En deux mots, ou un peu plus, pourquoi Jimi ? Pourquoi le récit de ce personnage finalement hors-jeu du soin, à partager chaque semaine sur les réseaux sociaux ?
L’écriture, qui plus est la narration, permet de s’approprier certains sujets et de s’identifier. Endosser le rôle de Jimi, tisser une histoire, un vécu et des réflexions. Tenter d’imaginer ce que nous ne voyons pas. Ces personnes « toxicomanes » vivent masquées, faut-il encore le rappeler ? C’est certainement un peu décalé par rapport à la réalité. Seulement cela n’a aucune prétention par rapport à cette dite réalité, souvent méconnue et ignorée. Je crains fort que des Jimi il en existe de nombreux. Ma pratique le reconnait dans certains recoins et replis de mes fonctions. Ecrire, c’est s’engager. Je reconnais plus de « Jimi » qu’avant. C’est déjà une nouvelle étape.
Et puis il y a eu des réactions, des gens de tous horizons qui ont suivi le récit. Des sites aussi associés fortement à ces problématiques, comme psychoactif ou drogues info service. Et ça a parlé. Peut-être partiellement, sur quelques facettes de sa personnalité, des coins de Jimi. Il y a eu des résonnances. Loin de vouloir légitimer un propos, la démarche disons a été au moins partagé.
Qu’est-ce que cela a-t-il pu soulever tout au long de l’écriture et des échanges ?
Le partage de ces idées a été pour une part anonymisé. Qui se donne le droit d’en parler ou de s’y autoriser ? La justice et la vindicte populaire, sans la critiquer, ne sont jamais très loin. Les bouches sont closes et cousues par l’interdit qui est brandi. Nous ne pouvons pas parler librement de drogues. Oui, il ne faut pas banaliser. Non je ne fais pas l’apologie de ce commerce et de ces consommations. En ambassadeur de la réalité (Racamier), je constate juste les effets de cet interdit.
Inter-dit.
Entre sujet du dire, nous ne pouvons pas en parler, échanger alors même que les consommations sont révélatrices d’une souffrance psychique devant trouver une voie d’apaisement. L’impossibilité d’échanger librement. Elle peut se faire certes sous couvert d’anonymat, transformant sans en changer la nature de l’interdit, sans pouvoir échanger en son propre nom. Une chape symbolique s’applique. Société où l’on pourchasse celui qui consomme, où l’on attribue la honte à celui déjà pointé du doigt. L’effet second est donc de se taire, de ne pas parler de soi contribuant à l’isolement, à moins que cette personne désignée ne trouve à s’associer avec ses semblables, pour un même combat, celui du planqué. Cela manque très largement d’ouverture et de perspectives pour l’usager de drogues.
Faut-il lever l’interdit ? Je pense oui et surtout pour que nous puissions en parler, chacun d’entre nous. Nous ne pouvons pas être tenus coupables de nous attacher à cette question qui plus est universel. Nos êtres transpirent de dépendance. Reste à savoir de quel type il s’agit. Nous pourrions apprendre de ces personnes, énormément. Ils expriment en eux toute la singularité et la fragilité de notre condition dont la pierre angulaire est la dépendance. Ne trichons pas. Il n’y a pas eux et nous de l’autre côté d’une soi-disant frontière.
Aussi ils pourraient se fédérer, s’associer, s’entraider, se rendre secours et service, se sauver entre eux, ce qu’ils font certainement. De manière planqué. S’unir autour du dire tout au moins car les consommations ne sont que le symptôme, l’arbre qui cache une forêt de maux et de mots, malheureusement non-dits. Pourraient-ils seulement y être autorisés ?
Le récit plaide pour cette liberté d’association. Ecoutez Jimi. Il est adolescent, furieusement seul. Il rame et galère. Doit-on lui reprocher, à son âge ? Va-t-il déclarer aux instances habituelles son lien avec l’héroïne ? Cela risquerait de compromettre définitivement sa vie. Un niveau de dialogue respectant son intimité l’aiderait sûrement, sans jugement, sans crainte, de manière sécurisante. Qu’il soit complètement à l’aise et reprenne confiance en lui ? Il a des choses à dire non ? Il en a dans le ciboulot aussi ! Ceci n’était qu’une fiction, relatant de trop lourdes réalités.
Notre modernité se situerait dans l’acceptation qu’il s’associe avec certains ayant eu le même parcours, qu’il puisse s’engager avec d’autres, en groupe. Ce serait un vrai levier, complémentaire des structures existantes, sans avoir à parler de soin, d’éducatif ou de travail social. Juste une liberté totale à se parler.
Pour ceux que ça intéresse, nous pouvons nous adresser le texte Jimi en entier.
Merci Encore pour votre soutien.
Antoine et Richard