Témoignage 1994 Kurt Cobain dépendance héroïne

Bonjour à tous,
Je sors de l'ombre, c'est la première fois que je tente de proposer quelque chose sur ce forum. Je suis né en 1975 et cela fait désormais 34 ans que je flirt avec la dame blanche. Oui la 4. Adolescent, une de mes principale influence musicale était le hard rock et ce qui allait devenir plus tard le symbole du pop-rock : Nirvana. J'idolâtrais la nonchalance et toute les histoires sombres qu'il y avait autours de Kurt Cobain plus particulièrement. J'ai vu à l'époque en la drogue, un moyen d'échapper à la société, lui faire un gros doigt, de montrer que je suis contre ce système. Je me trompais, ce n'est pas en luttant contre quelque chose qu'on le fait disparaître. Au contraire, on le nourrit. Je me rends compte aujourd'hui avec effrois qu'il n'y a pas plus esclave du système qu'un dépendant à l'héroïne  et croyez moi, mon vieux corps croulant peut en témoigner. Dépendant au système de santé, parfois aux revenus sociaux à la famille, aux amis, la dépendance s'insinue dans tous les domaines de ta vie. Tu dois même être sous héroïne pour avoir le droit de ressentir une émotion positive. Il n'y a pas longtemps je suis retombé sur le "journal de Kurt Cobain". A la fin de l'ouvrage, Kurt parle de drogue, et cette fois il n'en parle pas de manière brève ou flou. Il nous montre sa vision de l'addiction.
Alors bien que 30 ans après certains passages peuvent parfois paraître réducteur compte tenu de ce que l'on sait de la complexité de la chose actuellement, je trouve cela intéressant de comprendre comment une légende accro aux substance voyait l'addiction à cette époque (pour ceux qui l'ont connu).

Journal de Kurt Cobain, Février 1994 :

Je me souviens avoir entendu quelqu'un dire "si tu touches à l'héro ne serait-ce qu'une fois, tu deviens accro". Bien sûr j'avais ricané, mais à présent je crois que c'est très vrai. Pas au sens littéral, je veux dire, on ne devient pas instantanément accro après une seule fois. Il faut en général un mois si on prend tous les jours pour devenir physiquement dépendant. Mais après la première fois votre esprit se dit "aah c'était très agréable, tant que je ne ne le fais pas tous les jours, je n'aurai pas de problème". Le problème est précisément que ça se produit sur une certaine période de temps. Commençons par le 1er janvier, allez je me défonce pour la première fois. Consciemment, vous ne recommencerez pas pendant peut-être un mois. Février, deux fois, mars 3 jours d'affilée. Ou février 3 jours d'affilée et une fois encore à la fin du mois, mars peut-être pas du tout. Avril 5 jours de suite et arrêt complet pendant 3 jours. Mai, 10 jours de suite. Pendant ces dix jours il est très facile de perdre la notion du temps. Ca peut paraître 3 jours mais deux semaines se sont écoulées. Les effets sont encore plaisant et vous pouvez toujours choisir quels jours vous en prenez donc, naturellement, il ne doit pas y avoir de problème. Et puisque tout le monde connaît une sorte de crise au moins une fois par an, perte d'un ami ou d'un copain ou d'un parent, c'est le moment où la drogue vous fait dire "et merde tant pis !". Tous les drogués se sont dit "et merde tant pis" plus de fois qu'ils ne peuvent en compter. Cet exemple tient sur une seule page mais sur une année d'usage occasionnel, la personne comptabilise plus de jours sans qu'avec. Ca vous consume lentement et progressivement parce que une journée dure 24 heures et que personne n'a envie d'être accro. Ca n'arrive pas aussi vite que dans un film parce qu'un film doit montrer tous les trucs palpitants en 2 heures. Deux heures sur une année de défonce occasionnelle c'est rien du tout. Mais à partir du moment où vous vous êtes dit "et merde tant pis !", commence le long processus consistant à essayer de rester clean. Le premier essai pour décrocher est généralement facile si vous avez des médocs. En gros, on dort, ce qui est selon moi une mauvaise chose parce qu'on se dit "si c'est si facile, je peux replonger et décrocher ensuite pour le restant de mes jours" . A la deuxième puis la troisième tentative, ça devient très différent. Se désintoxiquer dure parfois cinq fois plus longtemps. Les facteurs psychologiques sont entrés en jeu et se révèlent aussi dévastateurs que les effets physiques. Et plus ça va, plus c'est dur d'arrêter. Même la personne la plus phobique des aiguilles peut éprouver un besoin irrésistible de se soulager en se plantant une seringue dans le bras. L'usage de drogues est une fuite en avant qu'on veuille bien l'admettre ou non. Une personne peut avoir passé des mois, des années à essayer d'obtenir de l'aide, tout ce temps n'est rien comparé aux années qu'il faut pour se désintoxiquer complètement. Tous les junkies que j'ai rencontrées ont ramé au minimum 5 ans et la plupart d'entre eux se battent pendant 15 à 25 ans, jusqu'à se résoudre finalement à devenir les esclaves d'une autre dépendance : les 12 étapes qui constituent en elles-mêmes une autre drogue/religion. Si ça marche pour vous, faites-le. Si votre égo est trop développé, commencez par le début et allez voir un psy. Dans tous les cas, vous avez au minimum 5 à 10 ans de lutte devant vous.

Dernière modification par pierre (06 juin 2024 à  10:43)