13h : Pas de temps à perdre : je vais chercher deux verres dont un rempli d'eau, un bol à tamis, un filtre à café. Je broie la moitié des cachets de la boite (environ 160mg de codéine phosphate), je mélange ça au verre d'eau et je verse toute le bordel dans un filtre au-dessus du second verre puis j'attends patiemment que l'extraction se fasse. Pour ceux qui se demandent pourquoi je fais ça, c'est pour isoler la codéine hydrosoluble et éviter d'avaler une trop grosse dose de paracétamol, se dernier étant supposé être piégé dans le filtre. Je m'enfile 0,5 mg d'alprazolam, une cuillère à café de poivre et de curcuma à défaut d'avoir du jus pamplemousse blanc, puis je reprends mon bouquin.
14H :Une heure plus tard, je pose mon roman, je vais voir là où ça en est : la décoction semble pas mal, l'eau est presque limpide.
Set and setting : Parfaitement seul. Peu mangé. Bien hydraté. Assez reposé. Un peu déprimé mais pas trop. Bien disposé à me défoncer. Une chambre en bordel mais pourtant très accueillante, deux bonnes couvertures de laine, quelques coussins bien mous, un matelas tout aussi tendre, un chien du village qui passe par la fenêtre, des enceintes chargées et un walkman chargé. Belle vue sur l'extérieur : le paysage est totalement blanc, on voit juste dépasser quelques branches de sapin dénudées et des rebords bruns de maison. Je n'ai pas grand-chose à écouter ici, par chance je retrouve un CD de Bonobo. Je n'en ai pas écouté depuis plusieurs mois, on va voir ce que ça donne.
Pour le TR, je vais essayer de porter un regard presque neuf et naïf sur le produit tout en décrivant mes impressions sur papier, en direct, que je vais retranscrire ici quand l'électricité sera revenue
14h10 : J'avale cul-sec la solution. C'est tellement amer que j'en viendrais presque à gerber. Ajoutons à ça un goût boisé assez atypique et dégueulasse, qui provient très certainement du filtre à café brun dont je me suis servi pour l'extraction.
Je me pose sur le lit puis je m'allonge en étoile de mer tout en redécouvrant le formidable album Migration de Bonobo. Les sons sont géniaux, très prenants. L'ambiance restituée est immergente, énorme, fantastique. Je ferme les yeux. Je crois que je suis parti pour un voyage intérieur d'ordre musical. Paradoxalement, certains morceaux me rappellent les mauvaises passes d'une époque de forte déprime... Moment mitigé, donc. Pas d'effet opiacé en vue, encore.
14H50 : Quarante minutes plus tard, je commence à perdre espoir. En dehors des sentiments que m'inspire la musique, je ne ressens rien. Aucun effet opiacé. Aucun ! Jamais la codéine n'a mis si longtemps à monter dans mon cas, exceptions faites des rares prises réalisées tout juste après avoir terminé un gros repas. Mais en l'occurrence, je n'ai presque rien mangé, donc cela ne peut pas provenir de là ! L'extraction ? Je maîtrise ! Enfin, je crois. Je me résigne donc à ne pas avoir d'effet. Je décide d'aller me balader dehors pour profiter des quelques rayons de soleil naissants.
15H05 : J'ai parlé trop vite ! Ca y est, je plane ! Après avoir attaché les lacets de mes chaussures de marche, en relevant le dos puis la tête, je ressens une douce chaleur qui commence par envahir mes articulations et le bout des membres, puis mon corps tout entier, et ma tête se fait lourde tout d'un coup ! Il est temps d'aller marcher un peu.
A peine sorti de la maison que je suis déjà ébloui par le soleil et par ses reflets sur la neige !
*Au niveau physique, je ressens une légère exacerbation des sens : tous mes sens sont accrus. Je sens la brise froide se frotter à mes joues, ce qui est très agréable. Je porte une attention particulière aux couleurs des sapinettes ainsi qu'aux bruits du vent et des oiseaux qui semblent beaucoup plus distincts que d'habitude – les sens ne sont pas aussi exacerbés qu'avec la MDMA par exemple, mais bien plus qu'après une séance de méditation. En plus, je ressens une formidable chaleur corporelle – là aussi, pas aussi forte qu'avec la MDMA, mais bien plus agréable, bien moins hostile, d'autant plus que j'y porte bien plus d'attention, alors que sous MDMA le côté extériorisant, social et empathogène prend rapidement le pas sur le reste. Les oreilles et la bouche sont emmitouflées dans un coton imaginaire, tout comme les jambes qui semblent lourdes : elles avancent toutes seules, et le craquellement de la neige compacte sous les pieds a presque quelque chose de jouissif.
*Au niveau psychique, au niveau des pensées, cela n'a pour moi plus rien à voir avec n'importe quel autre produit (hors opiacés) : je suis juste en train de savourer mon état, je me contemple tout en contemplant la nature autour de moi. Mes pensées sont lointaines, c'est comme si la petite voix qui raisonne dans la tête avait un débit bien plus faible qu'à l'ordinaire. J'ai l'impression de penser au ralenti, mais aussi de marcher, de vivre au ralenti. Toutes les pensées sont positives et détachées de toute réalité sociale, certains mots d'ordre comme « important » n'existent plus. Je suis redevenu naïf et bienheureux, comme un gosse. Dans cet état, rien ne pourrait me perturber. C'est une sorte d'anesthésie partielle de l'esprit couplée à une forme de diététique : je pense moins, mais mieux.
16H : Me voici de retour au bercail. La différence de température entre l'intérieur et l'extérieur est brutale et accentue d'autant plus l'effet de chaleur corporel issu de la codéine. J'ai brièvement la tête qui tourne, et j'ai l'impression d'avoir le visage boursoufflé : ça gratte ! Mais ça reste supportable, j'essaie de me gratter le moins possible en espérant que ça passe le plus rapidement possible, j'ai connu bien pire de toute façon.
Je repars dans ma chambre, je rallume le walkman et je décide de changer d'ambiance. Ce sera donc du Bob Marley. Totalement défoncé, je suis avachi sur mon lit, les yeux à demi-fermés. Mon corps est un lit humain qui repose lui-même sur un lit. Je suis totalement flasque et mou, parfaitement détendu. J'essaie de réciter les paroles de la musique, ce qui me procure un certain plaisir. Ma voix est devenue lente et grave, pataude. Certains passages d'instru me font entrer dans un état d'euphorie qui reste éphémère : des frissons traversent mon corps en quelques secondes, et je me sens extrêmement bien pendant ce laps de temps.
18H30 : Les effets commencent à s'estomper. Mon corps reste un peu chaud et mon esprit reste un peu embrouillé mais les effets euphoriques finissent par totalement disparaître. J'ai l'impression d'avoir une tête dans le cul, mais une tête dans le cul agréable. La descente n'est pas frustrante comme elle l'est avec certains produits – la descente de CC est pour moi une sainte horreur, j'en stresse rien qu'à y repenser, m'voyez. Au contraire, ici la descente se fait tout en douceur et n'a rien de désagréable. Je passe la soirée à terminer un livre, pépouse. J'ai la voix grave, un mal de crâne passager, des difficultés à finir mon assiette, mais pas de nausée. Je m'endors vers 22h, pénard.
Bilan : Super expérience, proche des premières prises en terme d'intensité mais pas en terme de durée. Je ne sais pas pourquoi ça a mis si longtemps pour monter. Note personnelle : Loin de coller une claque comme certaines substances, ce produit est à la fois discret et puissant, de par l'équilibre de bien-être parfait qu'il génère. A prendre avec des pincettes, donc.
NB : la comparaison avec les stims est peut-être stupide d'un point de vue objectif, mais il s'agit là uniquement d'une comparaison subjective basée sur mon ressenti, et qui de ce fait n'engage que moi. Si je compare les deux produits, c'est que je les affectionne tous deux, et que j'hésite souvent entre « extra » de MD ou « extra » d'opiacé.
Catégorie : Trip Report - 31 octobre 2018 à 09:17
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