Et dire qu'il y a encore quelques mois, j'aurai trouvé l'histoire de Noibé bien hallucinante et passablement triste, le fait d'étrangler un consommateur pour le faire cracher ses boulettes. Je me souviens d'une scène dans le film français de Tavernier L627 sur un groupe stup, ça se passe sur le pont de la Gare du Nord et ils sont en filature sur un maudou, qui se rend compte de leur présence et avale ses galettes. Ils le plaquent au sol et le frappent à l'estomac jusqu'à à le faire dégueuler littéralement pour établir le flag… A l'époque, en voyant ses séquences des années 90, époque ou lors des contrôles les flics nous faisaient rarement déchausser et les mises à poil sur simple présomption étaient carrément inédites (à part les douanes ?), ce genre de scène me paraissait un peu surjoué et presque diffamante. Aujourd'hui et après quelques mois sur St Denis, j'ai un autre regard et plus rien ne m'étonne... ici c'est à poil systématiquement et on voit que ça voit plus loin évidemment, que tout les coups sont permis et peu importe les limites (taper les UD au distri, étranglement, lavage d'estomac, privation de
TSO etc…). Ca c'est clairement le résultat de ce qu'ils appellent ZSP Zone de sécurité Prioritaire thématisé stupéfiant qui laisse carte blanche aux agents de terrain, le tout étant de faire régner la terreur localement pour éradiquer la dope, consommateurs comme revendeurs…
Perso, je ne suis plus du tout tranquille. J'ai beau m'être déplacé quotidiennement dans ces quartiers sans trop de pépin pendant des mois et des mois - en ce moment, j'y vais de moins en moins à cause de ça... encore que j'y vais quand même mais ça en devient extrêmement désagréable. D'ailleurs prudence oblige, maintenant je ne sors plus de chez moi sans deux ou trois jours de
méthadone dans les poches ainsi que mes ordonnances. C'est toujours un dilemme car en cas de fouille, si un flic te trouve avec de la métha, il va retripler de vigilance dans sa fouille... mais je préfère maintenant ça à me retrouver 48H en
descente glacé dans une cellule sans chiottes ni eau à me vider en deux...
bref ce sentiment d'insécurité et de parano finit par me lasser littéralement et ajouter aux autres facteurs (distance, prix, temps perdu, tolérance, lassitude), ça fait déborder le vase...Mais bon évidemment, y a toujours un petit craquage de temps à autre...
Rien qu'avant-hier, j'ai l'impression d'avoir échappé de peu à un pétage... Sur les coups de midi, suite à un texto de relance par un dealer appréciable, on décide de bouger sur un plan avec un pote. Je prends mon scooter et je le rejoins au métro en question. Le plan est 500 mètres plus haut dans une petite rue. On y monte ensemble, on discute, on évoque l'actualité du quartier. Mon pote est un peu stressé, il a l'impression d'avoir vu des civils à l'abord de la ruelle en question il y a quelques jours de ça.
On arrive, évidemment il faut attendre 20 minutes, ce qui n'est jamais bon - donc on reste en mouvement, on se pose à un arret bus, on revient. Le mec finit enfin par se pointer, ça se passe bien mais le dealer est stressé
"faites belleck les gars, il y a des civils, je les ai vu, blabla..."Il a pas l'air dans son assiette normal, nerveux, pas content, pas poli...
Bref, je me dis qu'il va falloir rester sur mes gardes. Mon pote se bouge au métro et moi direction la pharmacie pour un stéro. Je me pose dans le petit restaurant en face - je prends une assiette et j'en profite pour squatter leurs chiottes et me faire un bon gros soin des familles. La
came pète bien, me chauffe bien les tempes et provoque ce petit étourdissement caractéristique. J'envoie un texto à mon pote "Cool tu vas tripper copain". Je retourne m'assoir, je bois un thé chaud et je me prépare à me casser à affronter la rue. Au moins, s' il se passe quoi que ce soit, j'aurai de la bouffe et de la
came dans le sang pour quelques heures au moins… et puis j'ai de la métha sur moi et mes ordonnances, c'est toujours ça.
J'essaie d'éviter l'artère central pour redescendre chercher mon scooter. Du coup, je tourne un peu dans les rues, je m'égare un peu pour rien, c'est pas malin, ça peut donner l'impression que je traine par là . Finalement, je retombe sur l'avenue principal.
Je marche dans cette rue et je sais pas comment expliquer ça, mais je ressens comme un truc qui cloche... je reconnais cette sensation qu'il y a quelque chose dans l'air, sensation que j'ai déjà ressenti un paquet de fois... et presque à chaque fois où j'ai perçu ça dans ma vie, je constate que je me suis fait péter par des civils (que ce soit police, contrôleurs ou autre...) à tel point que la dernière fois que ça m'est arrivé vers Lariboisiere, je m'étais bien dit :
"il faut vraiment faire confiance à cet instinct". Dans le genre je me souviens en 2012 d'une fois ou des flics m'ont fait un sale plan - ils venaient de sauter mon maudou - ça faisait 24h que je n'arrivais plus à le joindre et tombais systématiquement sur le répondeur direct. Le lendemain, ça sonnait enfin, cool il me répond : mais ce que je ne savais pas c'est qu'en fait c'était un stup au bout du fil, imitant l'accent sénégalais.
"Viens au Mc Do". Je me souviens précisément d'avoir eu une sale impression ce jour-là et d'avoir été super méfiant. Mon instinct me disait "un truc déconne" sans savoir vraiment quoi... Je n'imaginais pas les flics mais peut-être, une embrouille ou une carotte.
Bref en passant devant le McDo, je prend bien soin d'éteindre mon téléphone (au cas où on me biperait pour me repérer) et en regardant furtivement autour de moi, je ne vois pas mon gars, le maudou n'est pas là . Je croise un regard bizarre d'un type. Je bouge dans une ruelle et je rallume mon portable. Mon instinct me dit expressément "tire toi, ça pue"... Mais le truc, c'est que j'ai trop envie d'une latte mais vraiment ! Alors je me raisonne en me disant que je fais une sérieuse parano, que j'ai trop abusé du cailloux ces derniers temps. Je rappelle et je lui explique "que je le vois pas, que ça m'énerve que je vais bouger". Et lui me répond qu'il est dans le McDo qu'il mange à l'intérieur à l'étage…. Là j'aurai vraiment du me tirer car ce mec ne m'avait jamais fixé ce type de RDV. Je rentre dans le McDo, je monte à l'étage : personne. Le temps de me retourner, je vois en bas trois mecs qui entre en
speed dans le restaurant et commence à prendre l'escalier. Merde, je comprends que c'est des flics. Ils se dirigent droit vers moi...
Depuis ce jour, je fais totalement confiance à cette sensation qu'un truc plane dans l'air... Et avant-hier je retrouve ça exactement, sans savoir d'où ça vient, mais c'est bien cette alerte des sens qui te dit « y a un truc qui déconne»...
A 250 mètres, je vois deux gars en question, je les capte de suite. Ils sont en train de s'habiller en mode chantier, gilet jaune de sécurité et casque blanc. Bizarre, car leurs fringues collent pas ils sont en jean, ils sont propres, aucune boue au pied, en baskets et ils sont un peu jeunes et bien "gaulois" par rapport aux autres travailleurs, ils font un peu intrus... Je passe à leur niveau et un des deux me décrypte bizarrement. Ce regard du civil qui inspecte malgré-lui, regard atypique que j'ai appris à reconnaitre. Le même regard du flic devant le McDo, le même regard que le contrôleur qui scrute dans le wagon… bref, ils m'emboitent le pas. Ils me suivent. Bizarre.
Je continue. Sur plus de 400 mètres, ils marchent à mon niveau. Un truc ne colle pas, je commence à me dire « merde, merde ». Je tente un truc - le coup classique pour s'assurer de ce qu'il se passe vraiment. Je commence à virrer à droite bien à l'avance et je m'aperçois que les mecs aussi ont l'air d'aller à droite. Je continue le mouvement et d'un coup brusque, au dernier moment, je barre à gauche - d'un coup sec pour traverser le carrefour. Cinq secondes après, je m'aperçois que ces deux types traversent aussi !!! Merde, je continue ma route. Ils me suivent encore, toujours avec un peu de distance.
Nouvelle intersection : je tourne à droite. Ils tournent à droite. Encore... Là ça commence à faire beaucoup. Je continue sur 200 mètres et là j'arrive à proximité du métro, je m'arrête devant un épicier…. Encore une fois, les types s'arrêtent aussi !!! A 10 mètres juste en face de moi et c'est toujours ce même regard bizarre d'un des mecs alors que l'autre évite tout contact visuel.
Bon, là aucune ambiguïté possible, je vais me faire péter. D'autant plus que j'aperçois que le mec qui me matte a une oreillette. Merde. Je prends mon téléphone comme pour faire semblant d'appeler, comme si j'attendais quelqu'un en retard. Et j'attends… et en manipulant mon smartphone, je m'aperçois que le texto envoyé à mon pote 20 minutes n'est toujours pas passé en « accusé de reception ». Merde… Pour m'assurer, je lui renvoie un message « ca va mec ? ». pas d'accusé non plus. Ca sent pas bon… là je me dis qu'on a du se faire repérer en train d'acheter, qu'ils ont tapé mon pote quand il est descendu dans le métro et qu'ils n'attendent qu'une chose, c'est de me péter.
Je me souviens d'un conseil d'un vieux tox qui me racontait qu'en cas de « suivi », il faut rester au maximum dans les espaces publics, là ou il y a du monde, ne jamais chercher à fuir trop vite dans une ruellle ou dans sa caisse…. Certains stups aiment taper discrètement à l'abri des regards, pour rester discret, préserver leur dispositif et aussi être tranquille pour menacer l'usager, lui faire enlever ses pompes en pleine rue, l'embarquer sans motif etc… les témoins sont toujours gênants surtout dans les coins de banlieue où les gens détestent les flics… aussi en restant dans un endroit où il y a du passage, ça peut potentiellement retarder le moment d'interpellation (le temps de se débarrasser du mattos) voire parfois les dissuader. Ils sont dans une logique « si on le tape pas aujourd'hui, on le tapera demain, on a tout notre temps… » Pas moi !!
Les minutes passent. Je continue à faire semblant de passer des coups de téléphone et faire les cents pas et je reste sur place. Et là , c'est moi qui m'approche d'eux, mon casque de scooter à la main. Je me pose à deux mètres d'eux exprès, et je peux entendre leur conversation… Et là les gars en font trop. Ca me rappelle les crackers de porte de la chapelle quand ils essaient de te mettre en confiance et que, manifestement, ils surjouent… Un des deux faitt semblant de s'approcher d'une machine de chantier, un genre de fenwick, comme pour la décrire à son pote, en faisant des grand gestes. Mauvais jeu d'acteur. C'est pas naturel du tout. Ces vieux flics, ils sont vraiment tout nazes. La je me dis « si le mec monte sur le fen, qu'il a les clefs et qu'il démarre la machine, c'est que je suis vraiment devenu totalement parano ». Mais évidemment, cela n'arrive pas.
Là ils doivent sentir que c'est moi qui les regarde faire leur petit cinéma. Echange de regards toujours avec le même. Puis ils s'éloignent doucement l'air de rien, ça y est, ils s'en vont. Je matte bien – et je m'aperçois qu'il a l'air de parler dans son oreillette…. Bon, qu'est ce que je fais ? Je me dis que c'est peut être pas fini et qu'il y a peut etre un autre qui prend maintenant le relais. Tout le monde a l'air cheulou. Je reste devant l'épicerie malgrè tout encore dix minutes et j'hesite à foutre ma boulette dans les égouts… mais quelque chose me retient. Je me dis que si il avait voulu, il m'aurait certainement déjà interpellé bien que ce soit pas évident… peut etre m'attendent ils pres de mon scooter ? ou dans le métro ? j'en sais rien. Et là j'entrevois la solution idéale. Je vois à 30 mètres un arret de bus. Je m'en approche en faisant semblant d'attendre mon « dealer », casque de scooter à la main. Et la le 253 arrive, j'attends la dernière seconde pour plonger dedans. Par chance, le feu est vert et le bus s'élance à pleine vitesse… je regarde derrière. Plus rien.
Je suis content d'avoir gardé ma boulette. 5 minutes après, je reçois un texto de mon pote qui me répond enfin… Voila finalement je passe la journée sur Paris, à craquer ma boulette dans les toilettes publiques…
Et pour marquer le tout, en fin de journée alors qu'il me reste un dernier shoot, je décide d'aller le faire dans les toilettes privées de la gare du Nord. Je m'enferme, je me shoote en deux secondes. Tout se passe bien Je ressors. Je me lave les mains. Il y a a la caisse un mec qui fixe et scrute l'intérieur. Il me regarde bien fixement puis regarde les autres. Je commence à sortir. Je le vois présenter furtivement une petite carte blanche à la nana qui gère le portillon des toilettes et je l'entends dire « il y en a là ? ils sont là ? » Elle répond « non, non ». Lui : « ils sont venus ?? ». Je sors dans le hall et là , il y a une grosse patrouille de genre de CRS à trois mètres des toilettes.
Bon je m'en fous, j'ai plus rien sur moi, c'est bon, je vais pouvoir aller chercher mon scooter l'esprit tranquille...
C'est vrai que ces chiottes de la gare du Nord ou tout les skeneurs viennent se shooter sont minés, j'ai déjà entendu que les petites vieilles balançaient les consommateurs…
bref…
une vieille après-midi j'ai l'impression d'être devenu totalement paranoïaque. Pourtant ca fait plusieurs mois que je prends plus de
coke !!! Je crois surtout qu'en ce moment il y a du retard dans les chiffres et interpeller des consommateurs est le meilleur moyen pour gonfler les stats de la police nationale.
Ca sert à ça.