bien le seul à être matraqué par ce genre d’idées morbides. Ou alors, personne n’ose le dire ! Bref, la toupie humaine, c’est un corps qui tourbillonne à grande allure et fait valdinguer ses viscères dans toute la pièce. Avec des draps blancs sur les murs, on aurait de quoi faire une fresque démentielle ! On verrait des entrailles voler et du sang pisser de partout, la pièce deviendrait le tableau d’un massacre. Une sorte de Pollock si vous voulez. Mais bon, c’est pas ma vioque qui ferait tout ça d’elle même. Faudrait bien que je l’aide un peu à se sacrifier pour cette œuvre. Je vous jure les anciens ! Ils se reposent sur leurs lauriers, ils seraient capables de foirer leur propre mort sous prétexte qu’ils en ont déjà assez fait. Heureusement que je suis là pour elle, j’ai pensé à tout !
Je commencerai par les pieds. Oui, en art c’est comme en politique et l’inverse du sexe, faut toujours commencer par le bas pour arriver en haut. Alors, je lui aiguiserai ses ongles en deuil, je les taillerai comme des griffes. Faut dire que ses ongles font bien vingt centimètres, y a de quoi empaler quelqu’un avec ça ! Bien sûr, je dépiauterai quelques-uns de ses bourrelets pour les caler sous ses ergots. Sinon, ses griffes banderaient tout mou. Après ça, personne ne devrait pouvoir s’approcher d’elle sans se faire étriper lorsqu’elle dodeline de la patte. Mais bon, elle n’en serait plus capable si je lui arrache les jambes pour les recoudre sur ses omoplates qui se déboîtent à cette pauvre amour.
Elle aurait déjà l’air bien belle comme ça ! Un buste posé à même le plancher avec quatre défenses sur le tronc, ça aurait de quoi faire languir tous les mammouths estropiés ou toute autre sorte de cul-de-jattes cornés ! Une fois cet assemblage fini, c’est là qu’arrive le plus coriace. Pour la suite faut une sacrée précision si on veut pas tout gâcher. C’est pas facile le travail des corps, tout peut lâcher à n’importe quel moment et on se retrouve avec une mare de sang et de boyaux qui jonchent le sol.
A l’opinel, je creuserai dans sa chair jusqu’aux organes -les plus juteux si possible- afin de laisser la voie libre aux entrailles qui voudraient s’évader de cette satané taule humaine. Faut lui faire cracher ses tripes au tas d’chair ! Si c’est l’œuvre de sa mort, pas besoin qu’elle en garde pour elle, faut qu’elle se vide ! Et puis on est pas là pour faire de l’art déjà mort mais de l’art pour la mort : ça doit être pétulant, vif, puissant, éclaboussant, vivifiant pour nous, et mortel pour elle.
Mais pour qu’elle tourne, faut qu’on la retourne. Je n’aurais plus qu’à lui planter un manche dans le fion, recouvrir mes murs et mon sol de draps blancs puis envoyer un cobaye suffisamment charpenté et demeuré pour faire tourner la toupie humaine à ma place. J’ai pas envie de me faire charcuter par ses griffes moi ! Ça serait bien absurde de ma part que de me faire avoir à mon propre jeu. Et puis qui d’autre que moi apprécierait cette œuvre à sa juste valeur ? Personne, évidemment. Du moins, pour l’instant, la majorité des esprits s’accordent à dire que je n’ai rien de bien beau dans la tête. Et pourtant, ils sont tous la à commenter toutes mes pensées tels des doctes, des psychiatres ou des critiques d’art. M’enfin, ils ne reconnaissent pas encore la beauté de mes idées mais au moins ils reconnaissent qu’il y a quelque chose.
Bref, une fois que l’arriéré musclé s’est fait découpé en charpie par les griffes du tas d’chair. Alors enfin, vient le spectacle ! On peut contempler tous les viscères de la vioque bourlinguer dans son corps puis se placarder contre la toile. Ça c’est de l’art véritable, une esthétique qui vient de nos tréfonds sanguinaires. Par l’art, qu’est ce que ça serait beau comme massacre ! Je suis sûr que même la vioque, elle en serait fier du tableau fait avec son cadavre. Les tombeaux c’est si ennuyant aujourd’hui, on laisse le corps se décomposer six pieds sous terre. Notre corps pourrit déjà à chaque seconde qui passe alors pourquoi ne pas le transformer en œuvre d’art avant que le temps nous ait entièrement détruit. Bon le plus embêtant reste de devoir tout remballer dans le cadavre si l’on veut recommencer l’expérience. Mais bon, c’est aussi ce qui lui donne son caractère exceptionnel après tout.
Ah ! Et vous vous demandez sûrement à quoi servent ses ongles aiguisés comme des lames. C’est pour éviter qu’un sans-coeur essaye d’arrêter votre magnifique toupie alors qu’elle est en train de tournoyer à vive allure. Parce que s’il l’essaye, à peine serait-il à quelques centimètres de mon œuvre, qu’il se ferait sectionner en deux. Il y aurait alors encore plus de barbaque humaine pour remplir la pièce. Le mieux serait d’ailleurs d’envoyer votre toupie dans une foule. Mais bon, c’est pas facile de rameuter un troupeau d’humain dans une salle où vous aurez préalablement installé des draps blancs sur toutes les surfaces de la pièce sans qu’ils ne soupçonnent quoique ce soit. Ah oui, et j’allai oublier, à la fin faut signer. Je pense que là, je me pignolerais un petit coup. Histoire de laisser un peu de mes fluides dans mon œuvre. Faut toujours faire un don de soi pour ne faire plus qu’un avec le fruit de son labeur.
Mais bon vous me connaissez, je ne ferai jamais rien de ce genre. Je vous l’ai dit, j’aimerais bien mais j’y arrive pas. Je suis obligé de me réfugier dans mes fantasmes artistiques, c’est déjà ça ! Et puis ça me permet de la garder encore en vie, la vioque ! La pauvre, assise là, devant moi, en train de suffoquer.
*La vioque tape très fort du pied*
Catégorie : Poèmes - 30 janvier 2019 à 18:52
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Finn Easter a écrit
Malheureusement, son créateur n'y voit rien d'autre que ce qu'il y a mis, il ne sera jamais surpris s'il reste en position de créateur/artiste, il faut qu'il se mette en position de spectateur pour se surprendre lui-même car sinon il ne verra rien d'autre que lui-même à travers son œuvre et y restera indifférent car il se connaît déjà -ce qui est bien triste.
Ce n'est pas une fatalité, que de rester en position de créateur/artiste, cloisonné en une exécution froide, hermétique à son propre spectacle.
Anonyme813 a écrit
Somme toute, le travail de l'artiste est justement de faire naître "cette matière psychique" comme tu dis, de faire réagir son spectateur, de le surprendre, de lui provoquer les émotions les plus fortes. Mais pour cela, il doit choquer son spectateur de la manière la plus forte possible donc sans se préoccuper des obligations morales qui l'en empêcheraient.
Bof. Je ne crois pas que l'oeuvre des frères Kouachi était d'art; on ne peut toutefois pas nier qu'elle ait fait réagir et provoqué des émotions fortes. Ce sont ces dernières qui ont engendré des oeuvres d'art par la suite.
Anonyme813 a écrit
le travail de l'artiste [...]faire réagir son spectateur, de le surprendre, de lui provoquer les émotions les plus fortes. Mais pour cela, il doit choquer son spectateur de la manière la plus forte possible donc sans se préoccuper des obligations morales qui l'en empêcheraient.
J'ai dû m'égarer là-dessus.
Est-ce volontaire de sa part? Est-il créateur ou sujet de la situation, au même titre que son spectateur? Est-ce que le dénouement lui échappe?
Finn Easter a écrit
Le créateur est, en réalité, plutôt spectateur des spectateurs de son œuvre en tant qu'il les voit réagir à sa création et qu'il s'en amuse.
Il s'en amuse, ou il à l'air de s'en amuser? Il n'est peut être pas responsable de sa réaction, qui ne serait qu'un réflexe comportemental mimant celui de ses congénères, et qui ne représenterai nullement son apréciation de la situation. Est-ce possible dans ce cas précis?
Le Sycophante a écrit
Bonsoir,
J'ai commencé à lire vos écrits ainsi que les commentaires.
À mon sens, L'idée de créateur est déjà compliquée à conceptualiser. Bien sûr que le créateur s'implique mais ne peut-on pas voir en la création plutôt un agencement ( À la Deleuze ) ? Est-ce que la création est volontaire, peut-être; pourtant cela ne signifie pas forcément que le créateur sait son oeuvre ; mais peut-etre dépasse t-elle la part éclairée de la conscience, comme résidu de toutes les expériences et l'interprétation de ces expériences. C'est-à-dire que considérer le créateur maître de son oeuvre, c'est considérer qu'il n'y a pas de mystère en soi, Et plutôt voir l'homme comme une machine. Or, je crois qu'aujourd'hui, nous pouvons nous accorder sur le fait que C'est bien plus complexe ( d'ailleurs vous le soulignez vous même dans le récit ).
L'idée que vous avez évoquée du rapport spectateur/ créateur est intéressante, mais je pense, fondée sur des prérequis qu'il serait bon que vous explicitiez. Dit ainsi, votre point de vue est assez réducteur, car l'implication logique dont il découle est que " le créateur est intrasèquement lié à l'oeuvre et que C'est le créateur que vise le regard d'autrui." Or, n'y a t'il pas une mise à distance, une exteriorisation ??
Enfin, je n'ai pas pris beaucoup le temps de réfléchir à la question mais voici les difficultés que m'a posé votre argumentaire.
Faites attention aussi à ne pas paraître trop présomptueux. ( avec tout le respect que je vous témoigne). Mais ça fait plaisir de réflechir un peu philosophiquement, et de se creuser la cervelle grâce à vous. Merci beaucoup pour cela!!!!!!
Bien à vous.
Salut !
Pour ce qui est de voir la création comme un agencement, je n'ai pas lu Deleuze donc je ne suis pas sûr de comprendre tout à fait ce qu'il dit par là mais, de ce que j'en comprend, je n'y vois pas d'inconvénient. En effet, le créateur, selon moi, ne crée pas ex nihilo, c'est forcément un assemblage qu'il opère à sa façon parmi des choses venant d'un contexte.
Pareil, je pense aussi que le créateur ne sait jamais vraiment son œuvre du moins elle lui échappe sans cesse du fait des multiples interprétations qu'elle peut avoir auprès des autres. Son œuvre ne lui appartient pas vraiment, elle appartient plutôt aux récepteurs qui se l'approprient (ce que j'ai pas mal soulevé dans les commentaires et dans l'avis au lecteur).
Quant à la mise à distance, c'est tout à fait ce que j'entend lorsque je dis que le créateur passe de créateur à spectateur dès lors qu'il se met à distance de son œuvre. C'est cette nouvelle position de spectateur qui le met à distance et qui lui permet notamment d'être mis au même niveau que les autres spectateurs (d'où le fait que son œuvre ne lui appartient pas vraiment). Comme je l'ai dit, cette mise à distance de soi, ce renversement opéré en devenant spectateur de soi, de sa vie, de son œuvre, c'est une piste importante qui sera pas mal reprise dans le récit comme mécanisme de déresponsabilisation qui permettre le mal moral. Après, ce n'est qu'une hypothèse de lecture parmi tant d'autres !
Et bien sûr désolé si je peux paraître présomptueux, c'est pas du tout voulu. Je met mon avis sur le même plan que les autres lecteurs, je n'ai pas plus d'autorité qu'un autre lecteur puisque, dans l'espace commentaire, on est tous spectateur sans hiérarchie.
Ah et bien sûr, pas besoin de me vouvoyer, je ne suis qu'un jeune étudiant qui poste ses écrits sur internet. Je ne pourrai pas t'y forcer mais le tutoiement me convient très bien ! Aussi content que ça puisse te faire réfléchir, et j'espère que c'est le cas pour d'autres aussi !
Et Krash, oui je dirais que c'est possible si tu veux le voir comme ça mais, perso, je suis pas forcément un partisan d'un déterminisme par mimétisme social des autres. Car si tout le monde se copie, d'où vient l'origine? Surtout qu'il mimerait qui? Les autres créateurs ou les autres spectateurs ?
Ce que tu proposes semble abolir la distinction entre créateur et spectateur, ce qui est tenable mais je t'avoue qu'il faudrait un peu plus développer pour me convaincre.
Et bien je ne souhaite pas convaincre plus que ça...
Je dirais que l'inconscience en est l'origine, puisque ce "mimétisme" n'est détenu par personne. Il mimerait peut-être sa propre ignorance, n'existant que par les autres créateurs ou spectateurs, eux-mêmes mimant leur propre rôle suggéré. Plus que d'abolition de la distinction, il serait question d'inversion des rôles. Les spectateurs s'amuseraient du créateur plus que de sa création. Le créateur deviendrait la création, par son ignorance, ou inconscience des spectateurs.
Peut-être que chacun est le sujet de l'oeuvre qui distribue par codage les façons de la mimer.
krash a écrit
Et Krash, oui je dirais que c'est possible si tu veux le voir comme ça mais, perso, je suis pas forcément un partisan d'un déterminisme par mimétisme social des autres. Car si tout le monde se copie, d'où vient l'origine? Surtout qu'il mimerait qui? Les autres créateurs ou les autres spectateurs ?
Ce que tu proposes semble abolir la distinction entre créateur et spectateur, ce qui est tenable mais je t'avoue qu'il faudrait un peu plus développer pour me convaincre.Et bien je ne souhaite pas convaincre plus que ça...
Je dirais que l'inconscience en est l'origine, puisque ce "mimétisme" n'est détenu par personne. Il mimerait peut-être sa propre ignorance, n'existant que par les autres créateurs ou spectateurs, eux-mêmes mimant leur propre rôle suggéré. Plus que d'abolition de la distinction, il serait question d'inversion des rôles. Les spectateurs s'amuseraient du créateur plus que de sa création. Le créateur deviendrait la création, par son ignorance, ou inconscience des spectateurs.
Peut-être que chacun est le sujet de l'oeuvre qui distribue par codage les façons de la mimer.
J'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre exactement ce que tu veux dire Krash: Est-ce que c'est l'idée d'une sorte d'inconscient collectif où personne ne saurait la véritable signification de l'œuvre mais chacun ferait comme s'il savait en se moquant des autres qui, eux aussi, pensent savoir? L'idée serait alors que tout le monde est perdu mais tiendrait quand même un rôle. Et, ainsi, le spectateur comme le créateur seraient ignorant mais devenus des œuvres à leur tour du fait qu'ils tiennent des rôles que pour ne pas passer pour ignorant et alors chacun offrirait un spectacle à chacun.
Je ne suis pas sûr que c'est que tu pensais m'enfin c'est ce que j'en ai compris. Sinon pourquoi pas, ça se tient !