Et voici un article extrait du Nouvel Obs:
Drogues : la
dépénalisation est plus efficace pour la prévention. Qu'attend la France ?
Publié le 16-03-2014 à 16h34 - Modifié le 17-03-2014 à 08h36
Avatar de Ruth Dreifuss et Michel Kazatchkine
Par Ruth Dreifuss et Michel Kazatchkine
Commission globale des drogues
LE PLUS. La 57ème session de la Commission des stupéfiants des Nations Unies s'est ouverte à Vienne, en Autriche, le 13 mars. Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération suisse, et Michel Kazatchkine, envoyé spécial de l’ONU pour le VIH/Sida, membres de la Commission globale de politique en matière de drogue en profitent pour adresser une message à la France.
La session de la Commission des stupéfiants des Nations Unies a lieu du 13 au 21 mars 2014 à Vienne (F.SCHEIBER/SIPA).
Quel est le bilan de la lutte internationale contre les drogues ? À Vienne, la Commission des stupéfiants de l’ONU a pu constater que la production et la consommation de stupéfiants ont augmenté au cours des trente dernières années et que de nouvelles drogues de synthèse sont créées tous les jours.
La mainmise des organisations criminelles sur ce marché lucratif est plus forte que jamais. Les politiques basées sur le "tout répressif" ont non seulement échoué à réaliser leurs objectifs, elles ont aggravé la situation en termes de santé publique et de violence sociale.
De sombres réalités
La "guerre contre la drogue" se solde par des dizaines de milliers de morts. Le sida et l’hépatite C s’étendent parmi les personnes qui s’injectent des drogues, partout où l’accès au matériel stérile leur est refusé, notamment en Asie et en Europe orientale.
Les condamnations à mort, les incarcérations de masse (y compris de simples consommateurs), les traitements forcés bafouent les droits de l'homme. La lutte contre les producteurs et les trafiquants et la guerre des gangs en Amérique latine se soldent par des dizaines de milliers de morts et une violence quotidienne sans précédent.
Voilà quelques-unes des sombres réalités auxquelles les participants à la session de la Commission des stupéfiants ont été confrontés.
Une question à l'agenda international
Pendant un demi-siècle, l’idéologie et une morale répressive ont conduit à occulter les données scientifiques et à bloquer un débat rationnel.
Celui-ci s’impose dorénavant. Après Vienne, il se poursuivra à Moscou, au sein du G8 ; il s’amplifiera au cours des prochains dix-huit mois jusqu’à l’Assemblée générale extraordinaire que l’ONU consacrera aux politiques en matière de drogues.
Dans ce débat, que dira la France ?
Pour que la France s'engage
Confrontée à un niveau élevé de consommation, la France, dès les années 90, a réalisé des programmes largement accessibles d’échange de seringues et de traitements de
substitution. Elle a inscrit la
réduction des risques dans une loi de santé publique.
La France associera-t-elle sa voix à celle des pays, notamment européens, qui plaideront pour que la santé publique, la sécurité des populations et les droits de l’homme soient placés au centre des politiques internationales en matière de drogues ?
C’est notre premier espoir.
Les arrestations et les condamnations nuisent à la santé des usagers
Le second espoir, c’est de voir la France poursuivre la réforme de sa propre politique en matière de drogues. Les arrestations et les condamnations n’ont pas freiné l’usage de drogues, en particulier celui du
cannabis qui est consommé par 550.000 personnes quotidiennement selon les chiffres de la MILDT.
Ces mesures nuisent par contre à la santé et à l’intégration sociale des usagers ; la qualité de vie dans les quartiers défavorisés en souffre.
La
dépénalisation de la consommation pour prévenir
La
dépénalisation de l’usage de drogues, telle que la pratiquent le Portugal et la République Tchèque, s’est révélée plus à même de le prévenir, d’en soigner la dépendance et d’en réduire les dommages, individuels et collectifs.
Les salles d’injection supervisée contribuent non seulement à éviter nombre de décès par overdose et à empêcher la transmission du VIH/SIDA et des hépatites, elles sont également une offre à bas seuil, thérapeutique et sociale, accessible aux consommateurs les plus marginalisés. Les habitants des quartiers environnants sont moins exposés aux risques que représentent des seringues souillées et abandonnées dans les lieux publics.
La politique du "tout répressif" ayant échoué, des projets pilotes et de nouvelles mesures ont été mises en place et leurs effets évalués.
Ayant remis la santé publique et la baisse de la violence au cœur de ces changements ponctuels, ceux-ci ouvrent la voie à des politiques plus cohérentes, plus efficaces et plus humaines. Le débat international qui s’est ouvert à Vienne ne devra pas se limiter à faire le bilan du passé, il lui faudra aussi stimuler la recherche, basée sur des faits avérés par l’expérience, de solutions adaptées à la complexité des problèmes liés aux drogues.
Par Ruth Dreifuss, ancienne Présidente de la Confédération Suisse, et Michel Kazatchkine, Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le VIH/Sida en Europe de l’Est et en Asie Centrale. Membres de la Commission globale de politique en matière de drogues.