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Réverb (nouvel essai...) 



Noyau dur de l'Absurde

Le Démon est dans les reflets.


Acte I



C’est le troisième jour du miroitement. La salle des captifs s’ouvre en fondu noir et distinct ; Elle est immense, dépassant de long en large les 5000 mètres carrés. En son minuscule centre s’opère une configuration cerclée, d’où réémergent puis s’éveillent huit personnes, prostrées sur des chaises à bascule. Les lueurs de plus en plus élevées montent en énergie, jusqu’aux escales graduelles de tons clairs indigos, montant subtilement en puissance. Les cent caméras postées aux angles légèrement courbés émettent un bruit sourd et s’allument derechef, pour capter les quelques nouveaux mots, les quelques premiers et derniers mots des capturés ; des mots résonnant comme ceux prononcés dans une cathédrale, ou par l’effet d’un écho entre deux parois rocheuses ; mais surtout - la captation expressive des visages tourmentés ou troublés.




L’homme-machine 6.4IS – Yp opduptdoipv… Fit wotoupt tept f’eyvsit qesiommit !

L’ufologue Tidsiv – Désolé feuille morte. On ne comprend toujours pas ce que vous dites. Vous pourriez au moins retirer votre casque R.V planté dans vos orbites et sur vos tempes… et ces cordons de titane dégueulasses qui vous sortent des artères et des omoplates… Ah enfin ! monsieur Madhi, vous voilà ré-éveillé, enfin… si j’ose dire. Nous nous connaissons bien mieux désormais. Je vois que les autres reviennent également à la conscience.

Le médium Madhi – Être-là. C’est tout ce qui nous questionne. Être-là et pas ailleurs, jamais d’ailleurs, jamais de transposition en un lieu aléatoire et désiré. 

Le dionysiaque Wumupvi – Être-là en effet. Pouvoir dire : j’étais là. J’y étais. Même si je dois changer autant de perspectives qu’il le faut. Plus jamais l’exaltation terrestre ne nous quittera !

Le médium Madhi – Que plus jamais notre compagne « vacuité » ne nous quitte ! n’est-ce pas ma très chère ?

La médium Lefzao – « Une pluie ravageuse de sirènes, un vent monstrueux de poussières ».

L’homme-machine 6.4IS  – Mi dsefu ni gozi fy sihesf, ki p’eoni qet dima.

Le paria Diod – Hé shit… c’est sur moi qu’il jacte ?

L’ufologue Tidsiv  – Je crois que « mi dsefu » signifie « le crado »…

Le paria Diod –  Ouais bon j’vois, à peine sorti de ce coma, vous m’emmerdez déjà. La vie est une mort lente. J’suis random ; à côté d’mes pompes, et je ne parle pas de came là. À la dérive, vilain pas-beau-paquebot rouillé par une blessure. Un dialogue dans l’opacité du soi, un dialogue avec soi-même, le fruit pourri d’un grave symptôme de l’époque.

La médium Lefzao – Symptômes de l’époque… et blessure. Mais de quelle blessure parles-tu ?

Le paria Diod – La peur du changement qui se meut comme un serpent. La peur de son mouvement. Misérable taré qui essaye de courir, de détaler, de rattraper le temps ; tout se fige et la pulsion vitale faiblit d’un jour à l’autre, d’un jour qui chasse la veille. Dans guérir il y a le son « guerre », cependant il n’y aura pas d’apogée, ergo - pas de chute.

Le dionysiaque Wumupvi – Ergo ? Ergo il n’y a rien à espérer du désespoir, du soulagement ou du défouloir. La nuit s’étend déjà au-delà de notre regard - les vagues hautes de plus grandes aspirations balayent une large étendue d’espoir !

L’ufologue Tidsiv – Personnellement, les effets spéciaux hallucinants du continuum espace-temps ne m’impressionnent plus - et ce depuis un baye. Les passions peuvent réanimer la vie… mais toujours s’en suit l’effroi d’une possible apocalypse.

Le médium Madhi – Est-ce l’un de ces « êtres de lumière », que vous traquez depuis si longtemps, qui vous a fait forger ce sentiment ?

L’ufologue Tidsiv  – Non c’est ce couple face-à nous, qui ne dit mots depuis le deuxième jour et qui se murmure des trucs en catimini. C’est encore une impression de déjà-vu…

Le dionysiaque Wumupvi – Les derniers ne seront jamais les premiers. Mais les premiers, un jour, leur feront une queue de poisson.

Le médium Madhi – Rien n’a changé, nous ne faisons que recycler, recycler, recycler, mais il y a quand même un détail trop imposant pour être oublié : notre époque est somme toute celle de l’apparence exacerbée. Les dernières étapes du progrès ne sont que des microphénomènes, follement éphémères. Les derniers coups d’éclats de notre temps présent, qu’ils soient issus des droites, des gauches ou de l’extrême-centre disparaitront comme une excessive allusion aux projets prométhéens futurs. Les prophéties resteront auto-réalisatrices.

Le dionysiaque Wumupvi – Dites-moi, sur quoi s’est construit le fait que baiser dans l’espace-public soit plus indigne que le fait de… disons, manger en public ? Dès l’origine, ça aurait pu être l’exact inverse : le sexe dans l’espace-public aurait pu être sans la moindre pudeur et sans la moindre gêne, alors que manger dans l’espace-public aurait pu être totalement sacralisé, très intime et indécent…

Le paria Diod – Et ça y’est c’est reparti… ça fait trois jours que dure ce cercle, et nous continuons comme des blaireaux à blablater sur la destruction de la raison… Nous ne savons même pas pourquoi nous sommes là… et ces foutues caméras qui ne nous lâchent pas du regard !

L’homme-machine 6.4IS – To vy wiyz vipvis fi v’ipgyos, itteai iv niysv dunni yp junna !

La médium Lefzao – « Trou béant dans le ciel, mort vertigineuse ». Diod, que proposes-tu ?

Le paria Diod – Déjà que l’autre 6 point 4-I-S arrête de m’apostropher avec son langage et sa dégaine robotisé.

Le médium Madhi – « Cicatrise » en fait. 6-4-IS… n’est-ce pas ?

L’homme-machine 6.4IS – D’itv izedv !

Le paria Diod – Ouais ouais peut-être, en tout cas il me sort par les yeux ce nerd allumé… 

L’ufologue Tidsiv – On nous racontait autrefois que « les yeux sont le miroir de l’âme. » Mais tes yeux à toi ont l’air d’avoir été frappé dix fois par la foudre d’un PAN. Heu… Ah ! Nom-de-dieu : cher monsieur chère madame, cessez de nous dévisager avec tant d’insistance et cessez de ne parler qu’entre vous !

Le paria Diod – Mes yeux sont tels qu’ils sont, s’ils ont changés d’expression avec le temps, j’vois pas ce qui peut en être la cause…

Le dionysiaque Wumupvi – Les drogues très certainement. La soulerie des drogues. L’anarchie de l’ivresse n’est pas un idéal, mais une pulsion fêtarde illimitée, intégrale et universelle.

Le paria Diod – Bon okay. Vous voyez… il est cinq heures du matin. Dans le flot de mes images nocturnes ressort une première pensée - qui me vient lorsque sonne le réveil : cette fois-ci, j’imposerais mes idées comme je l’entends, je n’aurais plus à en rougir, je n’aurais plus à en avoir peur, je n’aurais plus à sentir qu’elles sont nuisibles ou punissables, je n’aurais plus à ressentir l’impression que ma grisaille morale est contagieuse, désormais je serais prêt à crever pour elles, ces idées-mondes bazardées, ces idées-mondes insipides ou bigarrées, ces idées-mondes nulles à chier, ces idées-mondes blafardées, balafrées… mais toutes et toujours aussi fertiles, évasives ou coulissantes que le Nil.

L’homme-machine 6.4IS –  Mi Pom ? Quysryuo ettudois vit « ofiit » ey Pom ?

La médium Lefzao – Foi en l’esprit…
                                                     « Ni pensée, ni réflexion, ni analyse,
                                                                 Ni exercice, ni intention,
                                                        Laissez-le s’installer de lui-même »

Le paria Diod – Bon. J’ai donc quelque chose à vous confier… me voilà au cœur de la confession. Je suis un être triple terrassé par une synesthésie quotidienne. Je vais vous livrer un message qui tourbillonne en moi - un monologue cérébral fanatique, illuminé par le désordre et la transe : l’évasion n’est pas un crime. Encore moins une trahison. Mais les cold-turkeys aux opioïdes sont des trucs indescriptibles, hyper véners, dangereux, délétères dans tous les sens du terme - et laissent même, quand on finit à en voir le bout, des marques aussi bien mentales que physiques. Les questions qui me hantent sont « pourquoi tu t'es fait vivre ça ? » « qu'est-ce que tu cherchais à prouver ? » « pour qui tu t'es pris ? Pour un surhomme ? »… La souffrance du sevrage hardcore est insupportable, et le cerveau qui fait des ronds sempiternels en tentant par tous les moyens de trouver une parade à cette souffrance occasionnée...  Ma petite amie de l’époque me l'a toujours dit : « ça sert à quoi de se faire du mal comme ça ? » Bah ça sert juste à rien, au final. Aujourd'hui j'ai franchis tous les caps du décrochage - râbla, CC, méthadone, subutex et pour finir... benzos -. Mais au fond, je n'en ai retiré aucune gratification, si c'était à refaire je m'y prendrais d'une manière mille fois plus prudente, moins risquée, et - sans doute - moins masochiste. Car j'en garde des quasi-traumas - surtout le cold-turkey à la méthadone, juste affreux à décrire. Et c'est effectivement le grand point d'interrogation : pourquoi beaucoup d’utilisateurs de drogues, qu'ils soient anciens ou nés de la dernière pluie, sentent en eux ce sentiment injustifié de culpabilisation ? Tu dis avoir de la haine contre toi-même, j'pense que ça fait hélas parti intégrante du processus de décrochage, tout le corps devient douleur, tout l'esprit se transforme en un ermite à qui on aurait coupé la langue, incapable de mettre des mots sur les sensations vécues, un ermite irrationnel et possédé, on a l'impression que la seule chose qui se meut et vit en nous est précisément le « centre de la douleur » - oh shit, c'est hélas bien réel, ce foutu « centre de la douleur » : la douleur centralisée est partout et nulle-part, elle est comme une lente infection qui ne dit jamais son nom, qui ne cesse de se manifester de façon sournoise et paradoxale... or les processus du cerveau, sans que l'on puisse s'en rendre compte, semblent à chaque instant, chaque seconde pénible à vivre, se réinitialiser... j'insiste et j'insisterais lourdement jusqu'à la fin à ce mot : Réinitialisation. On ne meurt pas d'un sevrage - et parfois j'en étais jusqu'à me dire : putain c'est bien dommage de pas - une fois pour toute - canner ici et maintenant, car à un moment donné, quand les symptômes s’amplifient, s'intensifient, stagnent, se réamplifient encore puis stagnent à nouveau, on se sent le devoir - presque l'obligation, comme un impératif - de dire « stop », c'est marche ou crève, c'est un sentier tortueux, c'est de la privation de sommeil, c'est du no-limite dans les visions cauchemardesques, c’est la constance du syndrome des jambes sans repos, et même parfois il y'a comme une odeur de soufre... sic… Mais ce qu'on ne perçoit jamais c'est que le corps trouve des parades et lentement se répare de toute cette pérégrination aberrante. Panne sèche sur l'autoroute, on se place sur le bas-côté, et sous une pluie torrentielle on se débrouille pour localiser le problème. Il en va de même pour ces saloperies de cravings, qui parfois me renversent - et pas seulement pour l'envie du flash, mais souvent pour le rituel en lui-même du shoot, ou parfois courbent l'échine face à mon abnégation. La résilience à mon sens nait dans les flammes. Mais c'est tellement eazy de faire tout ce verbiage quand on a réussi à sortir de ce féroce cauchemar, c'est forcément ce que je ne pouvais pas penser, c'est ce que je me disais en écoutant les anciens, j'étais tellement atteint, psychologiquement brisé, noyé en moi-même, en apnée constante, que tous les conseils, et leurs côtés sécure, me paraissaient du bullshit à l'état pur. Combattre le craving est possible. Mais se faire souffrir vainement pour tenter « d'être clean » c'est marcher sur un sol de verre, le jeu n'en vaut pas la chandelle, il n'y a pas de médaille à la clé, le cold-turkey c'est jouer avec le feu sans connaitre l'horreur de la brulure. Sorry si j'ai l'air cru... mais de toutes façons chaque personne peut y arriver, se sortir de ce sable mouvant ; c'est impossible à croire sur le moment, pourtant si c'est une petite vérité qui fait un doigt d'honneur à la petite mort... Inutile de souhaiter du courage, car le courage est déjà en nous. J’ai taclé mon état d'esprit quand j'étais en décrochage de subutex... j'ai souffert comme jamais. Mes symptômes de manque aux benzos ont disparus. Il y a un point de départ, un centre et une destination. Cette trinité est nécessaire. Essayer d'écrire la douleur. Tenter de la dresser. Cette peau de vache est souvent fiancée à la peur, et la peur fait bon ménage avec le stress... Et sorry pour ce satané-énorme verbiage... De tout cœur avec moi - mon double attaquant, mon double attaqué. Au fond - et pardon pour cette naïveté littéraire - nous ne sommes qu'un alliage de lumière et de douleur. Et nous pouvons être le capitaine de cette douleur… Voilà. C’est votre tour.

La médium Lefzao – C’est pour cela que la musique te colle fidèlement à la peau, elle est l’onde qui se substitue à tes souffrances. Nous ne ressemblons pas à l’image offerte par les autres, ni par les miroirs, ni par les technologies. Nous ressemblons clairement à notre ombre.

Le dionysiaque Wumupvi – Ne plus verser la moindre gouttelette de larmes, dans ce fleuve tragique qu’est la vie. Mourir est préférable au désir de vivre autre chose qu’un éternel enthousiasme pour la Terre.

Le paria Diod – Wow c’est étrange, c’est comme si je venais d’expulser de mon crâne le mauvais œil ! On dirait un plongeur en milieu sous-marin qui revient à la surface… J’ai l’impression que des souvenirs hantés me reviennent… Des souvenirs hantés d’une chute… d’une chute libre… et terrible…

L’homme-machine 6.4IS – Siim / Sîwi / Siwiom !

Le dionysiaque Wumupvi – Stephen Crane a écrit : Dans le désert
                                                                     j’ai vu une créature, nue, bestiale,
                                                                           qui, accroupie sur le sol,
                                                                      tenait son cœur entre ses mains
                                                                                      et le dévorait.
                                                                  Je lui ai dit : « Est-ce bon, mon amie ? »
                                                                    « C’est amer, amer », répondit-elle
                                                                                  « Mais je l’aime
                                                                                  parce que c’est amer
                                                                           et parce que c’est mon cœur. »

Le paria Diod – Est-ce que j’vais avoir assez de temps pour réaliser ce que j’ai à réaliser ? Et comprendre le passage zarbi d’un rêve que j’ai fait avant ce saut - qui reste flou en ma mémoire… un passage qui s’apparente encore ici à la certitude que la vie et la mort sont liés comme l’unique face d’une même pièce, une pièce sans pile. J’ai oublié le choc. Merde… j’ai oublié le choc…

Le médium Madhi
– « la mort n’est pas un évènement de la vie. La mort ne peut être vécue ».

L’homme-machine 6.4IS –
Vy fimoqit. Vuo pup qmyt qistuppi pi qohi soip e di ryi vy fot.

L’ufologue Tidsiv
– Désormais les faux-semblants nous ont intégralement absorbé. Jadis, il existait une époque tangible, où le monde était réel. Aujourd’hui notre monde est spectral. Mais nous ne savons toujours pas ce que nous faisons ici, ni ce que l’on doit faire...

[...]

à suivre... ( si le cœur y est, comme aujourd'hui...)




Catégorie : Expérimental - Hier à  15:08

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