Fédération Addiction : « reprendre le dossier baclofène de manière ouverte et dépassionnée »Catherine Moréas
2 septembre 2020
France – L’AMM du Baclocur est suspendue, mais la saga du
baclofène continue. Les derniers rebondissements se jouent, pour l’heure, devant les tribunaux. Résumé des faits et point de vue du Dr Hélène Donnadieu-Rigole, responsable du département d’addictologie du CHU de Montpellier, qui prône une utilisation dépassionnée de cette molécule.
Situation figée Le 22 octobre 2018, le Baclocur (laboratoire Ethypharm) obtient une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’indication : réduction de la consommation d’alcool, à la dose maximale de 80 mg par jour. Il n’est commercialisé que le 15 juin 2020 avec un taux de remboursement de 15 %. Deux jours, plus tard, son AMM est suspendue par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par les associations BacloHelp et Aubes inquiètes pour les patients traités à plus de 80 mg par jour. Tous les dosages de Baclocur sont retirés du marché dans l’attente d’une décision sur le fond. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) se pourvoit aussitôt en cassation devant le Conseil d’Etat. Le dernier épisode a lieu le 30 juillet lorsque la requête en référé d’Ethypharm est rejetée. Le sort du Baclocur devrait être fixé d’ici fin 2020.
En attendant, la molécule
baclofène peut être prescrite soit dans le cadre de la Recommandation temporaire d’utilisation (RTU) émise par l’ANSM en 2014 et révisée en 2017 ; soit hors-AMM sous la responsabilité du prescripteur.
La RTU porte sur le Liorésal 10 mg et le
Baclofène Zentiva 10 mg, tous deux remboursés à 30 % par la Sécurité sociale. Le protocole de 2014 autorisait une posologie allant jusqu’à 300 mg par jour, avant qu’elle soit abaissée à 80 mg en juillet 2017. Cette RTU est valable en théorie jusqu’au 17 septembre 2020. Elle pourrait ensuite être renouvelée. Pour l’heure, la situation est figée : statu quo et beaucoup d’incertitudes sur le plan réglementaire.
Dépassionner le débatEt si on en profitait pour se poser et réfléchir ? C’est en substance ce que propose MG Addictions, le pôle Médecine générale de la Fédération Addiction qui, dans un communiqué du 8 juillet 2020, appelle à « reprendre le dossier
baclofène de manière ouverte et dépassionnée afin de mieux répondre à la diversité des besoins et des attentes des patients ainsi qu’à la demande de bien des professionnels de première ligne ».
Un appel, à ce jour, resté sans réponse.
Pour sortir de l’impasse, le Dr Hélène Donnadieu-Rigole, responsable du département d’addictologie du CHU de Montpellier, serait favorable à des évolutions prudentes et bien encadrées. La question des 80 mg n’est pas un tabou. Elle-même n’hésite pas à dépasser le plafond lorsque les résultats sont au rendez-vous : « Je n’utilise pas de fortes posologies, en tous cas jamais au-delà de 100 à 120 mg. Si le médicament n’est pas efficace, on l’arrête ». Elle regrette cependant que le
baclofène soit trop souvent prescrit « larga manu sans prise en charge globale ».
Pour dépasser la dose maximale autorisée, l’avis d’un spécialiste lui semble nécessaire, « quelqu’un qui fait de l’addictologie et qui a l’habitude de prescrire du
baclofène depuis longtemps. En l’occurrence, cet avis pourrait être de monter la dose si le patient a le profil ou, au contraire, d’arrêter le médicament s’il ne lui convient pas ».
Pour mieux sécuriser le prescripteur, on pourrait également systématiser un protocole de soins, négocié avec le médecin-conseil de la Sécurité sociale, comme cela se fait déjà en addictologie pour augmenter les doses de
Subutex. Dans le numéro 78 de la revue Le Flyer, le Dr Donnadieu-Rigole et ses co-signataires soulignent toutefois que cette démarche est très « caisse-dépendante ».
Une prise en charge difficile, avec ou sans baclofèneEn attendant que la situation s’éclaircisse, le
baclofène est pris par des milliers de patients – ils seraient près de 100 000 depuis dix ans, selon les estimations. En addictologie, il fait aujourd’hui partie du paysage. Dans sa pratique, le Dr Donnadieu-Rigole le considère comme un traitement de plus, permettant de proposer des solutions à géométrie variable en fonction de chaque patient : « Pour moi, c’est un médicament de deuxième ligne dans l’aide au maintien de l’abstinence après l’acamprosate et la
naloxone ; et dans le contrôle de la consommation d’alcool après avoir essayé sans médicament ; mais toujours dans le cadre d’une prise en charge globale. On ne crie pas assez, haut et fort, que la dépendance à l’alcool est une maladie chronique pour laquelle nous ne proposons pas de médicament-miracle, mais une prise en charge de longue haleine, difficile pour le patient et son entourage, avec ou sans
baclofène. »
Nous ne proposons pas de médicament-miracle, mais une prise en charge de longue haleine. Dr Hélène Donnadieu-RigolePossibilité de prendre le médicament à la demandeEn dehors du fait que le
baclofène provoque un certain désintérêt pour l’alcool et qu’il diminue le
craving, il offre deux leviers que cette addictologue n’hésite pas à utiliser. Le premier, c’est le côté «myorelaxant» du produit. Sous
baclofène, certains patients se sentent « plus apaisés, avec moins de tensions internes ». Le second, c’est la possibilité de prendre le médicament à la demande, notamment pour anticiper une situation à risque. « Prenons l’exemple d’un patient bien stabilisé à un ou deux comprimés par jour, explique le Dr Donnadieu-Rigole. Il est invité à un mariage où il sait qu’il sera tenté de boire. Au lieu de prendre 20 mg le soir, il passe à 30 mg une heure avant le mariage. Cela aide, dans le cadre d’un traitement global, à mieux repérer les signaux qui déclenchent l’envie de boire et à mieux se réguler. Beaucoup de mes patients, bien stabilisés avec des posologies relativement basses, augmentent de leur propre chef en situation de crise, puis diminuent la dose. En fait, on a appris ensemble. »
Nombre d’addictologues et de médecins généralistes intéressés par le
baclofène font ce constat. L’attrait pour ce médicament encourage certaines personnes en difficulté avec l’alcool à, enfin, solliciter une aide auprès d’un médecin. Reste à ajuster le cadre réglementaire pour faciliter cette rencontre.
Repères : plus de 10 ans de rebondissements :- Octobre 2008 : sortie du livre du Dr Olivier Ameisen « Le dernier verre » chez Denoël.
- 17 mars 2014 : première RTU du
baclofène (Lioresal 10 mg et
Baclofene Zentiva 10 mg). Posologie maximum 300 mg/jour.
- 24 juillet 2017 : révision du protocole de la RTU avec une dose maximale à 80 mg/jour
- 23 mai 2018 : le Conseil d’Etat valide la possibilité de dépasser 80 mg si l’état clinique du patient le justifie et s’il était déjà à une dose supérieure.
- 22 octobre 2018 : AMM du Baclocur (Ethypharm)
- 15 juin 2020 : Mise sur le marché du Baclocur
- 18 juin 2020 : Suspension de l’AMM du Baclocur 10, 20 et 40 mg par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. L’ANSM se pourvoit en cassation.
- 30 juillet 2020 : rejet de la requête en référé d’Ethypharm
Source :
https://francais.medscape.com/voirarticle/3606315
Dernière modification par Stelli (03 septembre 2020 à 01:02)