Contexte : Ca fait longtemps, bien trop longtemps que je n'ai pas posté de réel trip report ici. Ayant récemment suivi les conseils de notre cool oncle commun Terrence McKenna sur ses fameux 5g secs dans le noir tout seul, ce que je n'avais au final jamais fait en quinze ans d'exploration psychédélique, je me suis retrouvé à avoir beaucoup à en dire. Taille : 1.88m
Poids : 82kg
Age : 30 ans
Substance principale : Psilocin/Psilocybin
Substances additionnelles : s-ketamine, NN-DMT
A 00h31 (T) Ingestion des
psilocybes secs, tels quels, sans citron.
T +35min. Une secousse se fait ressentir. Un grondement s'élève. Début de la fulgurance.
T+45min. Menace, ténèbres internes, intrusions visuelles de plus en plus concrètes yeux fermés. À l'oreille, impression d'un disque qui saute, distortions de la forme du temps, comme si à chaque pensée ou concept le cerveau changeait de ligne spatio-temporelle, en errant entre présent, futur, passé et absolu. Je sais d'expérience que je peux m'abandonner, que je dois m'abandonner, mais le contraste avec les expériences précédentes de cet été sous
LSD et 2-CB est frappant : il n'y a pas de "connexion au tout" à ce stade, ou alors, en tant que partie prenante, je ne peux le concevoir. Il n'y a pas de "tout", et de ce fait, je ne sais pas à quoi m'abandonner. L'univers est éminemment sombre et personnel. On y trouve uniquement l'intérieur de mon être, mes terreurs internes, et ce que le Champignon en fait ou voudrait bien que j'en fasse.
T+50 min. Il retourne mes mots et veut jouer avec moi. Je réalise qu'il pioche dans des éléments de rêves anciens et cachés. Il n'y a pas de volonté derrière l'entité, pas de méchanceté, mais une grande neutralité. L'entité ne comprend pas ce dont j'ai peur. Pour elle, tout ne fait que s'installer.
T+1H. Je suis dissolu dans un espace que je n'ai pas choisi et une partie de moi lutte. J'ai demandé aux champignons, d'une voix douce et tremblante "Montre-moi l'amour, où se trouve l'amour, ce qu'est l'amour," mais je n'ai pas précisé ma question, je l'ai laissée dans son idée générale - le concept est trop vague et l'univers est insectoïde, à la fois vivant et menaçant, il m'inclut et m'exclut en même temps. Les yeux fermés, des vagues de conscience m'assaillent. Fulgurances de visages mystérieux apparaissant pour une fraction de seconde, et conversation directe avec le Champignon. Les mots sont clairs et me sautent dessus, ils s'impriment quelque part entre ma rétine et mon sternum, il n'y a pas vraiment de couleur dans ce monde de racine monochrome qui les inclut pourtant toutes.
T+1H15. Pendant un temps, je me laisse balancer dans la menace, masser par les vagues de mystère, je persiste à rester dans le silence, à garder la lumière éteinte, à suivre, par curiosité, tous les conseils de Mc Kenna au sujet de la dose héroïque. Le Champignon me demande si je veux "Vraiment voir où l'amour habite. "T'es sûr ? T'es sûr? T'es sûr?" La question est incessante. Je dis oui, malgré ma crainte. Subitement, tout devient sombre et un monde entier se rétracte sur lui-même. Je vois une forme semi-conique flotter dans l'espace, ou sous terre, une machine-insecte en rotation, infiniment complexe, clairement non euclidienne, aux facettes infinies mais cohérentes, qui se porte elle-même dans la matière, en rotation.
Je demande au Champignon à quoi elle "sert" et me fais engueuler. "Elle ne tourne pas pour faire ni servir, elle tourne pour ÊTRE! - inutile! - la cellule du tout!" J'écoute cette correction, la prends en compte, puis le silence se fait.
T+1h40. Tout devient vide, étrange, solitaire et pourtant familier, comme un lieu où les ténèbres vivent en paix. Au fond de mon champ de vision, la machine organique, le vaisseau spatial continue de pulser. Je demande au Champignon s'il vient d'une autre planète. Il me dit que non : simplement d'un autre endroit. "Autre planète ? C'est dans cette terre que je pousse. Je me fais partiellement engueuler par une plante et me sens subitement humble. Je suis toujours dans le noir, mais il y a un chemin. Une part de mon esprit insiste : ceci n'est pas ta place, ceci n'est pas confortable, juste beau, étrange et sombre. Un autre côté, plus courageux, plus primal de mon être me dit de persister : "Cela aussi passera. Reste. Accepte-nous. Accepte le message. Comme une radio qui grésille. Une étape vers la suite". Je me perds dans le flottement des formes et des concepts, petit à petit ce qui me semblait sombre et menaçant apparaît comme une ombre neutre, un miroir de mes peurs. Je dis au champignon qu'il m'arnaque. Je lui ai demandé de me montrer "l'amour", et il me montre un étrange monde de doutes, de solitude, d'étrangeté et de vide. Et comme un imbécile, je m'en surprends. Il me rit au nez "Ce que vous humains appelez l'amour est une torture, un nœud, une chaîne, un instinct déformé." Il ne comprend pas pourquoi je suis étonné d'être confronté à tant de noirceur en ayant voulu parler d'amour. "Tu aurais pourtant bien dû t'y attendre, t'y attendre, t'y attendre"... L'amour existe, mais pas ici. Je suis l'intellect, la déconnexion, la neutralité. L'hyperconnexion aux choses provoquée par le
LSD devient ici un indole inverse, un combat, un contre-pouvoir de déconnexion pour mieux revenir au tout. Peut-être. Pour l'instant, je ne suis pas sûr d'être capable d'émotion. Je suis un être sombre dans le territoire de l'amour, et autour de moi, les machines vibrent de matière. Ainsi soit-il.
T+2h30. L'expérience de "la dose héroïque" dans le noir telle que décrite dans la littérature psychédélique devient un miroir d'elle-même, un épouvantail par lequel je suis désormais passé, une déconnexion dans la connexion dont il faut faire fi, un faux repli d'hyper réalité dont il faudrait désormais penser à s'extraire en y ajoutant une part de moi plus importante qu'un simple abandon - donner à l'abandon la force de faire, le manifester par une volonté plus personnelle. Le champignon gueule encore, rigolard mais bienveillant : "Alors, ça te réussit pas de suivre des règles et des conseils hein ? D'ailleurs, depuis quand tu suis des règles ? Quelle idée." Je réalise que toutes ces histoires, toute cette suggestivité parfois morbide, était l'inception, l'incubation d'un espace de réalité et d'exploration - il fallait purger les insectes du fond de mon âme pour pouvoir monter vers la couleur. J'allume la lumière et décide de briser le mythe de la conversation dans le noir total, d'inclure une voix externe - comme le champignon l'indique, le seul héroïsme valable est celui que l'on se fixe pour conserver le Logos, la conscience du verbe, le sens du bruit, l'action pénétrante. Je me mets sur mes jambes et mon corps est lourd, et l'image de moi-même que j'arrive à attraper au vol est celle d'un homo sapiens penché sur un buisson de fruits trop mûrs. Une nouvelle étape s'ouvre. T+2h40 : Je me dirige vers le salon tel un singe maladroit, subitement trop conscient de la présence de son corps, de son système nerveux, je sens ma colonne vertébrale, chaque nerf, chaque tendon, chaque petite piqûre électrique le long de mes os, dans un état d'hyperconscience presque insoutenable. Je crée avec mes doigts une nouvelle forme d'acupuncture quasi transcendentale, baladant la pression sur les zones les plus sensibles. La lumière soudaine m'a sorti des ténèbres, mais une mystérieuse menace pèse encore, désormais liée à l'hyperconscience du corps.
T+3h. J'ai besoin de canaliser cette expérience, je ne suis pas un cerveau-corps, ni un corps-cerveau, je les veux chacun dans leur case. J'écrase 250 mg de S-Ketamine et les inhale. Le soulagement est presque immédiat. Ce qui était un monde allant du monochrome à l'orange se gonfle de couleur et de possibilité. L'univers visuel devient vivant et rigolard. Mon corps est confortable. Pour la première fois en presque 4 heures, je me rappelle de la sensation perdue du rire. Je ris fort, à tout, je reviens dans un monde proche de ce que les champignons, à plus basses doses, m'avaient toujours fait voir jusqu'à là. Je reviens dans la chambre et réalise alors que mon état précédent relevait de quelque chose de nouveau, de l'inconfort absolu d'une expérience mystique trop extrême, suffisamment extrême, mais approchée avec non pas assez, mais peut-être trop de respect et de révérence, comme si mon intérieur psychédélique devait, soudainement, être plus ménagé qu'auparavant.
T +4h. Désormais je suis de retour dans une matrice connue, le flot d'informations et d'images est incessant mais il n'y a plus de menace, de viande, de portes à demi ouvertes cachant des mystères terrifiants. Désormais le cylindre vivant, l'insecte rotatif est flamboyant comme une cité Maya, et tous les concepts prennent vie à mesure que je les entends et qu'ils me pénètrent. Je flotte. Tout devient pénétrant et immense et enfin, la connexion au monde, aux choses, à la nature, ce sens inné d'appartenance à un tout unique aux
tryptamines me revient comme un flash. "Tu ne l'avais pas perdu", me dit le Champignon. "Simplement, il y avait un chemin. Il faut passer par le chemin. Tu sais aller au but, mais bien souvent, tu évites le chemin !"
Encore une fois je me sens humble. Je brise le silence. La voix du Youtubeur "Shaun" retentit, mélangée à celle des Champignons qui subitement lui donnent, par moments malicieux, une voix de lutin du fond des âges, d'elfe perdu dans les bois qui veut seulement, simplement, faire une blague de plus pour toujours. "Shaun", qui fait un essai sur les contradictions et zones d'ombre d'une saga pour jeunes adultes bien connue, déconstruit des concepts avec humour et défait les valeurs d'un univers en carton-pâte. Je me rends subitement compte que l'inanité de l'univers d'Harry Potter, que l'hypersigil que représente l'idée même de Poudlard est une métaphore faisant miroir à l'existence entière des générations nées autour, que ce soit une dizaine d'années avant ou après, de l'an 2000, et de leur nature fondamentalement néolibérale, biaisée, vide, comme une potentielle non-existence dans un monde qui s'attendrait à un statu quo éternel auquel personne ne touche. Je me rends compte que le Sexe est un Verbe et que la Pénétration est un Bruit, et que tout être est au Service de ce Bruit. Dans un éternel amas de création et d'entropie, la rotation persiste et nous flottons dans l'espace. "PAS DANS L'ESPACE!" me dit le champignon. "Toi comme moi, on aime bien l'oxygène, non ?"
J'acquiesce et respire. Je me concentre sur la voix de Shaun. Mon
joint de
cannabis est un sommet de plaisir et de délectation. Je sens le pouvoir de la plante, et sa façon de saluer le champignon lui-même, de converser avec l'autre plante présente, dans un grand conciliabule de végétal savant. J'assiste à cette rencontre comme une créature à la fois paralysée et omnipotente - un sentiment des plus étranges, et pourtant libérateur. Mon système nerveux m'alerte à nouveau. 100 mg de S-Ketamine et un
joint de plus amènent un regain de paix, mais je ne veux plus rire. Désormais, je veux contempler, uniquement contempler. Je laisse l'essai de Shaun se terminer et reviens, désormais avec plaisir, au silence et à l'obscurité que j'avais fui auparavant. La boucle semble bouclée. Un nouveau chapitre s'ouvre.
T+4h40. C'est l'heure des cités d'or, ou de la seule chose qui, dans un monde moderne de post-conscience et de paralysie sociale et sociétale, puisse s'en approcher - le paroxysme visuel de la drogue visionnaire, la perte dans le tunnel fractal qui veut tout et rien dire, et subitement les mots perdent tout pouvoir, tout intérêt, les mots sont imparfaits et trop faibles, incompétents à retranscrire la construction des pyramides et le serpentage des indoles à travers les récepteurs synaptiques. Il y a un chrysanthème au centre du cerveau, ou plutôt de l'esprit, il y a une âme de la
sérotonine. Les champignons n'auraient pas été adaptés à une "révolution hippie", "révolution de la conscience" comme l'a été le
LSD dans les années 60, parce que l'acide est cinématographique. Avec un peu d'entraînement, et même à des doses relativement élevées, on peut si on a l'habitude de la Bête la décrire plus ou moins, faire le commentaire du réalisateur, faire sens de la direction des choses. Ici, non.
Tout est hyperconnecté mais hyperpersonnel. L'ego n'est plus vraiment là, mais la conscience de son existence "ailleurs" est extrême. Si l'acide est psychanalytique dans le sens le plus imagé et potentiellement doux du terme, la psilocine est une confrontation sans gants ni règles avec l'inconscient et les machines désirantes, via un prisme qui n'est que partiellement contrôlé. Non. Une révolution hippie sous ces termes-là aurait été encore plus impossible que celle que, dans sa bêtise et sa naïveté, Timothy Leary a essayé d'imposer au monde. Aussi sincère puisse être l'acide, il porte en lui une part de fiction qui en fait un allié presque facile, une entité de poète. Ici, le champignon est son propre poète, et je ne suis qu'un vers, un verbe, une éclosion dans son sillage. Il faut être prêt à traverser, en pleine conscience, l'univers que l'on oublie habituellement au réveil car il est trop dur à maintenir dans le conscient. On pourrait alors penser que l'expérience de la
psilocybine n'est qu'interne, que le champignon est solitaire et isolé, mais non. Il ne fait que morpher les situations et les désirs, s'adapter aux pensées et aux refoulements, aux situations et aux attentes. C'est une forme en mouvement, une connexion dont les effets se font ressentir petit à petit, comme un "slow burn", au contraire d'un
LSD et de son sens de dissolution écstatique, tantrique immédiate, il faut ici gagner sa libération. Et quiconque n'est pas prêt à traverser une part de son désert interne pour le faire ne le "méritera", si l'on peut parler ainsi, peut-être pas. Mais en s'abandonnant à l'acceptation, en acceptant la secousse, l'homme qui veut grandir tirera de cette expérience de déconnexion-reconnexion-fusion une impression durable de richesse, d'ouverture, et de sens. Comme si le monde ne pouvait être qu'intéressant et que les nouvelles rencontres ne pouvaient, si approché avec bon sens et intelligence, n'être que belles.
T+ 5h. Perdu dans un tunnel fractal, je me dissous peu à peu entre sourires-souvenirs, reflux d'enfance, lieux perdus ou oubliés, jamais vu ou trop pensés, et je souris dans ma chrysalide. Le monde est une enveloppe, je fais partie de son contenu, et quelque chose quelque part maintient, par volonté ou par hasard, le tout en ordre, en équilibre. Je vois une horloge immense et me consume dans l'entropie. Petit à petit, la conscience se perd.
T+6h15. J'estime l'arrivée du sommeil autour de 7 ou 8 heures du matin, comme un soulagement, une récompense, ou simplement une transition logique. Lentement, je sombre sans m'en rendre compte, ou bien en sachant tout de la frontière entre l'éveil et l'absence. Quoi qu'il en soit, sans que je sache exactement quand, le sommeil arrive comme un interlude de fin de conscience.
T+10h40. Vers dix heures et demi du matin, je suis réveillé par l'interphone, mais sans stress ni peine ni dérangement. Un ami est là, il veut me voir. Je suis un homme nouveau, subitement propre et reposé. La conclusion à cette expérience me paraît simple, et je prépare 200 mg de N,N-Diméthyltryptamine que je partage en deux. Nous fumons, paisiblement, le calumet. La
DMT me souhaite la bienvenue, me dit bonjour, me câline, et en même temps m'avertit gentiment qu'il est peut-être temps de ralentir, de réfléchir, de sentir et concevoir ce qui vient d'être vécu avant que cela ne s'efface dans les méandres du mélange des expériences, dans l'imbroglio psychédélique. "Bienvenue, mais prends ton temps, voyageur", dit la
DMT. "Tu as donné beaucoup de ton âme dans cette affaire, dans cette boucle de réalité. Prends cet oreiller, repose-toi, pour l'instant, tu en as assez fait." La
changa raisonne comme un petit-déjeuner mental, comme la conclusion logique à sa cousine psilocine, plus chaude, plus englobante, mais d'une puissance tellement inimaginable que même les plus prétentieux osent rarement abuser de son hospitalité.
Alors d'accord. Voici du papier, et voici le Verbe. Il est temps d'écrire, il n'y a pas de vanité, et tout inutile demeure utile dans le pli des choses. Les mots échoueront une fois de plus, c'est vrai, sûrement. Néanmoins, de leur échec même naîtront de nouveaux mondes et tous les concepts adjacents à ces mondes. Et à travers cette Nouveauté, dans la vibration des indoles, dans la cacophonie des récepteurs, naîtront des inventeurs de mots, des dompteurs de Logos et des tigres d'ombres ; dont les ombres laissent naître d'autres mondes, qui eux-mêmes engendrent de nouveaux créateurs, créateurs qu'il faudra ensuite décrire avec d'autres mots pour rendre compte de leur gloire - etc. Il n'y a pas de finitude conceptuelle. Seulement la Rotation.
Pas de panique, mes amis - le chrysanthème sait ce qu'il fait. Derrière tout homme, il y a un plan. Derrière tout plan, s'il est possible, un amour. Notre volonté sera faite, sur la terre, peut-être, sûrement - et au diable le Ciel, après tout, les cieux dénués d'oxygène ne sont qu'un rêve de créature apeurée par ses propres poumons. Je préfère une respiration qui accepte les monstres qu'un ciel qui n'accepte aucun souffle.
De loin, et pour au moins quatre éternités, dix-huit rotations, six révélations et trois prophètes. Le temps d'un souffle, en somme.
Selah.
NOTES FINALES : Ce qui précède est long; sincère, et touche à des choses personnelles qui peuvent faire échos à des ressenti inattendus ou mettre mal à l'aise. Ceux qui ont déja lu mes TR sur ce site savent ce qu'il en est : je préfère tout dire qu'éditer pour faire joli. Néanmoins, quand je mentionne un truc comme fumer de la NN DMT en plein pic de champis, [i]je recommende pas pour autant à quiconque qui n'est pas familier avec les deux molécules de faire de même. C'est une expérience personnelle à prendre avec des pincettes. Merci d'avoir lu.
Dernière modification par NotToTouchTheEarth (15 mars 2024 à 13:44)