@Pika Je te remercie d'avoir fait ces recherches. Je pense que tu as vraiment bien compris la théorie et je n'ai pas grand-chose à ajouter à tes explications. J'apprécie beaucoup la façon détaillée dont tu retranscris ce que tu as assimilé.
Je ferai remarquer, à l'appui de cette dernière, que les zones les plus au centre du champ de vision sont associées à un plus grand nombre de neurones par unité de surface perçue. Les hallucinations géométriques présentent une plus forte densité de motifs au coeur du champ visuel, ce qui est cohérent avec l'idée que l'activation de l'aire V1 se fait de façon homogène et spontanée (donc sans zone privilégiée, ce qui
in fine favorise le centre du champ visuel).
Une théorie alternative (ou plutôt complémentaire) repose sur les hypothèses conjointes du cerveau entropique (Robin Cahart-Harris) et du codage prédictif.
Codage prédictif : pour interpréter le monde qui l'entoure, le cerveau ne peut analyser chaque élément séparément et en profondeur, car ses capacités de perception consciente sont limitées. Il construit donc un "modèle bayésien" qui consiste en un faisceau d'hypothèses sur l'état de la réalité à un instant donné. Chaque hypothèse est utilisée pour former une prédiction (inférence) quant à l'évolution future de la perception. Si la différence entre l'inférence et la perception correspondante est importante, les prédictions seront mises à jour pour tenter de minimiser la tension entre le modèle et la réalité. Dans certains cas, cette machinerie complexe conduit à halluciner les événements considérés comme hautement probables ; cette fonction est adaptative car elle permet une utilisation efficace des ressources cognitives (on s'épargne le traitement de l'info qui de toutes façons ne ferait que confirmer la prédiction dans 99% des cas). Elle est la principale responsable des illusions d'optique (et autres) et est largement exploitée par les prestidigitateurs. A un niveau encore plus élevé, c'est elle qui constitue le socle de la façon (forcément simplifiée) dont on se représente le monde. Neurologiquement, les états de prédiction sont représentés par des pattern spécifiques d'activation des neurones à diverses échelles (du plus local (aires sensorielles primaires) à la conscience intégrée) qui s'influencent mutuellement pour parvenir à créer un motif cohérent au niveau global.
Les corrélats neuronaux de ce dialogue permanent semblent être les rythmes gamma ("top-down" : inférences et modèle du monde, conscience, prédictions) et alpha/bêta ("bottom-up" : perceptions sensorielles, feedback).
Cerveau entropique : l'entropie est ici à comprendre comme une mesure de la quantité de désordre au sein des patterns de synchronisation neuronale, une plus grande entropie entraînant donc une plus importante variété des états d'excitation et une dissociation plus marquée des zones du cerveau entre elles. Les prédictions d'un cerveau hautement entropique sont donc plus spécifiques, plus nombreuses, et plus variables que dans un état de conscience normal.
Les psychédéliques classiques tels que la psylocibine sont agonistes d'un récepteur de la
sérotonine appelé 5HT2A, qui médie la plupart de leurs effets. Tous les neurones n'expriment par le récepteur 5HT2A au même degré ni ne sont identiquement sensibles à son activation. Les plus susceptibles de voir leur fonctionnement altéré sont notamment les neurones corticaux (couche V) et ceux des aires visuelles primaires. Les psychédéliques agiraient donc en priorité sur ces secteurs.
D'autres types d'hallucination que celles décrites par Cowan et Ermentrout semblent donc émerger de l'activation spontanée de réseaux neuronaux localisés primairement dans la couche V du néocortex, dans un pattern d'activité primairement responsable de l'inférence bayésienne. Ces neurones sont fréquemment prolongées dans des structures cérébrales distantes, telles que le thalamus, et ces connections (dans les fréquences de vibration dites gamma) sont entre autres dévolues du traitement des informations sensorielles ; elles semblent aussi impliquées dans l'élaboration de la perception consciente (des déficits à ce niveau causeraient certains symptômes
dissociatifs caractéristiques de la schizophrénie).
L'abaissement du seuil d'excitation, causé par l'agonisme 5HT2A (par un mécanisme encore débattu), aurait donc pour effet primaire l'augmentation de l'activité spontanée de certains neurones (entropie). Ce phénomène induirait la diminution de la synchronisation entre les éléments de chaque représentation inférentielle (prédiction) au sein du cerveau, provoquant un découplage plus ou moins net entre leurs différentes parts et une augmentation subséquente de leur niveau de détail, ainsi que la multiplication du nombre des états de prédiction possibles. La disruption des rythmes gamma caractériserait ce déplacement d'équilibre. Elle amoindrirait ainsi la capacité d'unification des perceptions sensorielles, causant cette espèce de surcharge envahissante de sensations qu'on peut avoir sous psychés.
L'écart entre la perception et les prédictions de plus en plus nombreuses et détaillées serait alors accrue par rapport à la normale, incitant le cerveau à alterner rapidement entre différentes interprétations (aka les impressions instables d'une même scène vécues sous psyéchédélique). Certaines prédictions seraient renforcées pour tenter de diminuer cette tension, ce qui provoquerait des hallucinations plus complexes (paréidolies : visages, éléments courants, etc.) que celles issues directement de la haute entropie des aires visuelles primaires.
Ce phénomène a été modélisé numériquement par un réseau de neurones informatique appelé Deep Dream, apportant du crédit à la théorie du codage prédictif dans l'apparition de l'état psychédélique. Ci-dessous, la même image traitée par Deep Dream, avec un focus de l'entropie sur des couches différentes :
On voit bien apparaître les illusions de haut niveau (visages, têtes de chien) lorsque les couches les plus intégratives (équivalant dans le cerveau aux représentations unifiées/conscientes) sont perturbées, et celles de
base (déformations visuelles des éléments individuels : lignes, formes) quand l'entropie est prononcée sur les couches plus basses (celles qui correspondraient aux aires visuelles primaires dans le modèle).
Une nuance importante entre cette hypothèse et celle qu'expose brillamment Pikazépam est que, selon cette dernière, l'excitation des neurones de l'aire V1 conduit spontanément, par des mécanismes mathématiques tenant à la disposition intrinsèque des connections neuronales dans ce secteur, à l'apparition de motifs réguliers qui se traduisent ensuite par des formes observées consciemment,
y compris chez des personnes aveugles de naissance dont le cortex visuel n'a donc jamais effectué d'inférences prédictives basées sur l'expérience du monde observé. Il semblerait toutefois que le cortex dit visuel exprime une fonction plus large et soit en fait impliqué dans la représentation spatiale en général, qui repose principalement sur la vision chez l'humain disposant de ce sens, mais fait appel à d'autres ressources d'input chez les personnes qui en sont privées (on a ainsi pu voir à l'IRM une activation des aires visuelles semblables à celle des individus voyants à la fois chez des aveugles de naissance et chez des personnes ayant vécu les yeux bandés plusieurs semaines durant). Il n'est pas non plus irréaliste de penser que la structure fondamentale de l'aire primaire V1 soit déterminée par des mécanismes génétiques spécifiques qui l'adapteraient à un traitement optimisé de l'information spatiale, et donc à l'inférence des formes les plus susceptibles d'être rencontrées par les êtres vivants.
Il y aurait encore énormément d'angles à aborder et cette théorie ainsi les éléments qu'elle utilise semblent apporter des éléments d'explication à bien d'autres phénomènes, aussi bien psychédéliques (capacité d'association conceptuelles accrues, créativité, dépassement des schémas d'activation rigides rencontrés par ex. dans la dépression) que psychiatriques (schizophrénie, autisme...), mais ce message est déjà assez long et je ne veux pas décourager celles et ceux qui me lisent...
Quelques ressources pour qui voudrait creuser plus loin :
https://www.nature.com/articles/s41598-017-16316-2https://www.socsci.ru.nl/johank/hashkes_170201.pdfhttps://en.wikipedia.org/wiki/Predictive_codingPikazepam a écrit
Y'a d'autres recherches et éléments qui vont plus en profondeur mais j'ai moins eu la motive de creuser et ça a l'aire assez compliqué.
Tu as des liens ? Je trouve ce thème super intéressant et je connais pas trop mal la neuro, j'arriverai peut-être à donner du sens à tout ça.