De la
RDR à la prévention des risques et la réduction des dommages, une dérive morale
ou seulement linguistique ou un risque de dérive vers la prévention de l’usage ?
Si l’objectif affiché et affirmé est bien de prévenir et de réduire l’usage des drogues (au cœur de la politique de nombreux Etats), perçu comme une maladie (l’usage) et non seulement la dépendance (une maladie) la notion de prévention des risques et de réduction des dommages me semble cohérente.
Personnellement je préfère la notion de
réduction des risques et de prévention des dommages. La
réduction des risques s’est développée en France à l’aube du VIH/Sida. Cette approche pragmatique (voire politique) se voulait non stigmatisante. Ce qui me gêne dans ce tripotage l’linguistique c’est qu’il joue sur la polysémie des mots (un même mot peut avoir plusieurs sens). J’y entrevois comme un risque de dérive morale, et lorsque la morale se mêle de questions de santé publique elle s’éloigne de la réalité des usages et des usagers, elle sert la politique de lutte contre les drogues et les drogués et réduit l’impact des actions de santé publique en direction des publics cibles et prioritaires.
Faisons un parallèle avec la
réduction des risques sexuels. Réduire les dommages liés à des us et pratiques sexuelles passe-t-il par la prévention de l’usage ? L’objectif est-il de réduire le nombre de pratiques (quelles qu’elles soient) ou seulement les pratiques problématiques (à risques). ??
Les usagers de drogues en France, comme l’usage de drogues, bénéficient d’une perception négative voire stigmatisante : tous des drogués, tous des malades et des délinquants (rappelons la loi de 70 qui interdit tout usage).
Le discours politique, les perceptions du corps médical, le « grand public » n’entrevoient comme réalité des usages qu’une vision des usagers problématiques (pour simplifier les usagers et clients potentiels des
CSAPA et des
CAARUD). Hors cette frange, somme toute marginale bien que très visible des usagers de drogues, ne concernent que 5 à 10 % de l’ensemble des usages de produits psychoactifs.
Il exclut de fait les millions de personnes dépendantes des
benzodiazépines (antidépresseurs et autres
neuroleptiques,…), l’usage problématique de l’alcool selon les normes de l’OMS ( 1 homme sur 2, 1 femmes sur 3 ) et bien sûr les 35 millions de « français » dépendant du
tabac (drogues légales ),…et les quelques 120000 mort par an liés à ces usages.
Il exclut aussi et surtout selon moi, la proportion de la population dite générale qui consomme occasionnellement, voire régulièrement des drogues illégales dans un cadre souvent festif. Combien sont-ils ces professeurs, avocats, boulangers, policiers, directeurs d’entreprises, élus de la république,…) à être concernés par ce type d’usage. Je ne déni pas le risque d’une dérive vers un usage plus problématique Je connais personnellement des bobos sniffeurs de
coke qui pour gérer la pression sociale et professionnelle d’efficacité sont passés d’un usage occasionnel, à régulier, à quotidien et problématique (parfois dans le silence et la honte vis-à -vis de leur conjoint(e)).
Cette méconnaissance et cette non-prise en compte des usages de drogues en population générale et particulièrement par les professionnels de santé de première ligne que sont les médecins des villes et des campagnes, est à mon sens problématique en terme de santé publique. Elle permet à la société dans son ensemble de ne pas réinterroger le sens et la pertinence des lois anti-drogue et de ne voir dans l’usager problématique que le «tox à chien » ; minorité visible et fortement stigmatisée ; au sens où elle est un révélateur non assumé de nos propres conduites et comportements à risques.
Pour autant la réduction et la prévention de l’usage ont-elles un sens en termes de
réduction des risques et de prévention des dommages ? Sans doute que oui ! On ne peut ignorer la notion de modération dans l’usage des drogues, le niveau d’usage est un déterminant essentiel pour différencier un usage simple d’un usage problématique amenant à la dépendance. De même la prévention d’un usage précoce dans l’enfance et l’adolescence réduit les risques d’un comportement addictif à risques multiples.
Prévenir l’usage donc, certes, mais l’usage précoce et excessif. Il est compliqué aujourd’hui de faire l’apogée d’un usage à moindre risque sans prendre le risque de choquer les biens pensants et autre moralistes (dont certain professionnels en addictologie qui prône toujours l’abstinence et la répression de l’usage comme vertu dissuasive).
Prenons l’exemple très polémique du
cannabis. Sa toxicité est reconnue par tous lorsqu’elle est associée a du
tabac (et notamment on le sait, fumer des
bangs est une pratique à haut risques de dommages). Même en
joint pur de surcroit avec un « toncar », l’impact pulmonaire et sur le système C.D.V est très élevé. La toxicité du
cannabis est à 99% liée à ce mode de consommation (joints) Y aurait-il alors un discours de
réduction des risques à tenir auprès des usagers et des jeunes, voire des futurs consommateurs ?
En tant qu’acteur de prévention en addictologie, il est difficile pour moi de tenir un discours pragmatique lorsque j’interviens auprès de jeunes âgés de 13/14 ans. La loi de 70 et les préjugés ne me permettent pas de prôner un usage à moindre risque du
cannabis.
Y-en-a-t-il un d’ailleurs ? Le risque 0 n’existe pas et ce n’est certainement pas l’abstinence, ou alors il faut faire la promotion de l’abstinence, de la virginité et de la fidélité dans la
réduction des risques sexuels tel l’évangéliste de
base Etats-Unien. Mais sans doute qu’un usage très occasionnel de
cannabis, modéré et plutôt dans un cadre festif, soit avec un inhalateur soit en préparation alimentaire (plus difficile de gérer le dosage des principes actifs) représente l’usage à moindre risque, tant sur l’impact sanitaire que sur le risque de dépendance. Mais puis-je en faire la promotion sans tomber sous le coup de l’incitation à l’usage ?
Je m’étonne toujours qu’un discours parfaitement assumé et plutôt bien admit généralement quand il s’agit des pratiques à risque liés à l’injection, soient aussi polémiques lorsque l’on parle de l’usage des drogues non injectables.
La prévention désigne l'ensemble des actes et des mesures qui sont mis en place afin de réduire l'apparition des risques liés aux maladies ou à certains comportements qui s'avèrent néfastes sur la santé. On parle de prévention dans le domaine de la sécurité routière pour diminuer les risques d'accident, dans le domaine de la santé avec toutes les mesures prises pour éviter la survenue ou la propagation d'une maladie... La prévention à une visée de protection et d'alerte devant un comportement dangereux (fumer, manger trop gras, la sédentarité...). Dans ce contexte, l’interdiction de l’usage ou la promotion de la non expérimentation, sont un non-sens en terme de promotion de la santé, au sens où elles ne tiennent pas compte de la réalité des pratiques, ce discours est même contre-productif. L’exemple des 5 jeunes français sur 10 contre les 2 sur 10 jeunes hollandais de 16/18ans à avoir expérimenté le
cannabis en est un bon exemple. La notion de prévention de l’usage n’a de sens à mon avis que si elle vise la prévention de l’usage précoce et excessif, tout en permettant un cadre d’expérimentation « sous contrôle », voire accompagné.