Une démonstration imparable en faveur de la
dépénalisation des stupéfiants
La guerre contre la drogue est une idée idiote. La force et la peur n'en suppriment pas l'usage pour autant.
Nous devrions décriminaliser la possession et l’utilisation personnelles des stupéfiants interdits tout en continuant à poursuivre les fournisseurs illégaux. Voilà ce que conclut la Société royale pour la santé publique en Grande-Bretagne dans un rapport qui porte à réfléchir sur les résultats destructeurs de nos politiques hystériques sur les stupéfiants. Les arguments présentés pour le changement sont imparables.
La
dépénalisation est la proposition accrocheuse. Mais il découle logiquement de cette proposition que les stupéfiants ne sont en fait un problème de droit et d’ordre public que dans la mesure où nous en avons décidé ainsi, et qu’en réalité, ils sont plutôt un problème de santé publique. L’objectif des politiques devrait être la réduction des méfaits sur leurs utilisateurs et la société en général.
“Les stupéfiants ne sont en fait un problème de droit et d’ordre public que dans la mesure où nous en avons décidé ainsi, et qu’en réalité, ils sont plutôt un problème de santé publique”
Selon ce rapport, c’est la raison pour laquelle la responsabilité principale doit être transférée du système de justice au système de santé, et ainsi du Home Office au ministère de la Santé. Cela permettrait d’aligner la gestion de la consommation des stupéfiants sur les stratégies des produits légaux dangereux : l’alcool et le
tabac. Cela renforcerait également l’attention portée au traitement des toxicomanies. D’autres propositions visent à rendre obligatoire dans les écoles une éducation factuelle aux stupéfiants et à remplacer le classement actuel des médicaments par un classement basé sur des preuves de nocivité.
Tout ceci devrait être du bon sens. L’utilisation de stupéfiants est une caractéristique universelle des sociétés humaines. C’est également un fait que la consommation importante de stupéfiants légaux cause d’immenses dégâts. L’alcool (39millions de consommateurs réguliers au Royaume-Uni) est celui dont les conséquences sont les plus néfastes. Le
tabac (9millions de fumeurs) “reste la principale cause de maladies évitables et de décès prématurés au Royaume-Uni, faisant chaque année plus de victimes que les cinq autres causes de décès évitables réunies”. Ces deux stupéfiants coûtent également à la société beaucoup plus que tous ceux de la classe A (les plus dangereux) réunis. La classification des stupéfiants en substances légales et interdites est, en termes de dégâts, arbitraire.
Cela ne signifie pas qu’il faut prohiber l’alcool ou le
tabac. Au contraire, interdire une substance est nocif : par exemple, chaque année, le Royaume-Uni dépense plus de 4milliards de livres pour faire appliquer les lois sur les substances illicites. Les plus gros dégâts sont imputables à l’héroïne et au
crack par leur contribution à la criminalité. C’est ainsi, parce qu’ils sont illégaux.
Les coûts de l’interdiction des drogues vont bien au-delà . Il existe, par exemple, “un nombre concordant de preuves que les sanctions pénales ne sont pas efficaces” pour dissuader les utilisateurs de substances interdites. En revanche, l’impact de la prison sur les usagers de drogues est extrêmement préjudiciable, en particulier sur les jeunes. Une enquête récente a conclu que les peines de prison ont des conséquences négatives sur le développement des jeunes, distendent les liens avec leur famille et leur communauté, les traumatisent et les exposent à la violence des gangs. Il existe aussi des preuves troublantes que l’application des lois sur les stupéfiants est sujette aux préjugés raciaux : l’usage de stupéfiants interdits est plus faible chez les Noirs et les groupes ethniques minoritaires que dans la population blanche, “pourtant les Noirs sont six fois plus arrêtés et fouillés pour les drogues”.
Concrètement, les gens n’osent pas chercher de l’aide parce que l’usage de drogues est illégal : une enquête a révélé “qu’un jeune sur cinq ne demande pas d’aide par crainte que cela ne soit inscrit au casier judiciaire”. Sans soutien, les utilisateurs non seulement ont recours à la criminalité, mais sont poussés vers la prostitution.
“Le Portugal, a pris la décision de supprimer les sanctions pénales de la possession personnelle. Ce qui a entraîné une baisse de 80% des décès dus aux stupéfiants ”
La meilleure solution serait plutôt de maîtriser les conséquences sur les utilisateurs et la société. Le rapport note l’exemple du Portugal, qui en 2001 a pris la décision audacieuse de supprimer les sanctions pénales de la possession personnelle et s’est tourné vers la
réduction des risques et la promotion de la santé. Ce qui a entraîné une baisse de 80% des décès dus aux stupéfiants dès 2012, une baisse de 94% des nouveaux cas de VIH chez ceux qui s’injectent des drogues et une réduction des cas d’hépatite C et B. Au Portugal, la consommation de drogues est maintenant inférieure à la moyenne et aux coûts sociaux européens ; les coûts pour la santé et le système judiciaire ont notamment baissé de manière significative.
Avec le matraquage hystérique des tabloïds, le Royaume-Uni a pris une direction opposée. Mais les dégâts sur la santé causés par la consommation de drogues sont en hausse, même si l’usage de stupéfiants interdits lui-même semble être en baisse. Cet écart est dû en partie à l’augmentation de l’utilisation des drogues dangereuses. Pourtant, les nuisances sont plus importantes que le nombre d’utilisateurs. Ces nuisances se concentrent également sur les groupes vulnérables. Des ressources sont également gaspillées en sanctions au lieu d’aider les gens à “éviter, réduire et se remettre des conséquences dues à l’utilisation de drogues”.
La guerre contre la drogue est une idée idiote. La force et la peur ne peuvent pas anéantir leur utilisation. Raisonnablement, la société cherche à gérer les coûts sociaux de l’alcool et du
tabac en régulant leur approvisionnement. Cette approche est non seulement valable pour d’autres stupéfiants, mais elle est aussi la seule qui fait sens. La pénalisation est une terrible erreur. Pas parce que les stupéfiants sont inoffensifs, mais plutôt parce qu’ils sont nuisibles. Maîtriser le mal et promouvoir la santé sont en effet la seule approche saine.
Publié le 29/06/2016
Le nouvel économiste.fr
© The Financial Times
Bonne lecture a tous !
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