L’inquiétante multiplication des overdoses aux
opioïdesLe nombre de patients traités par ordonnances d’antalgiques
opioïdes forts, comme la
morphine, l’oxycodone ou le
fentanyl, a bondi de 74 % entre 2004 et 2015 : un demi-million de Français sont concernés.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 07.11.2017 à 16h32 • Mis à jour le 07.11.2017 à 16h34 | Par Pascale Santi
Si l’épidémie de dépendance aux
opioïdes qui sévit en Amérique du Nord (64 000 décès par overdose aux Etats-Unis en 2016) n’a pas atteint la France, les chiffres n’en demeurent pas moins préoccupants. Entre 2012 et 2015, 12 076 patients au total ont été hospitalisés plus de 24 heures pour overdose aux
opioïdes (hors suicide), selon des données récentes du Programme de médicalisation des systèmes d’information, dévoile le professeur Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Le nombre de décès est passé de 1,3 par million d’habitants en 2000 à 3,4 par million en 2014. Et ces chiffres sont sous-estimés.
Qui sont ces patients ? « 40 % de ces hospitalisations sur cette période concernaient plutôt des femmes, d’âge médian de 62 ans, sans diagnostic de cancer, sans addiction identifiée ni traitée, ni chirurgie récente, et bénéficiant très souvent (70 % des cas) de délivrances d’antalgiques
opioïdes dans les trois mois précédant l’overdose. Cela nous préoccupe, constate Nicolas Authier. Dans une situation possible de douleur non cancéreuse, cela évoque des problématiques de mauvais usage de ces traitements, soit en automédication (armoire à pharmacie familiale), soit sur prescription. La finalité est parfois différente de la douleur (anxiété, sommeil, moral…), avec un risque d’accoutumance, voire de véritable addiction », poursuit le spécialiste. On est loin du profil classique de l’usager de drogues.
Les prescriptions d’opioïdes forts ont explosé. En 2015, plus de 66 % de Français ont bénéficié d’au moins une ordonnance d’un médicament antalgique – les plus utilisés en France – et, pour 17,1 % de la population, d’un antalgique
opioïde, soit plus que pour les
benzodiazépines (13 %), selon les données de l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA).
Les antalgiques
opioïdes sont répartis entre ceux dits « faibles » (comme la
codéine, le
tramadol et la poudre d’opium) ou dits « forts » (comme l’oxycodone, la
morphine et le
fentanyl). Le
fentanyl est cent fois plus puissant que la
morphine et cinquante fois plus que l’héroïne. Le nombre de patients traités par ordonnances d’antalgiques
opioïdes forts a bondi de 74 % entre 2004 et 2015 : un demi-million de Français sont concernés.
Ces données préoccupent les autorités sanitaires et notamment l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), qui exerce une surveillance active de ces médicaments. Ce n’est pas forcément suffisant. D’où la démarche de l’OFMA, qui s’est constitué à partir de l’équipe Inserm 1107 Neuro-Dol de l’université Clermont-Auvergne et du CHU de Clermont-Ferrand. Son site Web sera lancé lors du congrès de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) du 16 au 18 novembre (Ofma.fr).
Risque « évitable »
A l’aide des
bases de données de santé et de celles du Web (réseaux sociaux, forums…), l’OFMA s’attache à la détection des signaux faiblesde mésusage. « L’observatoire est en quête de financementsqui doivent lui permettre de rester indépendant des laboratoires pharmaceutiques », rappelle Nicolas Authier, qui insiste : « Le risque de mésusage et d’overdoses est évitable. On peut anticiper un problème de santé publique majeur, il faut réellement se mobiliser. » Cela, tout en « s’assurant de préserver un accès large aux antalgiques
opioïdes pour les patients qui doivent en bénéficier ». La démarche n’est pas de restreindre mais de sécuriser. Si ces molécules sont efficaces pour certains patients, notamment les douleurs liées au cancer, les
opiacés forts sont souvent utilisés de façon inappropriée dans des douleurs chroniques non cancéreuses et notamment pour les céphalées migraineuses, la fibromyalgie… « On voit trop souvent des patients arriver sous patch de
fentanyl depuis des années, par exemple, et dont la douleur n’est pas soulagée, mais qui sont complètement toxicos », constate une spécialiste.
L’objectif est donc de renforcer la diffusion des règles de bon usage des
opioïdes auprès des professionnels de santé (médecins, pharmaciens, dentistes, infirmiers), mais aussi auprès des malades, notamment à travers les associations de patients, en responsabilisant sur l’automédication familiale. Pour Nicolas Authier, il faut aussi envisager, comme aux Etats-Unis, de prescrire aux personnes qui souffrent et sont traitées par un antalgique
opioïde un kit de
naloxone (antidote de l’overdose aux
opioïdes) pour lequel une autorisation de mise sur le marché vient d’être accordée en France.